27 décembre 2015 – 691

DIMANCHE.

Courriel. Une demande d’abonnement aux notules.

LUNDI.

Lecture. Dans le café de la jeunesse perdue (Patrick Modiano, Gallimard, 2007, rééd. Gallimard, Quarto “Romans”, 1088 p., 23,50 €).

Ceux qui, ils sont légion, aiment faire la part du réel et de la fiction dans les livres de Modiano chercheront si Arthur Adamov et Maurice Raphaël ont pu se croiser – ou croiser le jeune Modiano – dans un café du Saint-Germain-des-Prés des années 1950. Ils chercheront également si Horizons perdus et Adieu Focolara sont des livres réels ou des titres inventés par l’auteur, et s’il existe ou non une biographie de Louise du Néant. Ceux qui, ils sont un paquet, aiment suivre les itinéraires parisiens des personnages de Modiano ouvriront leur vieux Taride (est-ce par hasard qu’on trouve dans ce roman un personnage nommé Tarride ?) ou Google je ne sais quoi pour chercher où peut bien se nicher ce café de Condé qui est au centre du roman. Ceux qui, il sont une tripotée, se plaisent à trouver des convergences entre l’œuvre de Modiano et celle de Georges Perec seront sensibles à la présence d’un homme aperçu derrière la vitre d’un café au carrefour Mabillon, noteront que le projet qu’a Louki, personnage central, d’aller “vivre une semaine dans chacun des quartiers” dont un de ses amis a dressé la liste pourrait très bien appartenir à Espèces d’espaces, et que l’un des livres préférés de Louki, Cristal qui songe, est, celui-ci, d’autant plus réel que Georges Perec en a fait une des sources intertextuelles de La Vie mode d’emploi. Ceux qui, ils ne sont guère mais prouvent bien que chacun trouve de quoi se satisfaire dans un roman de Modiano, aiment à établir des correspondances entre l’œuvre de celui-ci et le SAS Football auront remarqué avec satisfaction que le nom du gardien remplaçant de l’équipe, Florent Cabassud, apparaît dans ce Café de la jeunesse perdue où il est question d’aller “passer la nuit à Cabassud, une auberge près de Paris”.

MERCREDI.

Vie touristique. Nous sommes depuis deux jours à Paris, en quatuor. Nous gîtons à l’est de la ville, près du canal Saint-Martin, nous allons au spectacle, nous fréquentons des terrasses, des restaurants, des magasins, nous visitons des expositions (Warhol encore, au Musée d’Art Moderne, histoire de se rendre compte que l’exposition de Metz n’était vraiment pas le parent pauvre de celle de Paris). Il paraît que, depuis un sinistre 13 novembre, ces activités seraient des signes de résistance. Nous on veut bien mais on est quand même loin de Jean Moulin. La Résistance, la majuscule, elle est évoquée rapidement au Musée de l’Homme, où elle eut un réseau dense et efficace. Le lieu, qui vient de rouvrir après quelques années de travaux, est très couru, les vacances y amènent leur lot de ploucs (c’est nous) et la marmaille locale dont la discrétion n’est pas le plus bel apanage. On sait la marmaille parfois pénible en ces lieux où elle est souvent traînée à son corps défendant mais les temps changent : les nouveaux musées offrent maintenant un tas d’animations sur écrans et autres gadgets qui attirent comme des mouches les enfants qui ne les quittent plus et laissent ainsi les vitrines accessibles aux vieillards. D’où le désarroi de ce grand-père essayant d’arracher son petit-fils à la représentation en 3D d’un objet exposé : “Tu es sûr que tu ne préfères pas le voir en vrai ?”

VENDREDI.

Lecture/Ecriture. Mots croisés 12 (Michel Laclos, Zulma, coll. Grain d’orage, 2005; 50 grilles, 144 p., 15,95 €).

Curiosité : le volume se termine par trois grilles thématiques consacrées à Raymond Queneau, Marcel Proust et Alexandre Dumas.

Lecture. Journal. Mémoires de la vie littéraire II. 1866-1886 (Edmond et Jules de Goncourt, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1989; 1296 p., 120 F.).

Au cours de ces vingt années, les Goncourt perdent la moitié de leur effectif : Jules meurt en 1870 et Edmond demeure seul aux commandes du Journal. Cet événement, ajouté à la perte de Gavarni, le meilleur des amis, à la guerre et au relatif insuccès des livres parus et de leurs adaptations théâtrales, conduit Edmond à s’enfermer de plus en plus hermétiquement dans sa maison d’Auteuil et dans une aigreur de plus en plus virulente. La littérature est désormais concurrencée par la collection, gravures, dessins, japonaiseries qui constituent peu à peu le Grenier d’Auteuil, ouvert aux proches, Daudet, Zola, Huysmans et autres en 1884. Les 1200 pages qui racontent ce lent racornissement ne sont pas toujours passionnantes, loin de là, mais il faut bien se nourrir.

Extrait. “Ce matin, au Point-du-Jour, commence la démolition des maisons de la zone militaire, au milieu du défilé des déménagements de la banlieue, qui ressemble à la migration d’un ancien peuple. Des coins bizarres de maisons à moitié démolies, avec des restants de mobiliers hétéroclites. Ainsi, une boutique de coiffeur, dont la façade béante montre, oubliée, la chaise curule, où les blanchisseurs se faisaient faire la barbe, le dimanche.” (31 août 1870)

Epinal (Vosges), photo de l’auteur, 31 décembre 2012

Le cabinet de curiosités du notulographe. Fantaisie charcutière à Penmarch (Finistère), photo de Christophe Hubert, 2 décembre 2014.

SAMEDI.

Lecture. Sacrifices (Pierre Lemaitre, Albin Michel, 2012; rééd. LGF, coll. Le Livre de poche thriller n° 33212, 2014; 360 p., 7,10 €).

La trilogie Verhoeven se termine ici et on ne s’en plaindra pas, tant ce polar met du temps à démarrer. Le commandant Verhoeven y est à nouveau victime d’une machination dont on ne commence à percevoir les contours qu’au bout de deux cent cinquante pages bien longuettes. La précipitation finale, si elle soulage le lecteur, ne rachète pas l’ensemble. Faute d’une intrigue convaincante, l’écriture de Pierre Lemaitre se révèle très fade, répétitive, ennuyeuse, ce qui n’apparaissait pas dans ses ses romans précédents où il savait emballer l’intérêt par l’ingéniosité du fil narratif.

Mouchoir de nuages (Tristan Tzara, éditions de la Galerie Simon, 1925, rééd. in “Poésies complètes”, Flammarion, coll. Mille & une pages, 2011; 1760 p., 35 €).

Films vus. La prochaine fois je viserai le cœur (Cédric Anger, France, 2014)

Les Noces funèbres (Corpse Bride, Tim Burton, G.-B. – E.-U., 2005)

Tiens-toi droite (Katia Lewkowicz, France-Belgique, 2014).

L’Invent’Hair perd ses poils.

  

Hommes et bêtes à Lussac-les-Châteaux (Vienne), photos de Jean-Christophe Soum-Fontez, 13 mai 2010

IPAD. 29 mai 2014. 111 km. (26276 km).

1149 habitants

   Le Poilu se tient l’arme au pied, derrière l’église, au-dessus d’un socle de granit. Autour, des plots reliés par une grosse chaîne et des banquettes de pensées.

Le Ménil

A ses glorieux combattants

Morts au champ d’honneur

1914-1918

1939-1945

   Face : Sur une plaque posée de biais contre le socle

1939-1945

Militaires                           Victimes civiles

6 noms                                 10 noms

                                                                               Résistance

                                                                                   4 noms

Gauche : 21 noms d’ANTOINE Auguste à Capl KEMPF Charles

Droite : 21 noms de LAPORTE Louis à VIRY Paul

Poil et plume. “Un coiffeur pérorait, émettait des vérités de cette force : “Quand on a de l’argent, on vous tire des coups de chapeau; sans ça, quand on a, comme moi, placé tout son saint-frusquin dans des fonds qui ne rapportent pas, on vous chante “Marie, trempe ton pain, Marie, trempe ton pain.” Du reste, toutes les fois que j’ai acheté des valeurs, elles baissaient le lendemain; je ne pourrais pas me l’interdire ailleurs, il me faut des émotions.”

Les camarades se délectaient, lui versaient à boire, et lui, avec ses yeux capotés, son air de glorieux crétin, reprenait : “Moi j’aime le sexe; pour que je puisse m’en passer, il faudrait que je sois comme le merle qui siffle après ses enfants”, et, faisant par un calembour allusion à son métier, il ajouta : “Je ne serais toujours pas un merle vif, je serais un merle lent.” ((Joris-Karl Huysmans, En ménage)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

 

20 décembre 2015 – 690

DIMANCHE.
                    Lecture. Le Pouvoir du chien (The Power of the Dog, Thomas Savage, Little, Brown and Company, 1967 pour l’édition originale, Belfond, 2002 pour la traduction française, rééd. Belfond, coll. Vintage, 2014, traduit de l’américain par Pierre Furlan; 384 p., 19 €).
                                 Grâces soient rendues à l’excellent Bernard Poirette et à sa chronique “C’est à lire” du dimanche matin sur RTL : on serait sans lui passé à côté de cette réédition d’un livre en tous points remarquable. Poirette est un très bon renifleur de polars, même s’il lui arrive d’avoir le nez bouché comme quand il conseilla le pâle Joseph Incardona, et on se repent peu souvent d’avoir suivi ses conseils. Thomas Savage est un auteur de l’Ouest, un chroniqueur des temps héroïques de l’Amérique. Ses personnages sont des cow-boys, deux frères qui possèdent et dirigent un ranch prospère du Montana. Leurs caractères sont différents mais n’empêchent pas une sorte d’harmonie tacite entre eux. Celle-ci prend fin au moment où le plus jeune, George, se marie et installe sa femme à la maison. L’aîné, Phil, va alors tout faire pour mener une vie impossible à l’intruse et au fils efféminé qu’elle a eu de son premier mariage. Personnage effrayant, complexe, Phil pense tenir les commandes de la tragédie qu’il met en place mais qui n’aura pas l’issue attendue. La conduite implacable de l’histoire, la richesse des personnages, la force des paysages sont autant d’atouts d’un bouquin impossible à lâcher. On n’avait pas connu ça, dans le genre, depuis notre découverte adolescente des romans de Steinbeck.
MARDI.
            Lecture. De nos oiseaux (Tristan Tzara, éditions Kra, 1923, rééd. in “Poésies complètes”, Flammarion, coll. Mille & une pages, 2011; 1760 p., 35 €).
“oh les immondes les sales
mais je préfère me taire
le regret solitaire virulent
me va beaucoup mieux
et je tiens à ma beauté
à ma santé à ma gaîté
à ma liberté à mon égalité
à ma fraternité et à ce que j’ai à dire”
VENDREDI.
                  Football. SA Spinalien – Amiens SC 2 – 1.
                  Le cabinet de curiosités du notulographe. Humour de chiottes à Moncetz-Longevas (Marne), photo de l’auteur, 17 octobre 2015, à Arles (Bouches-du-Rhône), photo de Sylvie Mura, 10 mars 2015.
  
SAMEDI.
              Films vus.
                               La Désintégration (Philippe Faucon, France – Belgique, 2011)
                              Geronimo (Tony Gatlif, France, 2014)
                               La Fièvre dans le sang (Splendor in the Grass, Elia Kazan, E.-U., 1961)
                               National Gallery (Frederick Wiseman, France – E.-U., G.-B., 2014)
                               Ocean’s 13 (Ocean’s Thirteen, Steven Soderbergh, E.-U., 2007).
                           
              L’Invent’Hair perd ses poils.

    

Obernai (Bas-Rhin), photo de l’auteur, 24 mai 2010 / Gérardmer (Vosges), photo du même, 2 octobre 2011            

              Poil et plume. “Nous étions attablés au Dupont-Latin, sur le Boul’ Mich’, au milieu d’une foule d’étudiants criards et mal vêtus qui portaient les cheveux très longs dans le cou et relevés en touffe sur le front. Raoul disait que c’était une manifestation de l’amitié franco-américaine. Le pick-up faisait rage.

   – Sortons, dit Raoul; j’aime beaucoup le Quartier, mais ces zazous me tapent sur les nerfs. On a envie de les faire tondre.” (Raymond Abellio, Heureux les pacifiques)
DIMANCHE.
                   Vie parisienne. On vient à Paris sur la pointe des pieds désormais, on sait pourquoi. En débarquant hier gare de l’Est, je m’attendais à trouver l’endroit envahi par les uniformes et les hommes armés. Mais non, le hall est calme, sans changement par rapport à l’habitude. Les rues, les cafés, le Petit Cardinal connaissent l’animation habituelle des veilles de fêtes. Personne à la Bilipo où je viens travailler l’après-midi mais là encore, ça n’a rien d’exceptionnel, le lieu est peu couru. Bien sûr, le soir venu, alors que j’assiste au conseil d’administration de l’Association Georges Perec dans un appartement parisien proche des lieux des fusillades, la conversation roule sur les récents événements, il faut dire que l’assemblée est composée en majorité de Parisiens qui vivent avec ça au jour le jour. Ce n’est que ce matin que je peux voir que quelque chose a changé au Louvre : des contrôles supplémentaires, plusieurs rideaux à franchir mais sans que cela occasionne une quelconque perte de temps. Et pour cause : la place est quasiment déserte.
                   Lecture. Un échec matrimonial : Le cœur de la mariée mis à nu par son célibataire même (Lydie Fischer Sarazin-Levassor, Les presses du réel, coll. L’écart absolu, 2004; 208 p., 18 €).
                                 En sortant de la Bilipo, hier après-midi, j’ai remonté la rue Monge jusqu’à la rue Larrey. C’est au 11 de la rue Larrey que Marcel Duchamp installa son atelier en 1927. La même année,  il y installa également sa femme, Lydie Levassor, pour une vie matrimoniale de courte durée puisque leur divorce fut prononcé quelques mois plus tard. En 1977, Le Centre Georges-Pompidou ouvrait ses portes avec une exposition consacrée à Marcel Duchamp. Pour l’occasion, on demanda à l’éphémère épouse de l’artiste de raconter ses souvenirs, ce qu’elle fit par l’intermédiaire de ce texte, exhumé en 2004 par Marc Décimo. Souvenir personnel : la première fois que je vis François Bon, en 2005, c’était à Beaubourg et il lisait en séance publique des extraits de ce livre récemment paru. Dont voici l’histoire : en 1927, Marcel Duchamp a décidé de consacrer sa vie aux échecs. Il a besoin d’argent et la vente des œuvres de Brancusi dont il s’occupe ne rapporte pas encore. D’où la tentation d’arranger un mariage avec une riche héritière : la jeune Levassor, fille d’un capitaine d’industrie, apparaît comme une proie idéale. Cet arrangement, Lydie ne veut pas y croire malgré les mises en garde de ses proches : elle est amoureuse de l’artiste et croit cet amour partagé, du moins dans un premier temps. Mais le père Levassor, lui-même engagé dans un divorce dispendieux, n’accorde pas les subsides sur lesquels Duchamp semblait compter. Après lui avoir fait subir une série de revers, de déceptions, d’humiliations, il congédie Lydie qui finit par admettre qu’elle a été jouée. Dans son récit, celle-ci essaie d’éviter l’amertume pour livrer une simple chronique des faits, qui voient une jeune bourgeoise légèrement ébahie basculer dans un milieu dont les membres (Duchamp, Picabia, Man Ray et autres) semblent dotés d’une valeur humaine peu en rapport avec leur renommée artistique.
MARDI.
            En feuilletant Livres Hebdo. Christian Bromberger, Le Sens du poil : une anthropologie de la pilosité, Créaphis, 2015 ; 160 p., 12 €.
JEUDI.
          Lecture. Morgue pleine (Jean-Patrick Manchette, Gallimard, coll. Série Noire n° 1575, 1973; rééd. in Jean-Patrick Manchette « Romans noirs », Gallimard, coll. Quarto, 2005; 1344 p., 29,50 €).
                        “Morgue pleine a été écrit à toute vitesse parce qu’il fallait que je paie mes impôts. J’ai livré le manuscrit le 12 ou 13 novembre, j’avais demandé que le chèque soit prêt afin de le donner le lendemain au percepteur ! Et j’ai passé les six mois suivants à me répéter que ce bouquin était affreux…” On peut considérer que le regard de Manchette sur son roman, tiré d’un entretien à Mystère Magazine, est un peu sévère. Le bouquin n’est pas affreux. Cela dit, on sent bien qu’il a été fait à la va-vite : son rythme effréné ne parvient pas à masquer les invraisemblances et les approximations de l’intrigue. Cependant, l’écriture de Manchette sauve le tout, avec la recréation assumée et réussie d’un modèle américain – celui du petit privé miteux et pessimiste – dans un cadre français. L’anti-héros de Manchette, Eugène Tarpon, connaîtra sous sa plume d’autres aventures et trouvera au cinéma son incarnation parfaite avec Jean-François Balmer dans Polar (Jacques Bral, France, 1984).
VENDREDI.
                  Football. SA Spinalien – SR Colmar 2 – 1.
                  Le cabinet de curiosités du notulographe. Miettes proustiennes à Illiers-Combray (Eure-et-Loir), photo de l’auteur, 4 juillet 2014.
SAMEDI.
              Films vus. Les Godelureaux (Claude Chabrol, France – Italie, 1961)
                               Tu veux… ou tu veux pas ? (Tonie Marshall, France – Belgique, 2014)
                               Ma femme s’appelle reviens (Patrice Leconte, France, 1982)
                               Le beau monde (Julie Lopes-Curval, France, 2014)
                               Minuit à Paris (Midnight in Paris, Woody Allen, Espagne – E.-U., France, 2011)
                               Juliette et Juliette (Rémo Forlani, France – Italie, 1974).
              Lecture. Sept manifestes Dada (Tristan Tzara, éditions du Diorama, Jean Budry, 1924, rééd. in “Poésies complètes”, Flammarion, coll. Mille & une pages, 2011; 1760 p., 35 €).
              L’Invent’Hair perd ses poils.
   
Saales (Bas-Rhin), photo de l’auteur, 24 mai 2010 / Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher), photo du même, 4 novembre 2012
              IPAD. 11 mai 2014. 75 km. (26165 km).
54 habitants
   Le monument blanc, surmonté d’une croix, se trouve sur le côté de l’église, au centre d’un carré de pavés, blancs eux aussi.

1914-1919

Aux enfants de Ménarmont

Morts pour la France

BERTRAND Clément

CHANAL René

CHOLEZ Adrien

COLTAT Émile

GERARD Auguste

GERARD Félicien

MASSON Louis

NEIGE Alcide (Abbé)

NEIGE Camille

THIEBAUT Julien

Enfant BOULANGER Joseph

Auguste André WYNCKE

Instituteur 1940

Georgette DIDIERJEAN

Victime civile 1944

   Plaque individuelle :

A la mémoire

De L. MASSON

Mort au champ d’honneur

              Poil et plume. L’heure ne permettait plus de retourner bavarder dans la Plaine et cependant, il entendait fêter ce dénouement d’une façon ou d’une autre. Une frairie du côté des barrières, Crénu en serait pour qui il éprouvait une tendresse inexpliquée, il s’amuserait, il le lui dit et l’avertit qu’au préalable, pour être bienséant, là où ils se rendaient, il faudrait s’arrêter aux bains, chez le barbier de la rue Troussevache, rive droite, Renier Tue-Pain, meilleur raseur de Paris à ses dires, un ami. Assurément, Ploumier y serait bien peigné.
(…)
La marche reprit sans étape jusqu’à Troussevache. Sur le pas de ses étuves, voyant s’avancer les comparses, Renier Tue-Pain eut trois raisons de se frotter les mains : l’ouverture de Lendit avait vidé la ville et le négoce capillaire capotait depuis le matin, la compagnie de Raoulet séduisait d’autant mieux que la camaraderie s’ancrait dans l’argument du vin, et puis aussi, dans la bande, approchait un client spectaculaire, au cheveu transcendant, à qui coûterait double barème pour se faire « crester » de partout, barbe et crâne. Tue-Pain sur le seuil de ses bains les reçut avec force agrément. Raoulet lui présenta Denisot, Ploumier, sur l’épaule desquels il avait posé sa poigne, palpant les omoplates, malaxant les macreuses, chahutant le squelette de ses deux acolytes en rapprochant leur tête jusqu’à les heurter comme des boules. L’une dit-il, la plus fournie, méritait « desoan d’estre pignier », et puisqu’il se faisait une idée assez sommaire de la coupe, il en brossa la tendance générale : la barbe est habitable mais plus à ce point, il faudrait beaucoup rafraîchir, à toute face, qu’on vît apparaître quelque chose des oreilles, un bout de regard, qu’une ébauche de bouche se dessinât délivrant ne fût-ce qu’une moue, que le rasage dévoilât une part de la binette. Renier souleva le poil au front, ici et là, aux joues, appréciant les houppes, prenant du recul, tournant autour du modèle, un cas d’école qu’il préféra remettre au soin de son meilleur barbier. Pour une tête pareille, l’étuvier comptait une demi-heure de coupe au moins, taille intégrale, le temps d’ingurgiter une piquette tout à côté, chez Thomassin Navet, débiteur de vin au cimetière des Innocents. Crénu les y rejoindrait.
(…)
Trois fois les timbales vides s’emplirent, grossirent l’ardoise de Raoulet, les causeries giclaient de partout quand soudain parut Ploumier en pleine amusette, ex-Crénu, irrupté aux Innocents, déperruqué, entrant chez Navet avec un triste rictus, miséreux de la pelade au menton, du déboisage au chef. Raoulet pouffa qui dut rendre à la terre sa dernière gorgée car aussi fort soit-il, un homme ne peut expectorer et déglutir tout à un coup. C’est que Gilot avait la tête d’un corsaire après que le souffle d’un boulet de feu fut passé au ras de son visage, une moitié de la tignasse emportée laissant à découvert une face rougie par la lame, des écorchures au cou, des entailles aux joues, l’autre moitié encore enracinée. Du diable si la coupe était égalisée, mais restaient ces sourcils échappés de l’onde de choc, en place, intacts, implantés sur la gueule, avachis en herse pleureuse.” (Michel Jullien, Esquisse d’un pendu)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

6 décembre 2015 – 689

N.B. Le prochain numéro des notules sera servi le dimanche 20 décembre 2015. 
DIMANCHE.
                   Vie en terre. Je suis aujourd’hui à Pallegney, pour l’IPAD. Le monument est devant l’église mais je n’avais pas fait attention à lui quand, il y a des lustres, je me trouvai pour la première fois à la porte de cet édifice. Je n’avais pu y entrer, bondé qu’il était pour les obsèques d’une jeune femme dont j’avais les enfants en classe. Triste samedi après-midi où le recueillement était quelque peu troublé : dans le cimetière entourant le saint lieu, les croque-morts étaient encore à la tâche, occupés à préparer la fosse destinée à recevoir la bière. Ça n’allait pas comme il fallait, terre trop dure, erreurs dans les mesures, que sais-je, toujours est-il que les hommes de l’art faisaient connaître leur contrariété à voix forte en usant de jurons bien verts qui enguirlandaient l’atmosphère. Ils finirent par regagner leur camionnette pour y remiser pelles et pioches, ce que chacun suivit d’un œil réprobateur. Sur le flanc du véhicule, en belles lettres bien grasses : “Pompes funèbres Didion”. J’aurais volontiers plongé dans le trou tout frais.
MARDI.
            Lecture. Saga d’Egill, fils de Grimr le Chauve (Egills Saga Skallagrimssonar, anonyme, circa 1230, in “Sagas islandaises”, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1987, textes traduits, présentés et annotés par Régis Boyer; 1994 p., 70 €).
                           Il fallait bien, à force de lire du roman islandais, policier ou pas, qu’on aille voir d’où cela provenait. Faire un petit tour du côté des origines, histoire de comprendre un peu mieux l’histoire, la géographie, la mentalité qui règne sous ces latitudes. Comme on voyage peu et pas loin, ce volume fera l’affaire. L’introduction de Régis Boyer est parfaite : il explique tout cela de façon claire, donne un tableau complet de ce qui caractérise, y compris sur le plan stylistique, ces textes issus du Moyen Âge. C’est une chose de lire la préface, c’en est une autre de s’attaquer au texte lui-même. Parce que quand Régis Boyer écrit qu’il s’agit “d’un prodigieux roman d’aventures, haut en couleur, parfois truculent, qui tient sans répit le lecteur en haleine”, il met entre parenthèses les difficultés que rencontre le lecteur moyen. La Saga d’Egill, et on peut penser qu’il en est de même pour les suivantes qui composent le recueil, n’est pas d’un abord aisé. Il faut assimiler la cascade de noms, les généalogies labyrinthiques, et, une fois qu’on a réussi à dégager les personnages principaux, surmonter la lassitude que peut procurer un récit très répétitif. Egill et ses compagnons naviguent sans cesse d’un bout à l’autre de la Scandinavie, s’arrêtent pour guerroyer ici et là, passent l’hiver sur leurs terres, reprennent la mer, vont flanquer une rouste à tel ou tel roitelet local contre lequel ils ont une dent, font ripaille, reprennent la mer et recommencent. Ce qui ne veut pas dire que la chose soit sans intérêt : certaines scènes épiques valent celles d’Homère, l’écriture, faite de phrases courtes, sans affect ni jugement est très curieuse, les personnages sont riches, Egill en premier lieu qui abandonne sur le tard une vie de guerrier pour s’adonner à la poésie. Tout cela demande un certain effort, mais c’est comme ça qu’on s’entretient.
MERCREDI.
                  Epinal – Châtel-Nomexy (et retour). Frédéric Lenoir, Petit traité de vie intérieure, Pocket, 2012. 
VENDREDI.
                  Le cabinet de curiosités du notulographe. “Que cette heure arrêtée au cadran de la montre” (Louis Aragon). Aperçu d’une collection en cours, photos de l’auteur.

  

Jaligny-sur-Besbre (Allier), 12 juin 2010 / Guéret (Creuse), 29 juillet 2015

 

SAMEDI.
              Films vus pendant la semaine.
                                                               Une nouvelle amie (François Ozon, France, 2014)
                                                               Le Masque de fer (Henri Decoin, France – Italie, 1962)
                                                               Les Témoins (André Téchiné, France, 2007)
                                                               Ablations (Arnold de Parscau, France – Belgique, 2014)
                                                               Les Vitelloni (I Vitelloni, Federico Fellini, Italie – France, 1953)
                                                               Lou ! Journal infime (Julien Neel, France – Belgique, 2014).
              L’Invent’Hair perd ses poils. Hommage au notulographe (moins deux lettres).
Obernai (Bas-Rhin), photo de l’auteur, 24 mai 2010
              IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental). 27 avril 2014. 29 km (26090 km).
155 habitants

Les ruines du monument gisent au fond de l’église, près des fonts baptismaux. Il s’agit de deux plaques qui devaient être fixées sur un mur ou quelque chose de plus élaboré.

Méménil

A ses glorieux morts

VALANCE Victor

AUBERT Albert

FORESTIER Joseph

ROUSSELOT Joseph

GREMILLET Joseph

DIDIER Paul

ROUSSELOT Charles

1914-918

   Plus avant dans l’église se trouve le monument religieux, une stèle surmontée d’une pietà polychrome. Le nom de Charles Rousselot n’y figure pas mais on y lit les noms d’une victime de 1939-1945, Valance Joseph, et de deux victimes civiles, Didier André et Rivat Charles.

Poil et plume. Il faut que je coupe les cheveux de Papa : Pim affirme qu’il n’ira jamais chez un autre coiffeur après la guerre, tant je m’acquitte bien de ma tâche. Si seulement je lui entaillais moins souvent l’oreille !” (12 mars 1943)

   “Nouvelle scène comique : Peter devait se faire couper les cheveux, la coupeuse étant comme d’habitude sa mère. A sept heures vingt-cinq, Peter disparaissait dans sa chambre, à la demie pile il en ressortait nu comme un ver, à l’exception d’un caleçon de bain bleu et de ses tennis.

   « Tu viens ? Demanda-t-il à sa mère.

   – Oui, mais je cherche les ciseaux ! » (11 mai 1944, Anne Frank, Journal)

Bon dimanche,

Philippe DIDION