29 mai 2016 – 711

MERCREDI.

                  Ephéméride. “25 mai 1941. L’amiral Darlan affirme chaque jour davantage son étroite entente avec l’Allemagne en vue d’une paix honorable et d’une entente “loyale”. Il semble que le joug qui nous asservit devrait s’en trouver un peu relâché. Pourtant, chaque jour, on apprend de nouvelles brimades. Les arrestations se multiplient de la manière la plus brutale et la plus inquiétante.

Jean Paulhan est en prison depuis huit jours. On a perquisitionné chez lui pour y trouver des tracts. On n’a rien trouvé mais on l’a emmené. Une de mes jeunes consœurs, Melle Dunan, coupable d’avoir garé chez elle quelques livres précieux appartenant à Pierre Loewel, est au Cherche-Midi depuis la semaine dernière. Celui qui me raconte cet incident me dit en même temps que chez Loewel, coupable d’être juif et d’avoir écrit dans L’Ordre – à une époque où un Français avait le droit d’écrire – des articles hostiles à l’Allemagne, on a volé tous ses papiers et tous ses livres.

Julien Cain est toujours à la Santé. Il est arrêté depuis le 12 février par mesure administrative. On n’a rien à lui reprocher. Il n’a jamais été interrogé par un magistrat. Sa femme essaie en vain de joindre le chef du service qui le tient enfermé, elle ne peut arriver à se faire recevoir.” (Maurice Garçon, Journal 1939-1945)

Epinal – Châtel-Nomexy (et retour). Michel Rocard, Mes points sur les i : Propos sur la présidentielle et la crise, Odile Jacob, 2012.

VENDREDI.

Lecture. L’Imposteur (El impostor, Javier Cercas, Penguin Random House, Barcelone, 2014 pour l’édition originale, Actes Sud, coll. Lettres hispaniques, 2015 pour la traduction française, traduit de l’espagnol par Elisabeth Beyer et Aleksandar Grujicic; 416 p., 23,50 €).

      Avec quelques aminches, nous discutions l’autre jour de l’histoire Jean-Claude Romand, profitant du fait que nous étions à proximité des lieux où celui-ci avait vécu et commis ses forfaits. De son histoire et du livre magistral qu’en avait tiré Emmanuel Carrère, en 2000, sous le titre L’Adversaire. Javier Cercas évoque L’Adversaire dans son Imposteur, et pour cause : lui aussi s’intéresse à un personnage réel qui a construit sa vie autour d’un mensonge. Il s’agit d’Enric Marco, un homme emblématique, un combattant de toutes les justes causes, infatigable défenseur de la liberté : membre puis dirigeant de la CNT, combattant antifranquiste, survivant de l’Holocauste et à ce titre président de l’Amicale de Mauthausen… où il n’avait jamais mis les pieds. Enric Marco a construit de toutes pièces une vie glorieuse de résistant, de héros, et a réussi à la faire gober à tous pendant des décennies. Lorsque Cercas entreprend de faire le récit de la vie de Marco et de confronter la légende à la réalité, celui-ci est déjà tombé, sa forfaiture révélée. Cercas ne peut donc construire son livre sur la révélation du secret, d’autres s‘en sont chargés avant lui. Il choisit donc une piste à trois voies : une pour la vie – réelle et fictive – de Marco, une pour la genèse et la fabrication de son livre, une sur les questions soulevées par cette histoire. Cette troisième voie est la plus riche car Cercas la parcourt sur un rythme alerte, avec un art consommé de la construction argumentée. Il apparaît comme un intellectuel touche-à tout capable, à partir du cas Marco, de disserter sur les liens entre vérité et mensonge, sur le rôle du romancier, sur Don Quichotte, Montaigne et Nietzsche, sur l’Histoire, sur l’industrie de la mémoire, l’engagement et bien d’autres choses. Le tout est d’intérêt inégal, parfois répétitif, mais assurément le fait d’un esprit brillant.

Football. SA Spinalien – Chambly 3 – 1.

Le cabinet de curiosités du notulographe. Homme tentant de photographier l’intégralité du Christ quittant le prétoire (600 x 900 cm), Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (Bas-Rhin), photo de l’auteur, 29 octobre 2015.

SAMEDI.

Lecture. Capharnaüm n° 4 (Finitude, printemps 2013; 120 p., 15,50 €).

“Les éditions du Scorpion : l’édition en noir et rouge”.

Aux éditions du Scorpion est attachée la figure de Jean d’Halluin, son créateur et animateur dans une période allant de 1946 à 1969. Un drôle de zèbre, ce Jean d’Halluin, que l’on découvre dans un portrait dû à Guy Durliat et à travers un choix de lettres : un flair certain qui lui permet d’inscrire à son catalogue des gens comme Boris Vian, Raymond Queneau, Léo Malet, Raymond Guérin, et de faire confiance à un jeune graphiste nommé Massin pour ses couvertures, un goût du scandale qui l’amènera à fréquenter bien des prétoires (ne serait-ce que pour J’irai cracher sur vos tombes), un manque de scrupules qui le conduit à créer, en 1948, un Prix du Tabou “décerné, dira Boris Vian, par les auteurs du Scorpion aux auteurs du Scorpion, et arrosé par le directeur du Scorpion”. Mais ce qui caractérise Jean d’Halluin tout au long de sa vie qui s’achèvera de triste façon en 1980, c’est la dèche : il a beau connaître des succès, l’argent lui brûle les doigts et file aussitôt gagné. Ce dont témoignent les lettres échangées avec Raymond Guérin, qui publia chez lui La Main passe et qui lui amena Georges Hyvernaud, avant de quitter le navire du Scorpion, fatigué d’attendre d’être payé.

Films vus pendant la semaine. Du silence et des ombres (To Kill a Mockingbird, Robert Mulligan, E.-U., 1962)

Men, Women and Children (Jason Reitman, E.-U., 2014)

Les Démons de la liberté (Brute Force, Jules Dassin, E.-U., 1947)

Le dernier coup de marteau (Alix Delaporte, France, 2014)

L’Homme idéal (Xavier Gélin, France, 1997)

Lost River (Ryan Gosling, E.-U., 2014).

   L’Invent’Hair perd ses poils.

  

Sutton, Londres (Angleterre, R.-U.), photo de Benoît Howson, 23 juillet 2010 / Paris (Seine), rue Poulet, photo de l’auteur, 7 mars 2013

Poil et plume. “La seule occase de jacter pendant le stage, avec l’auxiliaire coiffeur, lorsque le maton ne nous surveillait pas. Ce merlan il avait une tronche de gigolpince rastaquouère que ça m’étonnait qu’il ait pu battre les repentis sans donner l’éveil. Pourtant bien ce qu’il prétendait. […]

“ Y sont les plus forts. A nous d’être les plus vicieux. Bon… je te laisse pas les pattes, ça fait mauvais genre. Ici, faut faire gaffe à tout. Tiens, ce qu’ils aiment bien c’est la coupe en brosse. Je t’en ferai une samedi, je suis devenu un champion de la brosse. Dire qu’autrefois je ne travaillais que chez les dames !…” (Alphonse Boudard, La Cerise)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

22 mai 2016 – 710

MERCREDI.

Ephéméride. “Article de Charles Buet sur Le Christ aux Outrages, en première page du Figaro. Combien il est digne de ce journal d’avoir refusé mon travail sur le même sujet pour héberger une telle prose ! Charles Buet ! Celui-là, du moins, ne calcinera pas l’abonné.” (Léon Bloy, Le Mendiant ingrat, 11 mai 1892).

Epinal – Châtel-Nomexy (et retour). Virginie Despentes, Vernon Subutex, Le Livre de poche, 2016.

VENDREDI.

Vie ferroviaire. Dans le 8 heures 08, un jeune homme au visage triste s’assoit face à moi. Je le reconnais immédiatement, on l’a souvent vu dans la presse ces derniers temps. C’est Antoine Deltour. Je ne comprends pas grand-chose à son affaire mais je sais de quel côté je suis dans le procès qui l’oppose à la justice luxembourgeoise. Je le laisse en paix, continue à ligoter, ou plutôt à faire semblant car je pense à son père que j’ai côtoyé dans le milieu syndical au début des années 1990. Au moment de descendre à Châtel-Nomexy, je lui dis “Bon courage”, il me remercie et m’adresse un sourire. Les sourires d’Antoine Deltour doivent être plutôt rares en ce moment.

Obituaire. Le Monde du jour publie la nécrologie de François Morellet, plasticien, mort en début de semaine. Perec avait donné le nom de Morellet à un habitant de l’immeuble cadre de La Vie mode d’emploi. Dans un entretien paru le 7 mars 2011 dans Le Monde, l’artiste déclarait : “Quand j’ai vu que Perec, dans La Vie mode d’emploi, appelait un des locataires “Morellet”, j’en ai presque pleuré. M’imaginer qu’on avait pu lui parler d’un couillon qui faisait des trucs avec des systèmes ! Je ne me suis jamais senti aussi proche d’un plasticien que de l’OuLiPo. Pour moi, ce sont des descendants d’Alphonse Allais et du Salon des incohérents, dont me nourrissait mon père.”

Le cabinet de curiosités du notulographe. Notulographe à l’étal, marché d’Epinal (Vosges), photo de l’auteur, 21 mars 2015.

SAMEDI.

  Lecture. Le Maquis de Glières : Mythe et réalité (Claude Barbier, Perrin – Ministère de la Défense, 2014; 472 p., 24,50 €).

Bénéficiant de l’ouverture d’archives inaccessibles aux premiers auteurs qui se sont penchés sur l’histoire du maquis de Glières, Christophe Barbier a le souci de revisiter les événements de février-mars 1944, longtemps considérés comme la première bataille de la Résistance, avec un œil neuf. D’abord en réinscrivant les faits dans le temps long de l’Histoire – celui de la Savoie annexée en 1860 par la France – et dans le temps particulier de la guerre. En soulignant que la motivation première des jeunes gens qui sont montés sur le plateau de Glières était d’échapper au STO, il estompe d’emblée la dimension patriotique et résistante qui fut mise en avant par la suite. En reconstituant minutieusement les événements à partir des rapports, télégrammes et témoignages recueillis, il en arrive à constater que la majorité des maquisards ne sont pas tombés les armes à la main face à une offensive massive des Allemands mais ont été arrêtés et exécutés – par la Milice principalement – dans la vallée après avoir reçu l’ordre de quitter le plateau : “Glières n’a donc pas tant été une opération militaire qu’une affaire de représailles, policières au demeurant.” En faisant de Maurice Anjot le personnage le plus important du maquis, il écorne la gloire posthume de Tom Morel longtemps célébrée. Le mythe des 12000 Allemands lourdement armés montant à l’assaut du plateau tenu par 500 hommes ne tient pas face au travail de Barbier et celui-ci, après l’avoir démoli, donne les raisons de sa construction. Inutile de dire que son livre a été mal reçu ici, en Haute-Savoie, par les associations qui s’occupent de perpétrer la geste de Glières. Cependant, les informations livrées par Barbier ne sont pas toutes des révélations : profitant d’une escapade savoyarde, je suis retourné aujourd’hui sur le site que j’avais déjà parcouru en 2000, et j’ai pu me rendre compte à la lecture des panneaux didactiques qui le parsèment que la version désormais livrée au public est plus proche de la réalité que du mythe. Une réalité suffisamment héroïque – tenir un mois d’hiver sur un plateau isolé sous la menace d’ennemis intérieurs et extérieurs – pour se suffire à elle-même.

Curiosité : un des officiers présents sur le plateau, en charge du ravitaillement, était un Vosgien, Pierre Bastian, né à Bazoilles-sur-Meuse. Son nom figure sur le monument aux morts du village, entré dans l’IPAD le 26 décembre 2004.

Films vus pendant la semaine. Pasolini (Abel Ferrara, France – Belgique – Italie, 2014)

Intrigues en Orient (Background to Danger, Raoul Walsh, E.-U., 1943)

Red Lights (Rodrigo Cortés, Espagne – E.-U., 2012)

L’Enclos (Armand Gatti, France – Yougoslavie, 1960)

Une belle fin (Still Life, Uberto Pasolini, R.-U. – Italie, 2013).

L’Invent’Hair perd ses poils. Des notuliens m’ont fait découvrir en début de semaine les propos de Mara Goyet (on se souvient qu’elle avait obtenu un brin de notoriété avec le récit de son expérience d’enseignante, littérature passionnante s’il en est, ce qui l’autorise à avoir désormais un avis sur tout) qui consacre une page de son blog à dire tout le mal qu’elle pense des jeux de mots affichés par les coiffeurs sur leurs enseignes : “J’aime  les jeux de mots, les étincelles qu’ils produisent. Et pourtant, ceux que l’on trouve dans les  commerces (coiffeurs en priori-thé) ne me charment jamais. Pis, je les ai en horreur, ils m’écœurent.” Laissons madame à son écœurement et continuons à nous poiler entre nous à l’écart des pisse-vinaigre.

  

  Peyrat-la-Nonière (Creuse), photo de l’auteur, 9 août 2010 / Pont-de-Vaux (Ain), photo de Marc-Gabriel Malfant, 5 octobre 2013

              Poil et plume. “Ah, la nièce de Mme van Boolen – et le rire lui faisait monter les larmes aux yeux – ah, elle était trop drôle à voir en arrivant ici; elle était coiffée comme une fille de la campagne, avec de grosses nattes tournées autour de la tête et un bon poids de lourdes épingles à cheveux en fer. La coiffeuse n’imaginait pas qu’on fabriquait encore pareils instruments de torture en Europe, elle devait en avoir encore deux quelque part dans un tiroir qu’elle avait gardées comme objets de curiosité.” (Stefan Zweig, Ivresse de la métamorphose)

MARDI.

Lecture. Le Scandale du Père Brown (The Scandal of Father Brown, Gilbert Keith Chesterton, 1935, rééd. in « Les Enquêtes du Père Brown », Omnibus 2008; traduction de Jeanne Fournier-Pargoire révisée par J.-F. Amsel; 1212 p., 28 €).

“Chose assez étrange, une fois en mouvement, il montra assez de souplesse pour se confondre en courbettes, et il faisait penser à un escabeau courtois ou à un obséquieux séchoir à serviettes.” C’est pour ce genre de phrase qu’on continue à lire Chesterton : elles viennent illuminer d’un humour bienvenu des enquêtes qui, on l’a déjà dit ici, sont souvent embrouillées et décevantes. N’importe, tant qu’il reste des pépites à glaner.

MERCREDI.

Vie automobile. Jour de grève ferroviaire aujourd’hui, je suis obligé de prendre l’auto. Hier, j’ai dit à une voyageuse qui fait les mêmes trajets que moi que je pourrais la conduire. Elle m’attend ce matin à la porte du garage. Je la fais monter, contourne l’habitacle et entre à mon tour dans le véhicule. Pour m’apercevoir aussitôt que j’ai fait une erreur : la lady pue atrocement. La pisse, la crasse, que sais-je, je ne perds pas mon temps à analyser la chose. Je roule à toute vibure, vitres et bouche largement ouvertes, en priant pour qu’il n’y ait pas trop de feux rouges et je dépose mon odorant colis avec un immense soulagement. Je crois que ma carrière de Bon Samaritain va s’arrêter là. Le covoiturage, c’est bien, l’hygiène, c’est mieux.

Ephéméride. “Réveil 11 heures par Bébert. La triste flotte continue à choir désespérément.

J’achève enfin la nouvelle que j’intitule L’Ingrate. Elle ne vaut que par quelques effets de style, et le ton “fantaisie” m’est très difficile à soutenir. Enfin, si Fallet devient un nom, un jour elle se casera sans difficulté. Mieux vaut toujours en avoir une d’avance.

Je ne sais que faire. Je m’ennuie. Eux vont à l’Alhambra voir le profiteur de la connerie publique Bourvil, places à deux cents balles. Très peu pour moi. Je resterai chez nous. Dédé doit venir.

Je travaille sur le Larousse. Dédé vient avec son cousin. Après-midi calme à bricoler. Je fais enthousiasmer la foule avec Prévert. Une grande, bien grande chose que sa Crosse en l’air.

Je monte chez Dédé taper la nouvelle. En passant, je mets la carte à la boîte. Je le regrette un peu, c’était si simple de garder le silence. Il est vrai que, de toute façon, un mois et demi après ça ne prête guère à conséquence. Et puis, hein, ce n’est pas moi qui commande, c’est le destin.

Tapé la nouvelle presque en entier. Elle n’est pas très longue, tant pis, le sujet était bien mince. Finir de la taper, où ça ?

Croûte en famille, Pusset + la brave mère Viratelle à langue leste et verte.” (René Fallet, Carnets de jeunesse, Dimanche 18 mai 1947)

VENDREDI.

Le cabinet de curiosités du notulographe. Faire commerce de tout à Epinal (Vosges), photo de l’auteur, 7 juin 2015.

SAMEDI.

Films vus pendant la semaine. La Cité sans voiles (The Naked City, Jules Dassin, E.-U., 1948)

Qui c’est les plus forts ? (Charlotte de Turckheim, France, 2015)

J’aime regarder les filles (Fred Louf, France, 2011)

Un village presque parfait (Stéphane Meunier, France, 2014)

Little Children (Todd Field, E.-U., 2006)

Le Virtuose (Boychoir, François Girard, Pays-Bas – E.-U., 2014).

L’Invent’Hair perd ses poils.

  

Sutton, Londres (Angleterre, R.-U.), photo de Benoît Howson, 23 juillet 2010 / La Nouvelle-Orléans (Louisiane, E.-U.), photo de Danielle Constantin, 16 août 2011

              IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental). 28 septembre 2014. 128 km. (27082 km).


52 habitants

  Dans ce village perdu, le monument se dresse devant la Mairie. C’est une colonne de granit entourée de quatre thuyas en boule, lesquels relient des plates-bandes engazonnées ou couvertes de fleurs en fin de carrière. Un bouquet artificiel est posé à l’avant. Une croix de Lorraine, une Croix de Guerre et une palme métallique jouent le rôle ornemental. Notre arrivée est saluée par un membre de la population locale qui me demande si je prépare “un ouvrage”. Impossible, au vu de ses mollets poilus et des pinces à cheveux qu’il a sur le crâne, de déterminer s’il s’agit d’un homme ou d’une femme.

Aux enfants de Le Mont

Morts pour la France

1914-1918

BENOIT Alexandre

BRIGNON René LT

GRAMMONT Édouard

GRANDADAM Marcel SergT

MARCHAL Léon

SUBLON Eugène

1939-1945

Déporté ou S.T.O.

               PERCHOTTE Raymond

              Poil et plume. “Ensuite, ma petite, décide-t-elle, sur un ton sans réplique,  je t’emmène chez notre artiste capillaire qui donnera un bon coup de ciseaux dans ta crinière. Chez nous, il n’y a plus que les Indiens pour porter les cheveux comme tu le fais. Tu verras, comme tu te sentiras la nuque plus dégagée quand tu seras débarrassée de cette masse de cheveux qui cache ton cou. Non, pas d’objection. Je m’y entends mieux que toi, laisse-moi faire, ne t’occupe de rien. Et maintenant, habille-toi, nous avons une masse de temps devant nous, Anthony est à son poker de l’après-midi. Ce soir, je veux te présenter à lui complètement métamorphosée. Allez, ma petite.” (Stefan Zweig, Ivresse de la métamorphose)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

8 mai 2016 – 709

MARDI.

En feuilletant Livres Hebdo. Dans la rubrique “Bande dessinées, Mangas” : “Takeshi Ohmi, Anus beauté. 1, Kurokawa, 2016; 176 p., 8,90 €. A 16 ans, Mitsuki Yakushiji serait parfaitement heureux si des hémorroïdes ne lui gâchaient pas l’existence. Il cache son problème mais Shiori Miura, une camarade de classe frappée du même mal que lui, le démasque. Elle connaît tout sur cette maladie et est bien décidée à aider Yakushiji à la combattre. Au fil des pages, l’auteur donne des conseils pour prévenir et soigner les hémorroïdes.”

Lecture. Nymphéas noirs (Michel Bussi, Presses de la Cité, 2011, rééd. Pocket, 2013; 502 p., 7,80 €).

Après un début de carrière confidentiel, Michel Bussi est devenu, avec ce titre et ceux qui l’ont suivi, un gros vendeur. Comme beaucoup de ses collègues qui occupent les sommets des palmarès, il ne se distingue pas par son style, use d’une écriture sans relief, ce qui est préférable à une recherche de style ratée. Cependant, il n’attire pas les sarcasmes à la manière des Musso, Levy, Pancol et consorts. Il semblerait d’ailleurs que les gros vendeurs de littérature policière à style plat, les Grangé, les Thilliez, soient plutôt ménagés par la critique comme si, au fond, le fait d’appartenir à un genre mineur les autorisait à des platitudes que l’on refuse aux autres. Après tout, c’est du polar, donc c’est normal, ce n’est pas grave. Le joli coup réussi par Michel Bussi avec ses Nymphéas repose sur deux atouts : la Normandie qu’il habite et son habileté à construire et mener une intrigue complexe reposant sur le mélange des points de vue et des époques. Le premier lui permet d’utiliser de façon remarquable un cadre original, le village de Giverny, devenu une sorte de musée impressionniste à ciel ouvert envahi par les touristes. L’évocation du culte de Monet et des dérives auquel il donne lieu constitue d’ailleurs le meilleur du livre. Car le deuxième atout, l’intrigue, débouche sur un final un peu décevant qui n’est pas tout à fait à la hauteur des espérances du lecteur, baladé tout de même sur plus de quatre cents pages. Une balade agréable, certes, mais ledit lecteur n’en aurait pas voulu à l’auteur si celui-ci lui avait fait prendre quelques raccourcis.

                          Phases (Tristan Tzara, éd. Pierre Seghers, 1949, rééd. in “Poésies complètes”, Flammarion, coll. Mille & une pages, 2011; 1760 p., 35 €).

MERCREDI.

Ephéméride.Di. 4.5.1986

   Ciel voilé, matin frais. Penché sur les épreuves jusqu’à midi.

Après déjeuner, tous les quatre en promenade jusque sur le versant opposé de la vallée. L’air est tiède. Le taillis, au-delà de Vaugondran, a été éclairci, le chemin défoncé par les engins de débardage. Il reste, sur le terrain, de belles billes de chêne et de frêne. Charmes et bouleaux ont été débités en rondins. Certains, d’un diamètre respectable, se prêteraient à la sculpture. Un brouillard vert de feuilles neuves enveloppe les bois. Le sol est bleu d’endymions. Le coucou chante. La chaleur énerve. Sur le plateau, le blé vert s’étend à perte de vue. Il est relevé, au loin, de haies fleuries. Toujours, sur ce rebord, sensation délicieuse d’être hors du monde. Nous redescendons en longeant l’interminable mur de meulière de la grande propriété à l’abandon. De légions de petits cerisiers en fleur parfument l’air qu’on respire.

Pas la force de reprendre la plume, au retour. Je passe sur la terrasse et attaque la grosse bûche d’if que m’a apportée Cl. La dureté de ce bois est une surprise toujours renouvelée. Armé de la scie canadienne, je dégage les volumes, une tête, un tronc. Il me faut ensuite délarder profondément pour trouver, sous l’aubier, le duramen luisant, orangé.

En soirée, je lis L’Afrique vivante, de Pierre Béarn, qui est poète, aussi, et cela se sent, agréablement.” (Pierre Bergounioux, Carnet de notes 1980-1990)

Lecture. Nouvelle du jeu d’échecs (Schachnovelle, Stefan Zweig, 1942, traduit de l’allemand par Bernard Lortholary, in “Romans, nouvelles et récits II”, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade n° 588, 2013; 1574 p., 65 €).

JEUDI.

Sinéraire amphore. J’ai acheté ce matin Siné Mensuel. J’achète Charlie Hebdo par solidarité, je lis Siné Mensuel par plaisir. Le mois dernier, la chronique de Siné était manquante, pour cause de santé chancelante de son rédacteur. J’ai donc été rassuré de la retrouver dans ce numéro, c’était plutôt bon signe. Et puis j’apprends ce soir, par le canal notulien, que Siné vient de mourir. L’été dernier, lors d’une visite au cimetière Montmartre, j’avais cherché la tombe de Siné, sachant qu’il avait pris ses dispositions et fait ériger un monument aisément reconnaissable en prévision de sa fin. Chou blanc. En désespoir de cause, je m’étais adressé au conservateur qui n’avait pas voulu me renseigner : “On ne donne pas l’emplacement des tombes des personnes vivantes” (sic). J’avais alors entrepris un arpentage systématique qui fut finalement couronné de succès. J’avais mis ces photos en réserve, espérant les utiliser le plus tard possible.

    
Paris (Seine), photos de l’auteur, 19 août 2015

VENDREDI.

Lecture. Le Voyage d’Octavio (Miguel Bonnefoy, Rivages, 2015; 128 p., 15 €).

Roman sélectionné pour le Prix René-Fallet 2016.

Le cabinet de curiosités du notulographe. Enseigne dumasienne à Mantes-la-Jolie (Yvelines), photo de Sylvie Mura, 30 août 2015.

SAMEDI.

Films vus. La Nuit des généraux (The Night of the Generals, Anatole Litvak, R.-U. – France, 1967)

Loin des hommes (David Oelhoffen, France, 2014)

La Faute à Fidel (Julie Gavras, Italie – France, 2006)

Les Recettes du bonheur (The Hundred-Foot Journey, Lasse Hallström, Inde – Emirats arabes unis – E.-U., 2014)

L’Inconnu de Las Vegas (Ocean’s Eleven, Lewis Milestone, E.-U., 1960)

Phoenix (Christian Petzold, Allemagne – Pologne, 2014)

Le Secret de la pyramide (Young Sherlock Holmes, Barry Levinson, E.-U., 1985).

L’Invent’Hair perd ses poils. Hommage à George Sand.

  

Felletin (Creuse), photo de l’auteur, 31 juillet 2010 / Étival-Clairefontaine (Vosges), photo du même, 9 janvier 2011

IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental). 14 septembre 2014. 148 km. (26954 km).


218 habitants

   Pas de monument extérieur visible. Une des deux églises est ouverte. J’y trouve, sur le mur du fond, un cadre doré avec des dessins (drapeaux, croix, rameaux) et des inscriptions (parfois effacées) faits à la main. On y trouve les noms des morts originaires des deux villages réunis pour former la commune de Moncel-sur-Vair.

Paroisses de Happoncourt et de Gouécourt

A la mémoire de ceux qui sont tombés au champ d’honneur

1914-1918

MAGRON Henri Célestin mort des suites de ses blessures à St-Julien (Belgique) le 21 octobre 1914

HENRY Camille Lucien mort des suites de ses blessures à l’hôpital de Dieuze 1914

VOGT Louis Joseph tué à l’ennemi à Burchoote (Belgique) le 17 janvier 1915

CLAUDOT Edmond Maurice tué à l’ennemi à ?

COLIN Émile Nicolas tué à l’ennemi à Carency (Pas-de-Calais) le 19 mai 1915

LOMONT Gabriel Raymond tué à l’ennemi à Neuville-St-Vaast (Pas-de-Calais) le 23 mai 1915

VOGT Étienne Auguste tué à l’ennemi au nord de ? le 28 juin 1915

VARNIER Louis Charles Émile tué à l’ennemi à Ablaincourt (Somme) le ?

AUBRIOT Harmand Georges Émile tué à l’ennemi à ?

GENIN Nestor Charles disparu au combat du plateau des Courières (Meuse) le 8 septembre 1917

              Poil et plume. “Ces petites gens de la campagne n’ont pas perdu toutes les habitudes paysannes; ils font encore deux ou trois métiers en même temps. Mais les buralistes de campagne ont très souvent une petite occupation en plus et je n’y avais absolument pas pensé jusqu’à ce que je voie le menton de Vaudrey. Neuf fois sur dix, on parle de “bureau de tabac”, mais il s’agit aussi d’une boutique de coiffeur et de barbier. Il s’était coupé la main et il ne pouvait pas se raser lui-même : alors il est venu ici.” (Gilbert Keith Chesterton, Le Secret du Père Brown)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1er mai 2016 – 708

DIMANCHE.

Lecture. Clarissa (Clarissa. Ein Romanentwurf, Stefan Zweig, S. Fischer Verlag, Francfort-sur-le-Main, 1990 pour l’édition allemande, traduit de l’allemand par Claudine Layre, in “Romans, nouvelles et récits II”, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade n° 588, 2013; 1574 p., 65 €).

Vie des arts. Nous emmenons notre jeune Finlandaise au Musée des Beaux-Arts de Nancy. Où, comme tout nouveau visiteur, elle est frappée par La Toussaint et les autres toiles d’Emile Friant. Dont la facture lui rappelle, dit-elle, celle d’un artiste de son pays, Albert Edelfelt, contemporain de Friant. Au retour, je me documente. La remarque est juste, et on peut même l’appliquer à un autre artiste lorrain présent à Nancy, Jules Bastien-Lepage, qu’Edelfelt a d’ailleurs fréquenté à Paris dans les années 1880.

  

Jules Bastien-Lepage, Les Foins, 1877 / Albert Edelfelt, Larin Paraske, 1893

MARDI.

Lecture. Ubu enchaîné (Alfred Jarry, éditions de la Revue blanche, 1900, rééd. in Œuvres complètes I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 236, 1972; textes établis, présentés et annotés par Michel Arrivé; 1328 p., s.p.m.).

          La Fuite (Tristan Tzara, Gallimard, 1947, rééd. in “Poésies complètes”, Flammarion, coll. Mille & une pages, 2011; 1760 p., 35 €).

MERCREDI.

  Lecture. Etait-ce lui ? (War er es ?, Stefan Zweig, 1942, traduit de l’allemand par Laure Bernardi, in “Romans, nouvelles et récits II”, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade n° 588, 2013; 1574 p., 65 €).

Ephéméride. Inauguration aujourd’hui sous ce titre d’une nouvelle rubrique hebdomadaire. Laquelle a pour but de donner à manger aux notules, qui maigrissent un peu ces derniers temps, et de poursuivre un processus d’effacement progressif du notulographe qui préfère se retrancher derrière ceux qui ont quelque chose à dire – ou à montrer avec les photographies. Les rayonnages sont pleins de journaux, mémoires, souvenirs, correspondances que je ne lirai jamais in extenso. L’éphéméride me permettra au moins de les feuilleter et de les découvrir par bribes puisqu’il s’agira, chaque mercredi, d’en extraire un texte écrit auparavant à la même date, soit aujourd’hui le 27 avril. La permanence du mercredi devrait autoriser, au bout du compte, une exploration calendaire complète.

“On veut que je vienne déjeuner Jeudi, avec le roi de Suède Gustave V, que je connais. Mais je me contente de lui laisser un petit souvenir, un croquis pour son menu. Le premier Janvier 1914, appelé à la Villa La Forêt, de Cannes, chez les Princes de Saxe-Meiningen, j’entre dans le salon. La princesse Charlotte me désignant un monsieur à pince-nez d’or, à quatre pattes sur le tapis, devant une gravure de Napoléon, posée par terre contre un fauteuil, me dit :

“Mettez-vous aussi à quatre pattes et tâchez de me trouver la signature du graveur. Je viens d’acheter ce cadre chez un antiquaire.

J’obéis et j’engage la conversation en riant, avec ce monsieur inconnu. Je perds l’équilibre, me cramponne à son épaule nous tombons tous les deux. A ce moment le maître d’hôtel ouvre les portes et dit :

– Sa Majesté le Roi est servi.

Nous nous redressons et je dis à mon compagnon :

– Il y a donc un Roi ici ?

– Oui, répond-il, c’est moi…”

C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Gustave V de Suède.” (Ferdinand Bac, Livre journal 1920, mardi 27 avril 1920)

VENDREDI.

Epinal – Châtel-Nomexy (et retour). Fitzek / Tsokos, L’Inciseur, Le Livre de poche, 2016.

Football. SA Spinalien – Fréjus-Saint-Raphaël 0 – 1.

Le cabinet de curiosités du notulographe. Métiers rares.

  

Strasbourg (Bas-Rhin), photo de l’auteur, 29 octobre 2015 / Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo du même, 9 janvier 2016

SAMEDI.

Lecture. Critique n° 815 (éditions de Minuit, avril 2015; 11,50 €).

“Quand l’écriture s’expose : Michel Leiris”

Films vus. Le Diable s’habille en Prada (The Devil Wears Prada, David Frankel, E.-U. – France, 2006)

Night Run (Run All Night, Jaume Collet-Serra, E.-U., 2015)

Révolte au zoo (Zoo in Budapest, Rowland V. Lee, E.-U., 1933)

Everything Will Be Fine (Werner Herzog, Allemagne – Canada – France – Suède – Norvège, 2015)

The Lost Moment (Martin Gabel, E.-U., 1947)

Survivor (James McTeigue, E.-U. – R.-U., 2015).

L’Invent’Hair perd ses poils.

Perpignan (Pyrénées-Orientales), photo de Marc-Gabriel Malfant, 23 juillet 2010

Poil et plume. “[Jean Lorrain] avait une tête poupine et large à la fois de coiffeur vicieux, les cheveux partagés par une raie parfumée au patchouli, des yeux globuleux, ébahis et avides, de grosses lèvres qui jutaient, giclaient et coulaient pendant son discours.” (Léon Daudet,  Souvenirs)

Bon dimanche,

Philippe DIDION