21 août 2016 – 719

N.B. Le prochain numéro des notules sera servi le dimanche 4 septembre 2016.

DIMANCHE.

Lecture. Mariage en douce : Gary & Seberg (Ariane Chemin, Équateurs, 2016; 160 p., 15 €).

Du mariage de Romain Gary avec Jean Seberg dans un village corse en 1963, on sait très peu de choses. Et pour cause : Gary tenait au secret et avait, par ses relations, les moyens de l’imposer. Pour Le Monde, Ariane Chemin mena une enquête pour en savoir plus, enquête qu’elle développe ici. Le chat est maigre : elle a identifié les témoins, retrouvé et interrogé le maître-d’œuvre de la cérémonie, aujourd’hui nonagénaire. Comme cela ne fait pas un volume, elle meuble en se livrant à un survol biographique des deux époux, qui n’ajoute rien à ce que l’on sait déjà. Le livre est léger, faible, entaché de maladresses. Je me suis demandé en le lisant ce qui avait conduit les critiques du Masque et la Plume à le porter au pinacle avant d’avoir cette pensée sans doute coupable : Ariane Chemin est leur consœur.

Vie radiophonique. “Je n’ai jamais bu une goutte d’alcool de ma vie” (Nicolas Sarkozy hier sur RTL). Ça ne l’empêche pas d’être aussi pénible que Renaud.

MARDI.

Lecture. Donc c’est non (Henri Michaux, Gallimard, 2016; 208 p., 19,50 €).

Lettres réunies, présentées et annotées par Jean-Luc Outers.

Pierre Bergounioux, que je lis en parallèle, dit toujours oui. Sollicité sans cesse pour une émission de radio, un film, un entretien, une séance photo, une intervention, un colloque, une préface, un article, il accepte et se plie à toute demande – ou alors il tait celles qu’il décline. Ce qui l’amène à jouer serré avec son emploi du temps, à courir continuellement aux quatre coins de Paris, de la France, à Bruxelles, à Zurich, ailleurs, et à voir sa thébaïde corrézienne des Bordes envahie chaque été par des gens porteurs de micros et caméras. Comme il ne se sent pas responsable d’une œuvre à faire, il estime que c’est là son rôle, même si les récriminations sont nombreuses sur le fait de n’avoir pas un moment à lui et la fatigue occasionnée par cette existence : “Encore des rendez-vous, des demandes d’articles, d’entretiens. J’y passe ma vie. je ne m’appartiens plus.” Henri Michaux, lui, avait résolu le problème d’une autre façon en répondant ou faisant répondre non à toute sollicitation : pas d’interview, pas de photo, pas de réédition, pas de Pléiade (cela se fera après sa mort), pas de reprise de ses textes sous quelque forme que ce soit (revue, théâtre,  chanson…). Jean-Luc Outers rassemble ici toutes ses lettres de refus, toujours courtoises mais fermes. Cela n’ a pas empêché l’œuvre de Michaux, cultivée à l’ombre, éditée le plus souvent de façon confidentielle, d’avoir aujourd’hui le rayonnement qu’on lui connaît. L’histoire dira quel sort sera réservé à celle de Bergounioux.

Vie des livres. Je range les acquisitions de Creuse, constate la présence d’un seul doublon, Mon amie Nane. J’avais oublié que je possédais un volume des œuvres complètes de Paul-Jean Toulet. Nane ira rejoindre les livres sortis des rayonnages en cette période estivale propice au rangement, et promis à quelque boîte à livres ou bibliothèque de campagne. Mais il est temps d’accompagner Lucie à Nancy où je m’échappe pour une nouvelle récolte : du neuf (Lacretelle, NRf, Satie) et de l’ancien (Ajar – doublon –, J.-V. Daubié, édition inconnue de La Vie mode d’emploi et un volume prometteur de Pierre Dufoyer, le bien nommé, intitulé La Vie conjugale au fil des jours édité par L’Action familiale de Bruxelles en 1951.

MERCREDI.

Éphéméride. “Lundi, 10 août [1936]

Cinquième jour de pluie. On est en plein novembre. Aucun signe d’amélioration, nulle part. J’ai l’impression que c’est fini, que je ne verrai plus un ciel serein, ici, à Ghilcoș.

J’en suis à la scène finale, celle à propos de laquelle, la nuit de mars où j’ai esquissé pour la première fois le schéma de ma pièce, je notais : “La grande scène, difficile à écrire.” Je m’en approche craintivement. Qu’est-ce que ça va donner ? Si je la finis aujourd’hui ou demain, je m’accorderai une journée de répit avant de passer au troisième acte.

Serait-il possible que je rentre à Bucarest avec toute ma pièce achevée ?

Les pages écrites hier me déplaisent assez. Mais je ne veux pas que ce soit une entrave en ce moment. J’essayerai de les revoir à la fin. Pour l’instant, je les trouve exagérées. La transition est trop brusque, les effets trop marqués.” (Mihail Sebastian, Journal 1935-1944)

VENDREDI.

Football. SA Spinalien – Les Herbiers 1 – 1.

Le cabinet de curiosités du notulographe. Hommage de la Creuse à Claude Chabrol, qui y vécut enfant.

Châtelus-Malvaleix (Creuse), photo de l’auteur, 27 juillet 2015

SAMEDI.

Lecture. Missing : New York (Don Winslow, Alfred A. Knopf, 2014 pour l’édition originale, Le Seuil, coll. Policiers, 2015 pour la traduction française, traduit de l’américain par Philippe Loubat-Delranc; 320 p., 21,50 €).

Je n’ai jamais été totalement convaincu par les polars de Don Winslow et j’ai bien cru que celui-ci allait enfin m’ôter toute réticence à son égard. Il y met en scène un policier du Nebraska qui abandonne son métier et sa famille pour se mettre en quête d’une fillette disparue. Pendant des mois, il cherche, il traque, et le côté obsessionnel de sa mission remet en mémoire le chef-d’œuvre qu’est Mortelle randonnée de Marc Behm. Plutôt que de fouiller ce côté psychologique, Don Winslow, malheureusement, donne ensuite la part belle à l’action dans un final accéléré beaucoup plus convenu. N’empêche qu’il s’agit du meilleur livre de cet auteur et qu’on s’intéressera peut-être aux autres aventures de Frank Decker, son héros.

Films vus pendant la semaine. Le Bonheur de Pierre (Robert Ménard, Canada – France, 2009)

Valley of Love (Guillaume Nicloux, France – Belgique, 2015)

Charlie et ses deux nénettes (Joël Séria, France, 1973)

Microbe et Gasoil (Michel Gondry, France, 2015)

L’Infidèle (The Unfaithful, Vincent Sherman, E.-U., 1947).

              Invent’Hair, bilan d’étape. Bilan établi au stade de 3100 salons, atteint le 16 mai 2016.

Bilan géographique.    

Classement général par pays.

  1. France : 2668 (+ 73)
  2. Espagne : 147 (+ 19)
  3. Royaume-Uni : 52 (+ 3)
  4. États-Unis : 29 (=)
  5. Belgique : 23 (=)
  6. Italie : 21 (+ 3)
  7. Portugal : 20 (=)
  8. Canada : 18 (+ 1)
  9. Suisse : 17 (=)
  10. Maroc : 15 (=)

L’Italie poursuit sa progression et dépasse le Portugal. Pas de nouveau pays à signaler, il y en a toujours 33 dans le chantier.

Classement général par régions (France).

  1. Rhône-Alpes : 523 (+ 4)
  2. Île-de-France : 394 (+ 26)
  3. Languedoc-Roussillon : 244 (+ 12)
  4. Lorraine : 217 (+ 12)
  5. Provence-Alpes-Côte-d’Azur : 188 (+ 5)
  6. Midi-Pyrénées : 170 (+ 1)
  7. Bourgogne : 109 (=)
  8. Pays de la Loire : 100 (+ 1)
  9. Bretagne : 99 (+ 1)
  10. Centre : 82 (=)

Aucun changement dans les 10 premiers.

Classement général par départements (France).

  1. Seine (Paris) : 315 (+ 24)
  2. Rhône : 274 (+ 2)
  3. Vosges : 136 (+ 4)
  4. Loire : 78 (=)
  5. Loire-Atlantique : 78 (+ 1)
  6. Pyrénées-Orientales : 77 (=)
  7. Alpes-Maritimes : 70 (=)
  8. Saône-et-Loire : 68 (=)
  9. Meurthe-et-Moselle : 64 (+ 8)
  10. Hérault : 60 (+ 3)

L’Hérault est dépassé par la Meurthe-et-Moselle et se trouve désormais sous la menace du Gard (11e) qui gagne 9 salons dans cette centaine. Mais l’événement vient de l’Eure qui était le dernier département chauve et dont l’arrivée dans le classement, avec deux salons enregistrés, signifie la couverture capillaire complète du territoire métropolitain.

Classement général par communes.

  1. Paris : 315 (+ 24)
  2. Lyon : 131 (+ 2)
  3. Barcelone : 53 (=)
  4. Nantes : 51 (=)
  5. Nancy : 37 (+ 7)
  6. Épinal 35 (+ 1)
  7. Nice : 33 (=)
  8. Villeurbanne 24 (=)
  9. Perpignan : 18 (=)
  10. Roanne : 17 (=)

“.  Strasbourg : 17 (=)

On se tire la bourre en Lorraine où Nancy passe devant Épinal. Plus loin, belle progression de Nîmes (+ 8) qui monte de la 233e à la 22e place. Le Havre ajoute 5 salons qui font passer la ville de la 100e à la 24e position. Marrakech fait son entrée, avec 6 salons, directement à la 78e place – sur 1218 communes tout de même. Parmi les nouveautés, citons Ottawa, Palerme et deux villes espagnoles qui font également une belle entrée avec 7 salons chacune, Lanjarón et Malaga.

Bilan humain. 

  1. Marc-Gabriel Malfant : 1170 (+ 3)
  2. Philippe Didion : 296 (+ 13)
  3. Pierre Cohen-Hadria : 215 (+ 3)
  4. François Golfier : 132 (+ 1)
  5. Jean-Christophe Soum-Fontez : 114 (+ 4)
  6. Hervé Bertin : 105 (+ 23)
  7. Sylvie Mura : 68 (+ 3)
  8. Benoît Howson : 65 (=)
  9. Christophe Hubert 60 (+ 2)
  10. Jean-Damien Poncet 57 (+ 30)

Sylvie Mura poursuit sa progression et gagne encore une place. Jean-Damien Poncet, qui n’est entré dans le classement que lors du précédent bilan, est déjà dans le top 10 aux dépens de Bernard Cattin (55 salons, + 3).

Étude de cas. Des salons en or.

 

Mortagne-au-Perche (Orne), photo de Christophe Hubert, 6 août 2012 / Replonges (Ain), photo de Marc-Gabriel Malfant, 5 octobre 2013

  

Épinal (Vosges), photo de l’auteur, 7 octobre 2012 / Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo de François Golfier, 13 septembre 2014

L’Invent’Hair perd ses poils.

   

Fort William (Écosse, R.-U.), photos de Benoît Howson, 29 juillet 2010

              Poil et plume. “La Clotte avait des rancunes plus grandes peut-être que celles du terrible défiguré qui était là devant elle, et dont le visage avait été si atrocement déchiré par les Bleus.

– Ils vous ont bien fait du mal, lui dit-elle; mais moi, qui les bravais, eux et leur guillotine, et qui n’ai jamais voulu porter leur livrée tricolore, faites état qu’ils ne m’ont pas épargnée ! Ils m’ont prise à quatre, un jour de décade, et ils m’ont tousée sur la place du marché, à Blanchelande, avec les ciseaux d’un garçon d’écurie qui venait de couper le poil à ses juments.

Et cet outrage rappelé creusa la voix de la vieille, et donna à ses yeux pers l’expression d’une indéfinissable cruauté.

– Oui, reprit-elle, ils se mirent à quatre pour faire ce coup de lâches ! et, quoique je n’eusse déjà plus l’usage de mes jambes, ils furent obligés de me lier, avec la corde d’un licou, au poteau où l’on attache les chevaux pour les ferrer. J’avais bien aimé et choyé mon corps, mais la maladie et l’âge l’avaient brisé. Qu’étaient, pour moi, quelques poignées de cheveux gris de plus ou de moins ? Je les vis tomber, l’œil sec et sans mot dire; mais je n’ai jamais oublié le son clair et le froid des ciseaux contre mes oreilles, et cela, que j’entends et je sens toujours, m’empêcherait, même à l’article de la mort, de pardonner.” (Jules Barbey d’Aurevilly, L’Ensorcelée)

DIMANCHE.

Extrait de mon journal de bord. “Dimanche 14 août 2016, Tignes (Savoie), 18 h 21. Sommes arrivés hier à l’appartement que les M. mettent aimablement à notre disposition, après une route longuette, ralentissements à Pontarlier et Annecy. Il est aussi difficile de se garer ici que dans une rue de Paris mais Caroline y est parvenue. Monté les valoches en deux voyages, croisé un voisin presque aimable. L’appartement est vaste, tout de chêne meublé et de pin lambrissé, doit valoir une fortune en ces lieux avec ses baies et balcons donnant sur des montagnes que les filles voient pour la première fois et avec ravissement. Pour ma part, je ne reconnais rien, je menais lorsque je suis venu ici en 1996 une vie peu propice à l’impression durable des souvenirs. Monté au lit tôt pour entamer Shakespeare en vue de Bussang. Nuit hachée, le lit est creusé au milieu, mais au final satisfaisante. Levé après 7 heures, réussi à me faire un café avec l’appareil sophistiqué qui tient lieu de cafetière. Déjeuné solo et travaillé à l’archivage hebdomadaire sur l’ordinateur. Remis mes lentilles, mon œil semble réparé, l’inflammation estompée. Lu les hebdomadaires puis me suis consacré à Laclos et à Shakespeare en attendant que tout le monde soit prêt. Le ciel est bleu mais l’altitude empêche la température de dépasser de beaucoup les 20°, ce qui sera appréciable avec les fortes chaleurs annoncées pour les prochains jours. A pied jusqu’au lac de Tignes qui semble être l’épicentre de ces lieux. Jour de marché, de foire aux vins. On m’interdit de me livrer à toute comparaison avec la Creuse et je m’y tiens, y compris dans ce cahier. La population, qui rappelle celle que l’on croisait à Mandelieu (chiens compris, sportifs en plus), m’exaspère déjà. Des remontées mécaniques (?) fonctionnent, embarquant des êtres caparaçonnés comme des Goldorak et les bicycles à gros pneus profondément crantés sur lesquels ils vont ensuite dévaler les pentes. La palme du crétinisme alpin à ceux qui ont fixé sur leur casque une petite caméra avec laquelle ils filment leurs exploits pour les faire partager – Lucie m’explique – à plus crétins qu’eux sur des trucs comme YouTube. Trouvé une maison de la presse, acheté les journaux, des cartes postales, empoché des gains – la victoire du FC Metz hier soir m’a fait du bien. Fait un tour des immeubles et commerces, trouvé du pain et un poulet rôti. Retour ici peu après midi. Croûté melon (excellent) – poulet (excellent), lu L’Équipe et monté siester une petite heure. Partis à pied vers 15 h 30 pour faire le tour du lac, ce qui est impossible : c’est du sentier qui court sur l’autre rive que seront tirés ce soir les feux d’artifice. Fait donc un demi-tour du lac, vu des truites, des colverts endormis, poussé jusqu’au Val-Claret (nous sommes ici au Jalachet). Partout des terrasses, cafés et restaurants, et des magasins d’articles de sport, des supérettes (Sherpa), peu de salons de coiffure, tous insignifiants. Autour du lac, du bruit, du monde, du mouvement. Ici, tout le monde court, trottine, galope, pédale, pagaie, dribble, danse, saute, bondit, rebondit. Partout est combattue avec acharnement l’inaction suspecte au moyen de force animations et installations. Il semble être interdit de ne rien faire, ce qui interloque mon naturel contemplatif. Nulle part ailleurs je n’ai trouvé meilleure illustration de la phrase de Pascal selon laquelle tout le malheur de l’homme vient de ce qu’il ne sait s’occuper entre les quatre murs de sa chambre. Rentrés heureux et las il y a une heure, après cette escapade d’une dizaine de kilomètres qui aura valu à Alice une belle ampoule.”

LUNDI.

Lecture. Le Songe d’une nuit d’été (A Midsummer’s Night Dream, William Shakespeare, 1600, Gallimard, coll. Folio théâtre n° 81, 2003, traduit de l’anglais par Jean-Michel Déprats; 370 p., 5,80 €).

Vie littéraire. J’apprends avec stupeur en consultant le programme radio que France Inter rediffuse ce soir la Radioscopie dans laquelle Jacques Chancel recevait Ernest Gengenbach. Des années que je cherche en vain cette émission au sujet de laquelle j’ai écrit dans tous les azimuts sans jamais recevoir de réponse. J’en connais le contenu, retranscrit par Gengenbach lui-même, mais ne l’ai jamais entendue et voilà qu’au bout de tout ce temps passé en agitation et démarches stériles elle m’est offerte sur un plateau. En marge du texte, Albert Ronsin, qui avait recueilli les archives de Gengenbach pour la bibliothèque de Saint-Dié, se demandait même s’il ne s’agissait pas d’un faux, un entretien virtuel imaginé par l’auteur. Mais la réalité de l’échange est prouvée par l’existence, dans la correspondance, d’une lettre d’auditrice qui dit combien elle a apprécié les propos de l’Ernest. Lequel lui répond, ce qui donne lieu à un échange sur la spiritualité qui court sur plusieurs lettres jusqu’à ce que l’incorrigible Gengenbach, dans une lettre ou à l’occasion d’une visite à la dame, je ne sais plus, lui propose tout simplement la botte.

Fonds Gengenbach, bibliothèque de Saint-Dié-des-Vosges (Vosges), photo de l’auteur, 5 mars 2013

Vie alpine. Nous jouons à Tartarin sur les Alpes, travaillons le galbe de nos mollets sur des sentiers escarpés jusqu’au col de Fresse avant de redescendre au Val-Claret et de parcourir la rive du lac inaccessible hier. Vu un troupeau de moutons, beaucoup de marcheurs bien sûr, fort courtois. Les cyclistes ont leurs pistes à part, Dieu merci. Vu pour la première fois des niverolles, ou pinsons des neiges – ils ne descendent pas en dessous de 2000 mètres – que je n’identifierai qu’au retour en consultant le Peterson. Entendu aussi des cris de rapaces, qui restent invisibles sur le fond sombre des parois rocheuses.

MARDI.

Vie des morts alpins. Une question me taraude depuis notre arrivée : qu’est-il advenu du monument aux morts de Tignes ? Celui du village originel, j’entends, qui a été englouti pour la construction du barrage dans les années 50. L’a-t-on laissé sous les eaux, l’a-t-on démonté pour le dresser plus haut dans une des parties de la nouvelle commune ? Ce matin, je suis allé à la Mairie pour me renseigner. La dame de l’accueil n’en savait fichtre rien – j’espère que ce n’est pas à elle qu’échoit la tâche d’organiser les cérémonies commémoratives. Derrière le comptoir du Syndicat d’initiatives officient des jeunes gens en job d’été qui ne doivent même pas savoir qu’il y a eu une guerre, j’ai renoncé à faire la queue pour les interroger. C’est par hasard que je trouverai le monument en descendant vers la vallée, dans la partie appelée Tignes 1800. Il n’y a pas d’indication concernant l’historique mais il semble bien que c’est le monument d’origine, transféré sur ces hauteurs. Ironie de la patronymie locale, on y trouve, comme sur celui de Val-d’Isère vu plus tôt en montant vers l’Iseran, des soldats français nommés Boch. Sur l’Iseran, grand froid et grand vent qui arrache ma casquette. Je me dis que j’en achèterai une autre à Val-d’Isère mais Caroline la récupère au prix d’acrobaties qui m’effraient quelque peu. De chaque côté du sommet, dans le dernier virage, des photographes prennent des clichés des motards qui y parviennent. Ceux-ci pourront ensuite commander la photo sur Internet, le montrer à leurs proches en disant “je l’ai fait”. Pour les cyclistes, je comprendrais, mais j’ai du mal à concevoir le fait de gravir un col à moto comme un exploit.

MERCREDI.

   Vie (et mort) alpine. Chez nous, les jeunes qui décèdent brutalement le font sans imagination, au volant d’une auto ou, les beaux jours venus, au guidon d’une moto. Ici, la consultation du Dauphiné libéré m’apprend que la mort accidentelle a un autre standing. On s’écrase en base jump (semaine dernière), en deltaplane (début de semaine), en parapente (avant-hier), en wingsuit (hier) ou lors d’un trail (aujourd’hui). Je ne sais ce que sont le base jump ou le wingsuit mais suis bien obligé d’admettre qu’ils donnent un certain cachet au trépas.

Vie alpine. Je suis impressionné par les moyens qui sont déployés ici pour vaincre la montagne sans effort. Je vois les installations, sans savoir exactement comment les nommer, n’ayant comme expérience passée que celle du tire-fesses de La Bresse (Vosges) qui doit dater de 1971 et m’a ôté toute envie de remonter un jour sur des skis : remontée mécanique, télésiège, télécabine, funiculaire, remonte-pente, téléphérique, téléski ? Les trajets sont gratuits en cette saison et nous prenons ce matin ce que l’on me dit être un “œuf” jusqu’à un palier élevé. Moi qui, il n’y a pas trois semaines, m’étalais de tout mon long dans l’escalator du Monoprix de Guéret (Creuse), je reste pantois. L’après-midi, promenade pédestre par le bois de la Laye sur un chemin balisé de panneaux didactiques fort bien faits, façon cours de SVT intéressant, sur la faune locale, les couloirs d’avalanche, la construction du barrage… La pluie nous surprend au milieu de notre équipée mais le soleil nous rejoindra à la sortie du couvert de mélèzes pour nous offrir, arc-en-ciel compris, une vue sur la vallée et les sommets opposés d’une beauté sidérante. Nous sommes at home, trempés, à temps pour suivre la finale du 3000 mètres steeple aux J.O. et écouter Bergounioux qui cause à la radio.

  Éphéméride. “La Grand Cabane – 17 août

La Grand Cabane n’usurpe pas son nom : avec un étage qui sert de grenier et de resserre, un hangar pour les ânes, un autre pour la réserve à sel et divers ustensiles, c’est un édifice qui se voit de loin au milieu d’une plaine dénudée, limitée à l’ouest par un escarpement continu, à l’est par l’orée d’une pinède clairsemée. La fenêtre est égayée par des rideaux à carreaux rouge et blanc qui dénotent une présence féminine. Effectivement, le berger Hyacinthe, vieux célibataire, passe ici l’été avec sa sœur Émilie qui s’occupe de lui avec tendresse et affection, comme en hiver, à Salon-de-Provence. Quand j’arrive sur le seuil, ils sont affairés et heureux car une charrette, montée à grand-peine de Rousset par la Coche et Gerland, leur a livré une cuisinière qui va améliorer considérablement leur confort; c’est ce qu’on appelle un fourneau à cochon puisqu’il sert habituellement, dans les fermes, à faire chauffer à petit feu la pâtée de cet animal; sa partie supérieure triangulaire possède trois trous où viennent s’encastrer des chaudrons au cul noir de suie.” (Mary Stevens-Stone, Voyage avec des bergers dans le Vercors, traduction par René Cuenin)

JEUDI.

  Vie des sportifs. Entendu ce matin au journal parlé de RTL cette déclaration du basketteur Florent Pietrus, qui quitte l’équipe de France après sa défaite contre l’Espagne aux J.O. : “Je pars la tête haute.” Comme le gonze culmine à 2 mètres 02, on se voit mal le contredire.

VENDREDI.

Le cabinet de curiosités du notulographe.

 

Lyon (Rhône), photo de Marc-Gabriel Malfant, 25 juin 2016

SAMEDI.

Lecture. La Fin du monde par la science (Eugène Huzar, Dentu, 1855, rééd. Ère, coll. Chercheurs d’ère, 2008; 160 p., 15 €).

Film vu. Les Enquêtes du Département V : Miséricorde (Mikkel Nørgaard, Danemark – Allemagne – Suède – Norvège, 2013).

L’Invent’Hair perd ses poils.

   

Perth (Écosse, R.-U.), photo de Benoît Howson, 4 août 2010 / Prague (République tchèque), photo de Francis Pierre, 1er octobre 2010

Poil et plume. “José Macías s’était tué dans son salon de coiffure, assis face au miroir dans son fauteuil de coiffeur.

La dernière personne à l’avoir vu vivant était une écolière qui, à huit heures et demie, remontait la Calle Bories, dans une robe noire à large col blanc; son ombre ondulait à ses côtés sur la tôle des façades. Elle jeta un regard sur les fenêtres de la maison et vit – comme elle le voyait tous les matins – le coiffeur qui la suivait des yeux derrière son store blanc. En frissonnant, elle accéléra le pas.” (Bruce Chatwin, En Patagonie)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

7 août 2016 – 718

N.B. Le prochain numéro des notules sera servi le dimanche 21 août 2016.
DIMANCHE.
                   Lecture. Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles, Arthur Conan Doyle, Newnes, 1902 pour l’édition originale, in Les Aventures de Sherlock Holmes” vol. 2, nouvelle traduction d’Eric Wittersheim, édition bilingue, Omnibus 2005).
                                 La réputation de Sherlock Holmes s’est établie principalement à partir des nouvelles qui le mettent en scène mais je préfère le Conan Doyle des romans, celui du Monde perdu, des Aventures du Brigadier Gérard ou, pour en rester à Sherlock Holmes, celui d’Une étude en rouge, magistrale entrée en matière, et de ce célèbre Chien des Baskerville. Là où les nouvelles ne nous offrent qu’une astuce propre à révéler le talent de l’enquêteur, les romans déploient une intrigue fouillée, variée, qui trouve sa solution dans l’exploration du passé de ses protagonistes. Ici, pour une fois, le personnage de Watson est mis en avant puisque c’est lui qui mène l’enquête pendant la majeure partie du livre, avant bien sûr que le grand escogriffe de Baker Street ne vienne l’aider à s’y retrouver. Atout supplémentaire, le décor, la lande anglaise et ses mystères qui, comme dans Les Hauts de Hurle-Vent, joue un rôle prépondérant et inquiétant.
                                 A haute flamme (Tristan Tzara, Imprimerie Jacquet, 1955, rééd. in “Poésies complètes”, Flammarion, coll. Mille & une pages, 2011; 1760 p., 35 €).
LUNDI.
           Lecture. Schnock n° 13 (La Tengo, décembre 2014; 176 p., 14,50 €).
                         Jean-Paul Belmondo.
                         Où l’on apprend, entre autres, qu’en 1960, Michel Audiard avait acquis les droits du Voyage au bout de la nuit en vue d’une adaptation cinématographique. La mise en scène en aurait été confiée à Godard et Belmondo, qui partageait avec Audiard un goût prononcé pour Céline, en aurait été la vedette. Las, le projet a capoté : “C’est le seul film que je regrette de ne pas avoir fait”, déclarera Bébel. On le comprend.
                         Loin du paradis (This Side of Paradise, F. Scott Fitzgerald, Charles Scribner’s Sons, New York, 1920, traduit de l’américain par Marc Amfreville et Antoine Cazé in “Romans, nouvelles et récits I”,Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 581, 2012; 1570 p., 70 €).
           Vie vacancière. Première journée pleinement satisfaisante des vacances. J’ai ressorti et fourbi le matériel de pêche, j’en ai racheté (“Le kit du débutant”, je connais mes limites), j’ai attaqué Bergounioux. Bref, ça commence à sentir la Creuse, et ça sent bon, même si le but du voyage (le hameau de Montalchier) laisse planer quelques doutes à ce sujet.
MARDI.
            Vie commerciale. J’achète chez l’opticien du produit pour l’entretien de mes lentilles. Il n’a pas le modèle grand format que je prends habituellement, je me rabats sur le un flacon de moindre contenance. L’homme de l’art me dit que c’est très pratique pour les vacances car c’est un modèle “avion” que l’on peut prendre avec soi en cabine. Je suis dans l’obligation de l’éclairer sur la fréquence des vols Épinal – Guéret.
            Vie radiophonique. Je commence à répertorier quelques dizaines (il y en a des milliers) de cassettes audio que j’ai remontées de la cave, tâche délicieuse pour un amateur de listes et catalogues. Il s’agit principalement d’archives radiophoniques que je proposerai aux amateurs de la liste ANPR en vue de numérisation, tâche que je ne peux accomplir faute de matériel et de compétence, et de mise à disposition du plus grand nombre. Si cela trouve preneur, je continuerai à remuer la poussière et à exhumer mes archives.
MERCREDI.
                  Éphéméride.                                                                                                                                                                                                                                       “Marseille, le 20 juillet 1890
Ma chère sœur,
Je vous écris ceci sous l’influence d’une violente douleur dans l’épaule droite, cela m’empêche presque d’écrire, comme vous voyez.
Tout cela provient d’une constitution devenue arthritique par suite de mauvais soins. Mais j’en ai assez de l’hôpital, où je suis aussi exposé à attraper tous les jours la variole, le typhus, et autres pestes qui y habitent. Je pars, le médecin m’ayant dit que je puis partir et qu’il est préférable que je ne reste point à l’hôpital.
Dans deux ou trois jours je sortirai donc et verrai à me traîner jusque chez vous comme je pourrai; car, sans ma jambe de bois, je ne puis marcher, et même avec les béquilles je ne puis pour le moment faire que quelques pas, pour ne point faire empirer l’état de mon épaule. Comme vous l’avez dit, je descendrai à la gare de Voncq. Pour l’habitation, je préférerais habiter en haut; donc inutile de m’écrire ici, je serai très prochainement en route.
Au revoir.” (Arthur Rimbaud, Correspondance)
VENDREDI.

                  Le cabinet de curiosités du notulographe. Politique nataliste à Paris (Seine), rue du Sommerard, photo de l’auteur, 7 novembre 2015.

SAMEDI.
              Films vus pendant la semaine. Drôles de zèbres (Guy Lux, France, 1977)
                                                                Les Profs 2 (Pierre-François Martin-Laval, France, 2015)
                                                                L’Américain (Marcel Bozzuffi, France, 1969)
                                                                Comme un avion (Bruno Podalydès, France, 2015)
                                                                Black mic mac (Thomas Gilou, France, 1986).
             Vie en Creuse. J’ai vu, avant de partir, Comme un avion, film très bobo dans lequel j’ai été sensible au personnage incarné par Sandrine Kiberlain qui accepte sans sourciller les lubies de son drôle d’époux. Cela n’a pas été sans me rappeler ma situation personnelle ni sans me donner l’occasion, une fois de plus, de m’émerveiller devant la bienveillance avec laquelle les miennes (je parle de mes lubies) sont acceptées par les miennes (je parle des membres de ma famille). Celles-là entre autres, amènent souvent celles-ci à accomplir en ma morne compagnie de longs trajets plus ou moins barbants – laissons de côté ceux qui concernent les monuments aux morts et les salons de coiffure déjà aptes, à eux seuls, à réduire à néant la cote Argus de n’importe quel véhicule – sur les traces d’olibrius coupables d’être nés ou morts à tel endroit, d’avoir vécu dans telle masure ou de s’être assis dans tel café. Combien de kilomètres parcourus pour retrouver l’ombre de Flaubert, de Proust, de Michon, de Fallet, de Perec, de Gengenbach ou des frères Baillard, et je ne parle que de gens connus. Aujourd’hui, c’est encore mieux. Chaque année, depuis que nous séjournons en Creuse, j’apprends par La Montagne – un mien ami moquait l’autre jour ma manie de toujours acheter la presse locale de quelque endroit où je séjourne mais il y a toujours de quoi se nourrir dans la presse locale : un œil avisé saura toujours dénicher dans les titres, photos, légendes, publicités, avis de décès, nécrologies, compositions d’équipes sportives, listes de médaillés qui en constituent l’essentiel, ici une contrepèterie involontaire, là un toponyme, patronyme ou aptonyme, ailleurs une coquille qui en font le sel et sont aptes à meubler un cabinet de curiosités – j’apprends chaque année par La Montagne, disais-je, que Pierre Bergounioux est venu dans telle librairie d’Ussel (Corrèze) à la rencontre de ses lecteurs et que je l’ai raté. Bien sûr, c’est à chaque fois prétexte à un pèlerinage dans la librairie en question histoire de voir où l’on aurait dû être la veille où la semaine précédente mais cette année, j’ai pris les devants : j’ai téléphoné à la librairie, appris la date de la visite et prévu la mienne. Aussi, à peine notre point de chute creusois est-il atteint que ma fantaisie oblige tout le monde à s’appuyer une heure et demie de route supplémentaire pour gagner Ussel. Bergou est là, belle tête, belle chemise, maigreur impressionnante. Il discute avec un type qui doit être un de ses compatriotes et ce n’est plus le Bergou torturé, inquiet, que l’on connaît par ses livres : il se lève souvent de sa chaise, parle avec les mains, sourit, plaisante, pousse un juron. L’austère se marre, et pas qu’un peu. Je patiente, en compagnie du libraire, qui m’apprend qu’il est messin et à qui j’expose les raisons de ma présence incongrue en ces lieux si éloignés de nos terres communes. Mais c’est à moi, je m’avance, fais face au grand homme, bredouille quelques mots au sujet des courriers postaux et électroniques que nous avons échangés et Bergounioux a la gentillesse de faire comme s’il s’en souvenait. Lucie assure le reportage photographique. Nous parlons, enfin surtout lui, du passage de son père à Épinal en 1940 (caserne Haxo), de la Lorraine où il n’a jamais mis les pieds, et il inscrit un mot aimable sur mon exemplaire de Carnets de notes. “Prenez soin de vous”, lui dis-je avant de prendre congé, car cet homme m’est précieux. Nous investissons la terrasse voisine histoire de raffermir mes jambes soudain cotonneuses et regagnons le chalet à temps pour une séance de pêche fructueuse, ce qui ne pouvait être autrement en cette journée favorisée par les astres.
             L’Invent’Hair perd ses poils.
Glasgow (Écosse, R.-U.), photo de Benoît Howson, 6 août 2010
             Poil et plume. La coiffure est inutile pour les personnes endurcies.
   Il faudrait aussi supprimer la coiffure; au moins les enfants ne devraient pas en porter, et les adultes devraient aussi s’habituer peu à peu dans la saison chaude à rester tête nue. La calvitie, si fréquente chez les hommes, vient dans la plupart des cas de ce qu’ils se couvrent toujours la tête, parce que cela empêche la transpiration du cuir chevelu. Quand la transpiration est arrêtée, la racine des cheveux finit par tomber malade et la chute des cheveux en est la conséquence. Les chapeaux des femmes n’empêchent pas la transpiration de la tête et ne gênent pas l’arrivée de l’air comme les chapeaux et les casquettes des hommes. Aussi la calvitie est-elle beaucoup plus rare chez les femmes que chez les hommes. Tous les hommes devraient porter la tête entièrement nue, au moins au printemps, en été et en automne, afin qu’elle puisse transpirer comme il faut, et être baignée par l’air et la lumière. Alors le nombre des chauves diminuerait bientôt avec le temps.” (Bilz, L’État social de l’avenir : Nouvelle théorie du monde)
DIMANCHE.
                    Vie en Creuse. Marché de Jarnages le matin, puis promenade pédestre autour de Clugnat sous un chaud soleil, jusqu’à un captage d’eau, lieu-dit Domerange, on se croirait en Moselle. Nous explorons la bourgade, que nous n’avions pas encore visitée : plan d’eau, baignade interdite, pêche à la journée, des bancs autour mais vides, l’eau est peu engageante; commerces fermés, maisons à vendre, sentiment d’écroulement du monde dans lequel nous avons grandi; coiffeur insignifiant; école monumentale, comme souvent ici sans rapport avec la taille de l’agglomération, preuve de l’attachement de ces terres à l’idéal républicain; petit musée archéologique ouvert le samedi après-midi; magnifique monument aux morts doré, avec un coq et deux Poilus entremêlés; sur la route une pancarte indiquant “Les Poux”, je reviendrai la photographier. Retour au chalet, nous dérangeons le héron cendré qui a élu domicile autour de l’étang, ainsi qu’un couple de bihoreaux gris.
LUNDI.
           Lecture. L’Attrape-cœurs (The Catcher in the Rye, J.D. Salinger, Little, Brown & Cie, New York, 1945 pour l’édition originale, Pocket n° 4230, 1986 pour cette édition française, traduit de l’américain par Annie Saumont; 256 p., s.p.m.).
                         Le copyright indiqué sur ce volume pose problème : il donne 1945 alors que le narrateur, dans le texte, dit que son frère est mort en 1946. J’ai lu quelque part, avant de partir, que le livre avait été publié en 1951, ce qui me semble plus conforme à la réalité. Je tirerai cela au clair quand je serai de retour et en possession d’autres outils que ceux, avant tout du genre halieutique, que j’ai ici à ma disposition. Cela n’empêche pas qu’il s’agit d’un excellent livre, très proche mais plus réussi que Loin du paradis de Fitzgerald. La traduction d’Annie Saumont est enlevée, drôle, réussie. Là aussi, il faudra attendre avant de la comparer avec celle, plus ancienne, de Sébastien Japrisot. C’est d’ailleurs un autre sujet d’étonnement que de voir Salinger bénéficier d’une traduction actualisée alors que la dernière édition du Vieil homme et la mer de Hemingway, procurée par Gallimard en juin dernier, utilise toujours celle de Jean Dutourd.
          Vie en Creuse. Courses au supermarché le matin puis baignade au plan d’eau de Chénérailles, quasiment désert malgré le beau temps. Retour au chalet, vu une couleuvre d’eau nager tranquillement, tête en l’air, pour gagner les roseaux de la rive.
MARDI.
            Vie en Creuse. Courses à Guéret le matin. La rue piétonne, vitrines borgnes en enfilade, est désolante. J’achète la presse place Bonnyaud, là où un jeune s’est fait dessouder la semaine dernière. Il y a quelques livres – je repère un recueil de lettres de Michaux – alors qu’il n’y en avait pas l’an passé. Et pour cause, je confonds avec l’autre dépôt de presse qui se trouve sur une place voisine. Promenade pédestre jusqu’au hameau de Rougnat, commune d’Ajain. J’ai oublié ma casquette, je ruisselle. Retour au chalet, vu les carpes, énormes, à fleur d’eau. Elles sont tranquilles, savent qu’elles ne risquent rien tant que c’est moi qui suis au bout de la canne.
            Lecture. Abbés (Pierre Michon, Verdier, 2002; 80 p., 8 €).
MERCREDI.
                  Vie en Creuse. Je profite de ce que mes trois Grâces sont parties en courses pour me mettre au travail et tracer les grandes lignes de mon intervention à venir au colloque des Invalides.
                  Éphéméride.                                                                                                                                                                                                                                         “Saint-Geoire, 27 juillet 1897
Cher Monsieur Dufour,
Puisque vous êtes auprès de Madame Rimbaud mère, je vous serai reconnaissant d’être mon interprète auprès d’elle et de vouloir bien lui dire que j’ai toujours eu pour son fils si intelligent et si bon malgré que cette dernière qualité fut dissimulée par une certaine amertume, la plus grande estime.
Ma femme est en effet très malade. Je l’ai ramenée mourante d’Aden et c’est un miracle qu’elle ait pu arriver jusqu’en France. Elle va mieux mais est dans un état de faiblesse encore très grand à la suite de quarante jours d’immobilité au lit. Elle commence à se lever pendant quelques heures chaque jour.
Merci de vos bonnes paroles à mon sujet. Je les lui ai communiquées et elle me charge d’offrir mes remerciements et compliments à Madame Rimbaud et à Madame Dufour.
Toujours tout à votre disposition, je vous prie de me croire votre dévoué
Alfred Bardey” (Arthur Rimbaud, Correspondance posthume, 1891-1900)
JEUDI.
          Vie en Creuse. Aux livres à Aubusson, où c’est jour de déballage. J’en rapporte du neuf (Gary-Seberg, Michaux) et du moins neuf (Alexandre Breffort, Daniel-Rops).
VENDREDI.
                  Presse. “Attentat : le deuxième homme est né à Saint-Dié” (Vosges Matin d’hier); “Le terroriste a vécu à Montluçon” (La Montagne du jour) : c’est comme si la presse régionale essayait de s’approprier un pan de la couverture funèbre des derniers événements. On suppose que, de son côté, Ouest-France a titré que l’homme avait jadis passé des vacances à Quiberon.

                  Le cabinet de curiosités du notulographe. Amplitude horaire à Dieulefit (Drôme), photo d’Antoine Fetet, 16 juillet 2014.

SAMEDI.
              Vie en Creuse. Promenade pédestre autour de Jalesches, dont les habitants sont bien sûr les Jaleschiais. Nous poussons ensuite en auto jusqu’aux Pierres Jaumâtres, lieu sandien.
              L’Invent’Hair perd ses poils.
Partick (Écosse, R.-U.), photo de Benoît Howson, 7 août 2010
             Poil et plume. “… il est des coins perdus, vraiment perdus, où, hormis une boulangerie vendant du mauvais pain et où s’enroulent encore autour de petits bonbons de couleur des rubans de réglisse, il semble qu’il n’y ait rien d’autre, le mystère le plus complet étant celui de ces salons de coiffure aux noms improbables (Tendancy, Salon Christelle, Salon Anthinea, Haircoif, Hair-Style, Absolu Tif et j’en passe – ce dernier à Montceau-les-Mines) que l’on trouve un peu partout et jusque dans les rues les plus vides des petites villes les plus éteintes, servant vaguement de café du commerce aux femmes de tous âges et surtout aux plus vieilles, qui en ressortent invariablement avec ces friselis argentés qui semblent être dans le peuple, passé un certain âge, l’accompagnement obligé d’une blouse ou d’une robe à motifs imprimés…” (Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement : Voyages en France)
DIMANCHE.
Vie en Creuse. Aux livres à Châtelus-Malvaleix, où c’est jour de déballage. J’en rapporte le Clochemerle de Gabriel Chevalier avec la couverture de Siné – c’est dans cette édition que je l’ai lu en 1986 mais j’avais dû l’emprunter car je ne l’ai jamais revue dans mes étagères -, une version des Choses (collection J’ai lu) que je n’ai peut-être pas at home, des bandes dessinées pour ma salle de classe. Ensuite, promenade pédestre autour de Domeyrot et extension des collections photographiques (monuments aux morts, publicités peintes pour Le Petit Journal, chiens méchants, gares désaffectées, baignoires champêtres).
                   Presse. “Saint-Oradoux-de-Chirouze. Il a pêché une carpe de 17 kilos !” (La Montagne du jour, avec photo attenante). Certains organes de presse ont décidé, il y a peu, de ne plus publier les portraits des terroristes. Dans un domaine plus futile puisqu’il a trait avant tout à mon amour-propre, j’aimerais que les journaux locaux cessent de faire paraître ces photos de pêcheurs goguenards ployant sous le faix d’improbables ichtyosaures.
MARDI.
            Erratum. Ne pas tenir compte de la notule qui précède. Je viens d’attraper, et c’est la première fois, une grosse carpe. J’appelle de ce pas le correspondant local de La Montagne.
            Vie en Creuse. Aux livres à Montluçon où Lucie et moi razzions une boutique de seconde main. Nous en rapportons des Agatha Christie, du Jacques Perret, Pierre Louÿs, Toulet, Fitzgerald, Dos Passos, ainsi qu’une poignée de DVD.
            Lecture. Suite française (Irène Némirovsky, Denoël, 2004, rééd. Gallimard, coll. Folio n° 4346, 2006; 578 p., 9,70 €).                    
MERCREDI.
                  Vie en Creuse. Visite de l’exposition Alfred Smith au musée de Guéret. Un peintre bordelais, passé par Paris puis installé dans la vallée de la Creuse comme pas mal de ses confrères. Un beau portrait de femme, déjà vu l’an passé car faisant partie des collections permanentes du musée, et des paysages qui laissent apparaître un talent équivalent à celui de Louis Français. Dans le parc, des jeunes gens chassent le Pokémon. Chaleur dans l’après-midi, baignade au plan d’eau de Châtelus-Malvaleix.
                   Lecture. Esthétique du machinisme agricole (Pierre Bergounioux, Le Cadran ligné, 2016; 48 p., 13 €).
                  Éphéméride.                                                                                                                                                                                                                                        “Francfort, 3 août [1912]
Cher ami,
J’ai été très impressionné par mon voyage dans le pays de Rimbaud, et j’ai ajouté quelques propos à mon article. Berrichon et moi le destinons toujours à la N.R.F., si vos arrangements avec Suarès ne s’y opposent pas ? J’ai écrit hier à ce dernier. – Je doute que les inédits de Rimbaud puissent faire la matière d’un volume. Deux lettres seules sont d’un réel intérêt littéraire. 
Je vous serre la main.
P. Claudel“ (Paul Claudel à André Gide, in Arthur Rimbaud, Correspondance posthume, 1912-1920)
JEUDI.
          Vie en Creuse. À La Celle-sous-Gouzon pour une petite exposition Boris Vian qui devrait être ouverte mais ne l’est pas. Je déniche l’endroit qu’elle abrite, une dépendance de ferme, tire un volet vermoulu et prend des photos par une fenêtre dépourvue de carreau. Dans le village, je vois pour la première fois, autour du monument aux morts, des ogives d’obus peintes en bleu blanc rouge. Après un détour par Parsac pour voir la gare, nous poussons jusqu’au supermarché de Gouzon où nous savons pouvoir faire le plein de Heinz Baked Beans en prévision de l’hiver.
VENDREDI.
                  Vie en Creuse. À Felletin pour le marché où l’on trouve un marchand de matelas fabriqués à Ban-de-Laveline (Vosges). Achat de denrées et, dans une boutique associative, de livres et d’une photo du personnel enseignant en exercice au lycée de Guéret lors de l’année scolaire 1932-1933. Pique-nique à Saint-Frion où nous avons passé plusieurs étés au début de ce siècle et où le soleil finit par nous rejoindre. À Aubusson, Lucie et moi visitons la Cité internationale de la tapisserie récemment inaugurée par François Hollande et nous rentrons après avoir fait nos adieux à la librairie locale histoire d’alourdir encore nos bagages.

                  Le cabinet de curiosités du notulographe. Obscénité politique à Chaumont (Haute-Marne), photo de J.-F. Fournié, 11 novembre 2015.

SAMEDI.
             Film vu pendant la semaine. Marguerite (Xavier Giannnoli, France – République tchèque – Belgique, 2015).
             Vie en Creuse (fin). De Jaligny-sur-Besbre (Allier), René Fallet écrivait quand il lui fallait en partir : “On m’en arrache comme une dent”. Aujourd’hui, pour moi, le siège de l’auto s’apparente au fauteuil du dentiste. Mais ce n’est qu’une dent de lait, elle repoussera quand je reviendrai à Guéret en septembre.
             L’Invent’Hair perd ses poils.
 
Lure (Haute-Saône), photo d’Hervé Jeanney, 3 août 2010 / Arbois (Jura), photo d’Hervé Bertin, 21 mars 2011
             Poil à vendre.
Puces de Villeurbanne (Rhône)
Bon dimanche,
Philippe DIDION