25 septembre 2016 – 722

LUNDI.
           Épinal – Châtel-Nomexy (et retour). Deux lectrices se font face dans le 18 heures 02 qui est passé à 19 heures 30 – ça, c’est comme tout ce qui concerne la rentrée, il faut reprendre le rythme, dans un mois on n’y fera plus attention. L’une lit Qu’attendent les singes de Yasmina Khadra (Pocket, 2015), l’autre est plongée dans L’Écrivain, du même Yasmina Khadra (Pocket, 2011). Sans doute un fan club. 
 
MARDI.
            Lecture. Fin d’été (Rörgast, Johan Theorin, Wahlström & Widstrand, Stockholm, 2013 pour l’édition originale, Albin Michel, 2015 pour la traduction française, traduit du suédois par Rémi Cassaigne; 512 p., 22,90 €).
                          C’est la fin du cycle que Johan Theorin consacre à l’île d’Öland, sur le mode des quatre saisons. Il était temps que l’année se termine car ce dernier volet, estival, est loin de présenter le même intérêt que les précédents. Long, ennuyeux, sans souffle, il ne peut être sauvé que par les chapitres présentant la vie d’un émigré originaire de l’île dans l’URSS de Staline. Dans Froid mortel (2011), Theorin a déjà prouvé qu’il pouvait s’échapper de son cadre de prédilection, c’est sur ce terrain-là qu’on l’attend désormais. 
 
MERCREDI.
                  Lecture. Le Fruit permis (Tristan Tzara, Caractères, 1956, rééd. in “Poésies complètes”, Flammarion, coll. Mille & une pages, 2011; 1760 p., 35 €).
                  Éphéméride. “14 septembre [1893]
Hier, dans la forêt de Fontainebleau, j’ai croisé M. et Mme Carnot. Ils étaient en voiture. M. Carnot porta la main à son chapeau et Mme Carnot commença de sourire. “Tiens ! me dis-je, voilà des gens qui me connaissent. “ Mais comme je ne les connaissais pas, très réservé, je n’ai pas répondu.
S’enfuir dans un village pour en faire le centre du monde.
Il arriva à construire l’édifice social avec des pierres qui n’étaient pas angulaires.” (Jules Renard, Journal)
JEUDI.
          Lecture. Blaise Cendrars : L’Or d’un poète (Miriam Cendrars, Gallimard, coll. Découvertes Littératures n° 279; 128 p., 15 €).
                        Ultime révision avant les Rencontres de Chaminadour.
          Épinal – Châtel-Nomexy (et retour). Dans le 18 heures 02 qui passe ce soir à 18 heures 47 – on progresse – les membres du gang des adoratrices de Yasmina Khadra sont désormais côte à côte. L’écrivain possède une avance conséquente sur les singes.
VENDREDI.
                  Lecture. Le Publicateur du Collège de ‘Pataphysique. Viridis Candela, 9e série, n° 5 (15 septembre 2015, 96 p., 15 €).
                                “Archéologie imaginaire” 
                  Le cabinet de curiosités du notulographe. Sémantique urbaine à Étaples (Pas-de-Calais), photo de Jean Renaux, 8 juillet 2015.
 
SAMEDI.
              Vie littéraire. Nous sommes aux Rencontres de Chaminadour qui se tiennent à Guéret (Creuse). L’escapade était prévue depuis lurette, dans le but de ménager une pause respiratoire bienvenue après une rentrée que je redoutais et que la tension, les âneries de la réforme, la chaleur, la fatigue tôt venue et la déliquescence de la SNCF ont rendue conforme à mes craintes. Cependant, pour éviter les gorges chaudes, la discrétion était de mise : aller en vacances en Creuse, ça amuse, y retourner à peine celles-ci terminées, ça inquiète, on est proche de la pathologie. J’ai un peu revu mon Cendrars avant de partir, puisque c’est le thème de ces journées, et la chance est avec moi car nous arrivons sur les lieux du colloque juste à temps pour assister à la discussion sur La Main coupée, lu la semaine dernière. Discussion menée par Laurence Campa, récente biographe d’Apollinaire, qui déborde vite sur la littérature de guerre. C’est l’occasion de découvrir le poète Frédéric Jacques Temple, qui raconte son passé de tankiste au col du Bonhomme (Vosges). Après la pause, on se penche sur le Cendrars mystique, celui du Lotissement du ciel. La causerie révèle un Mathias Énard plus facile à écouter qu’à lire, un Claude Leroy (éditeur de Cendrars en Pléiade) brillant et un Pierre Michon qui joue les chats assoupis pour mieux livrer, de temps à autre, quelques coups de patte fulgurants. Nous reviendrons en début de soirée pour entendre Énard et Olivier Rolin faire un peu de lecture. En attendant, je participe à l’économie locale en achetant quelques livres et nous déambulons dans la ville, qui se couche tôt. La félicité qui m’envahit est sans tache. Je suis venu pour Cendrars, un peu, pour Michon, beaucoup, mais j’aurais fait le même voyage avec le même plaisir pour écouter David Foenkinos parler d’Alexandre Jardin ou pour juste entendre le bruit des aspirateurs que l’on passe dans les commerces survivants de la place du Marché avant la fermeture. Plus mon petit Guéret que le Mont Palatin, je suis en Creuse, je suis heureux, qu’on m’y fiche la paix, je laisse aux autres le reste de la planète. Pour un peu, je demanderais la main de la belle qui m’accompagne mais j’ai déjà accompli la démarche et le fait qu’elle ait consenti à m’escorter dans ce périple me persuade, si besoin était, que j’ai rudement bien fait.
              Films vus. Youth (Paolo Sorrentino, Italie – France – R.-U. – Suisse, 2015)
                               Tête à claques (Francis Perrin, France, 1982)
                               Les Enquêtes du Département V : Profanation (Fasandræberne, Mikkel Nørgaard, Danemark – Allemagne – Suède, 2014)
                               Divine (Dominique Delouche, France, 1975)
                               Les Enquêtes du Département V : Délivrance (Flaskepost fra P, Hans Petter Moland, Danemark – Allemagne – Suède – Norvège, 2016)
 
              L’Invent’Hair perd ses poils.
  
Gironcourt-sur-Vraine (Vosges), photo de l’auteur, 23 août 2010 / Castries (Hérault), photo de Marc-Gabriel Malfant, 14 septembre 2011
              IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental). 2 novembre 2014. 74 km. (27452 km).
 

165 habitants

   Stèle traditionnelle, signée Bastien à Vittel, en pierre blonde, avec Croix de Guerre en bas-relief. Une grille grise entoure la chose, agrémentée d’un étique thuya en pot.

La commune de Monthureux-le-Sec

A ses enfants

Morts pour la Patrie

1914-1918

Délibération du 17 août 1919

Le Maire J. SIMONIN

CUNIN Médard

MAIRE Charles

COLLOT Georges

FORÊT Lucien

BARRAS Hector

PIERROT Ernest

SIMONIN Albert

MARTIN Abel

SIMONIN Victor

   On comprend que le Maire (et père ?) Simonin ait voulu qu’un monument soit édifié dans sa commune.

              Poil de banlieue.
Le coiffeur du bidonville de Gennevilliers, Cinq colonnes à la une, 1960
DIMANCHE.
                   Vie littéraire (suite). Retour en matinée au Théâtre de la Fabrique pour la suite des Rencontres. La discussion, sur le legs de Blaise Cendrars, est un peu pâteuse et décousue. C’est que la nuit semble avoir été longue et rude à l’hôtel Auclair : Mathias Énard a la pépie, Olivier Rolin à la tronche qui tire sur le violet, quant à Michon, apparemment, il n’est pas levé. Pas grave. On se retrouve ensuite place Bonnyaud pour le départ de la procession du bœuf gras. Deux bêtes enguirlandées mènent le cortège, porteur de banderoles “Honneur à Mathias Énard” et “Honneur à Blaise Cendrars”. Un orchestre dixie donne à l’ensemble un air d’enterrement à La Nouvelle-Orléans. Je reste sur la place désertée, ému aux moelles à la vue de ce monde qui sombre mais qui marche toujours, vaille que vaille, et à l’idée de devoir le quitter.
MARDI.
            Épinal – Châtel-Nomexy (et retour). Donato Carrisi, Malefico (Le Livre de poche).
            Lecture. Le Meneur de jeu (Pierre Véry, Gallimard, 1934; rééd. in « Les Intégrales du Masque », tome 1, Librairie des Champs-Élysées, 1992; 1024 p., s.p.m.).
                          On peut trouver cette fois le côté féerique de Pierre Véry un peu lourd dans une histoire qui présente toutefois l’originalité de mettre en scène un narrateur qui fabrique lui-même, par son esprit imaginatif et un rien paranoïaque, les pièges dans lesquels il tombe.
MERCREDI.
                  Éphéméride. “Je fais beaucoup d’achats. Je touche chez MM. Balabio et Besana frères une lettre de change de 600 l[ires] qui, avec 312 l[ires] que j’avais touchées à Brescia chez Allier, payeur, fait 912 l[ires].” (Stendhal, Journal, 21 septembre 1801)
                  Lecture. La Rose et le Chien (Tristan Tzara, éd. P.A.B., 1958, rééd. in “Poésies complètes”, Flammarion, coll. Mille & une pages, 2011; 1760 p., 35 €). 
 
JEUDI.
          Lecture. Les Onze (Pierre Michon, Verdier, 2009; 144 p., 14 €).
                        Il faut arriver au terme (provisoire ?) de notre parcours dans l’œuvre de Pierre Michon pour nous apercevoir que le souci de l’entreprendre dans l’ordre chronologique des parutions ne servait à rien. Parce que tout était déjà inscrit dans le premier livre, Vies minuscules : le souffle, la phrase tellurique, la secousse qu’elle engendre, la glorification des gueux, le zèle compatissant pour les opprimés, le sentiment de se trouver face à quelque chose qui n’a pas d’équivalent, face à une prose qui, s’il l’avait rencontrée à l’époque de Salammbô, aurait poussé Flaubert à dévaler la butte de Croisset pour se flanquer à la Seine, voire à épouser Louise Colet et devenir notaire. Le souci de Michon, et c’est ce qui explique en partie la minceur de son œuvre, c’est de trouver des sujets à sa mesure ou à sa démesure. Il a commencé par tirer de la glaise ses compatriotes mangeurs de raves avant de sculpter des figures de peintres, de reîtres, d’abbés obscurs, de s’attaquer à des mythes comme Van Gogh ou Rimbaud. Après cela, il ne lui restait plus qu’à se colleter à à l’Histoire en personne. C’est ce qu’il fait dans Les Onze, recréant la Terreur, bousculant sans égards Michelet pour écrire en son nom et à sa place et emporter la mise une fois de plus. Depuis, Michon se tait, fait des préfaces, des articles, donne des entretiens, il dormichonne. Peut-être prépare-t-il son prochain combat, contre le dernier adversaire à sa taille, celui qu’il lui reste à terrasser de sa plume désormais trempée dans le sang coulant de la guillotine des Onze, Dieu lui-même. On serait dans les bottes de ce dernier, si jamais il en porte, on s’inquiéterait.
VENDREDI.
                  Football. Épinal – Avranches 0 – 1.
                  Le cabinet de curiosités du notulographe. Transparence à Lyon (Rhône), photo de Thierry Vohl, octobre 2015.
SAMEDI.
             Films vus. Le Roman comique de Charlot et Lolotte (Tillie’s Punctured Romance, Mack Sennett, E.-U., 1914)
                              Charlot et Mabel en promenade (Getting Acquainted, Charles Chaplin, E.-U., 1914)
                              Charlot nudiste (His Prehistoric Past, Charles Chaplin, E.-U., 1914)
                              Adaline (The Age of Adaline, Lee Toland Krieger, E.-U. – Canada, 2015)
                              Perfect Mothers (Adoration, Anne Fontaine, Australie – France, 2013)
                              Coup de chaud (Raphaël Jacoulot, France – Belgique, 2015)
                              La Fille du désert (Colorado Territory, Raoul Walsh, E.-U., 1949).
 
             L’Invent’Hair perd ses poils.
Thames Ditton (Angleterre, R.-U.), photo de Cecilia Howson, 15 novembre 2009
                Poil et BD.
Valley of the Far Side (Gary Larson, Andrews McMeel Publishing, 1985
 
 
Bon dimanche,
 
 
Philippe DIDION
 

 

 

11 septembre 2016 – 721

N.B. Le prochain numéro des notules sera servi le dimanche 25 septembre 2016.

DIMANCHE.

Lecture. Crêpe Suzette (Fred Kassak, éditions de l’Arabesque, 1959, rééd. in “Romans humoristiques”, Le Masque, coll. Intégrales, 2003; 800 p., s.p.m.).

Fred Kassak utilise une expression intéressante, inconnue de mes dictionnaires mais dont le sens se devine aisément dans sa phrase : “Lorsqu’elle en conclura que si tu ne l’épouses pas tu comptes mener la troustafana avec des créatures, n’espère pas qu’elle y voie un suicide moral ou une preuve d’amour.”

Miennes (Tristan Tzara, Caractères, 1955, rééd. in “Poésies complètes”, Flammarion, coll. Mille & une pages, 2011; 1760 p., 35 €).

MERCREDI.

  Lecture. Revue des Deux Mondes, janvier 2015 (176 p., 15 €).

Charles Péguy.

Éphéméride. Au docteur Jules Cloquet

“Damas, 7 septembre 1830

Depuis ma dernière lettre, cher et excellent ami, il s’est déroulé sous mes talons bien des kilomètres. Nous avons remonté le Nil jusqu’à l’endroit où il cesse d’être navigable, c’est-à-dire jusqu’à la seconde Cataracte. Nous avons été chez les Ichtyophages de la mer Rouge et après huit mois de séjour en Égypte nous nous sommes embarqués pour la Syrie. De Beyrouth nous sommes venus à Jérusalem par Tyr, Sidon et Saint-Jean-d’Acre et enfin de Jérusalem nous voilà arrivés sains et saufs à Damas, malgré et à travers toute la Syrie. C’était la partie la plus difficile et la plus dangereuse du voyage. – À la fin de ce mois nous serons à Smyrne et quinze jours après à Constantinople. – Comme je vous regrette souvent pour le vieux compagnon de mon premier voyage !” (Gustave Flaubert, Correspondance)JEUDI.

Lecture. La Main coupée (Blaise Cendrars, Denoël, 1946, rééd. in “Œuvres autobiographiques complètes I”, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 589, 2013; 976 p., 60 €).

La littérature concernant la Première Guerre mondiale est abondante. Les rééditions de ces dernières années ont remis à l’honneur les romans et témoignages sur l’époque. Tous fonctionnent à peu près sur le même schéma : incorporation – instruction – arrivée au front – vie de tranchée – permission – retour au combat – blessure – convalescence. Quand Cendrars entreprend La Main coupée, à la fin de l’autre guerre, il connaît ce schéma et la lassitude qu’il peut engendrer. Aussi prend-il soin de ne pas s’y conformer et de bousculer la chronologie pour donner à son récit la forme d’instantanés qui finissent par dessiner un ensemble : celui de la petite guerre que lui, Cendrars, caporal à la tête d’une escouade d’engagés étrangers, a menée à l’intérieur de la grande. Il s’y donne bien sûr un beau rôle, celui d’un homme courageux, malin, hâbleur et peu impressionné par la hiérarchie. On sait qu’il est difficile de démêler, dans les textes autobiographiques de Cendrars, ce qui appartient à la réalité de ce qu’il s’est plu à inventer et les commentateurs de cette édition ne s’y risquent pas. Ils notent tout de même que le fait le plus aisément vérifiable, la blessure à la main qui entraîna l’amputation et donne son titre au livre, n’est pas racontée, ni dans ce récit, dans un autre.

VENDREDI.

Football. SA Spinalien – CA Bastia 1 – 1.

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Émission de gaz d’échappement à Gand (Belgique), photo d’Éric Dejaeger, 18 août 2015.

SAMEDI.

Films vus. Un singe en hiver (Henri Verneuil, France, 1962)

Un génie, deux associés, une cloche (Un genio, due compari, un pollo, Damiano Damiani, Italie – France – RFA, 1975)

La Résistance de l’air (Fred Grivois, France – Belgique, 2015)

After (Géraldine Maillet, France, 2012)

The Voices (Marjane Satrapi, E.-U. – Allemagne, 2014)

Au-delà (Hereafter, Clint Eastwood, E.-U., 2010).

L’Invent’Hair perd ses poils.

  

Paris, rue Simart (Seine), photo de Grégoire Matuszewski, 12 août 2010 / Auxerre (Yonne), photo de Bernard Cattin, 15 août 2015

IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental). 1er novembre 2014. 152 km. (27378 km).


281 habitants

Sur le côté de l’église, la flèche de pierre grise est ornée d’une palme vert-de-grisée portant la mention Pro Patria. Les lettres des noms ont été repeintes en blanc.

La commune de Mont-lès-Neufchâteau

A ses héroïques enfants

Morts pour le France

1914-1918

   Gauche :

BAPTISTE Victor 25-8-14

CLEMENT Eugène 25-10-17

COURTOIS Adolphe 25-9-15

DUMAY Louis 29-11-14

JACOB Ernest 20-8-14

JACOB Maurice 15-8-14

JACOB Georges 24-8-14

   Droite :

MATHELIN Albert 23-10-17

MATHIEU Édouard 7-4-16

RODIER André 8-6-15

RODIER Constant 17-7-17

PIERRE Georges 26-6-17

PUZENAT Léon 20-1-19

VOUILLAUME Alfred 11-11-15

   On aura remarqué l’effrayante proximité des dates de décès des trois (frères ?) Jacob.

Poil au pinceau.

Bon dimanche,

Philippe DIDION

 

 

4 septembre 2016 – 720

DIMANCHE.
                   Vie théâtrale. Nous sommes à Bussang pour une représentation du Songe d’une nuit d’été au Théâtre du Peuple. Représentation réussie, bien enlevée, malgré quelques tunnels qui tiennent avant tout à la composition de la pièce.
MERCREDI.
                  Éphéméride. “24 août [1918]
Je commence à regarder la femme qui distribue les lettres, mais c’est en vain car elle ne s’arrête pas encore devant le lit n° 22 qui a l’honneur de m’avoir comme locataire. Quelle privation pour moi, ce manque de lettres ! Penser que, depuis 24 jours, j’en ai reçu une. Cela m’aurait fait tant de bien. […] Mais comme le reste, il faut l’offrir à Dieu et tout accepter sans murmurer.” (Albert Viard, Lettres à Léa)
                  Vie balnéaire. Trempette à Gérardmer. Sera-ce la dernière de la saison ?
VENDREDI.

                 Le cabinet de curiosités du notulographe.

Québec (Québec, Canada), photo d’Éric Dejaeger, 13 juillet 2015
Vie parisienne. Je prends le 6 heures 22 pour Paris avec Lucie et nous faisons l’ouverture du Centre Pompidou pour une visite de l’exposition consacrée à la Beat Generation. Celle-ci s’articule autour du rouleau de papier calque, déployé sur ses 36 mètres, qui porte le tapuscrit d’On the Road. Mais plus que celle de Kerouac, c’est la figure d’Allen Ginsberg qui domine, partout présente sans doute à cause de sa longévité (1926-1997). Ginsberg qu’on voit devenir, au fil des ans, le sosie du docteur Olievenstein, de Salman Rushdie puis d’Umberto Eco. Beaucoup de personnages moins connus peuplent les lieux, parmi lesquels l’inattendu Bernard Plossu, dont je savais qu’il avait photographié Perec mais dont j’ignorais le travail effectué en Amérique. Je voulais montrer à Lucie le film d’une séance d’anthropométries d’Yves Klein mais il ne fait plus partie apparemment des collections permanentes. Détour ensuite par Saint-Germain pour voir le domicile de Jean-Paul Belmondo – j’ai une fille qui se nourrit, allez savoir pourquoi, des musiques des Beatles, des livres de Kerouac, Fitzgerald et Truman Capote et des films de Godard avec ou sans Belmondo – et poursuivons sous le cagnard jusqu’à la Bilipo. J’y reçois, de la directrice, des nouvelles de la santé de Paulette Perec. C’est sans doute la dernière fois que je viens en ce lieu : j’y étudie le volume n° 500 de la Série Noire, le bout du corpus auquel je consacre mon atlas de la collection. Aux livres ensuite chez le libraire d’ancien de la rue Monge. À la fin de la journée, l’appareil de poche de Lucie nous apprend que nous avons couvert douze kilomètres et j’ai dû perdre autant de litres d’eau : toutes les rues de Paris s’appelaient aujourd’hui la rue du Four.
SAMEDI.
             Vie parisienne (suite). Au Louvre de bonne heure pour l’examen d’une salle de l’aile Sully, puis direction le Champo où l’on donne une rétrospective Godard. Quelques livres chez Compagnie puis casse-croûte près du Collège de France, dans un square dont les fourrés sont colonisés par des troglodytes. De là, au Panthéon où se tient une exposition sur les monuments aux morts – cette fois, c’est moi qui décide – mais c’est la fraîcheur de la crypte qui constitue, aujourd’hui encore, le principal intérêt du lieu.
            Films vus pendant la semaine. Jean de Florette (Claude Berri, France – Suisse – Italie – Autriche, 1986)
                                                              La Femme au tableau (Woman in Gold, Simon Curtis, R.-U., 2015)
                                                              Lady Paname (Henri Jeanson, France, 1950)
                                                              Les Bêtises (Alice et Rose Philippon, France, 2015)
                                                              Masculin féminin (Jean-Luc Godard, France – Suède, 1966).
             L’Invent’Hair perd ses poils.
  
Perth (Écosse, R.-U.), photo de Benoît Howson, 4 août 2010 / Le Cannet (Alpes-Maritimes), photo de l’auteur, 6 mai 2014
             Poil et pub.
   
            
DIMANCHE.
                   Vie balnéaire. Trempette à Gérardmer. Ce n’était donc pas la dernière.
MERCREDI.
                  Vie professionnelle. C’est avec une légère appréhension que je reprends ce matin le chemin du boulot. En effet, les quelques collègues que j’ai croisés au cours de l’été m’ont dit être plongés jusqu’au cou dans la préparation de l’année scolaire qui s’annonce aujourd’hui : la réforme du collège, les nouvelles pratiques et les nouveaux programmes à mettre en place semblaient les accaparer. Je me sens un peu coupable d’être resté à l’écart de ces préoccupations, les réservant pour ce jour. Il faut dire que la matière que j’enseigne, du moins telle que je la conçois, est peu propice aux variations. Les données sont sensiblement stables : il y a d’un côté un code, de l’autre des concepts et il s’agit d’apprendre à utiliser le premier pour le mettre au service des seconds en s’aidant de l’observation de ceux qui nous ont précédés dans les siècles passés pour tenter d’y parvenir d’une façon correcte, efficace, harmonieuse, voire esthétique et originale si affinités. C’est tout simple mais on cherchera en vain cette simplicité dans les consignes officielles pondues par les responsables du ministère, dans les discours tenus par les membres de l’inspection ou dans les performances des Castafiore du Powerpoint envoyées jusque dans nos campagnes pour y prêcher la bonne parole. Je profite donc ce matin du temps perdu dans les discours convenus pour tracer les grandes lignes de mon travail pour les années à venir : quelques titres à changer, quelques orientations à modifier, quelques nouveaux territoires à baliser, d’autres à approfondir et ça fera la rue Michel. Je boucle ça en vingt minutes sur deux pages de mon carnet, me voici tranquille jusqu’à la prochaine réforme, si je suis appelé à la vivre. Je parviens à m’éclipser à la mi-journée, retrouve le quai de gare où j’attends le 13 heures 02 dans un état nauséeux. La légère appréhension a laissé la place à la verte trouille qui m’envahit chaque année au moment de recevoir celles et ceux appelés à être placés sous mon triste magistère.
                 Éphéméride. “Vendredi 31 août 1906.
Par ici, dans les bois et les collines du New Hampshire, sont éparpillées deux douzaines de vacanciers estivaux, propriétaires de leur maison, qui viennent chaque été et parfois d’aussi loin que Chicago et Saint Louis. Ils ont un pavillon, joli et modeste, pour les bals et autres distractions et, deux ou trois fois par mois, ils s’y réunissent pour se divertir avec de la musique, des conférences et ainsi de suite, qui leur sont fournies par les talents déjà sur place. Ces talents sont des artistes distingués, des professeurs d’université, des historiens, entre autres – et j’en fais moi-même partie. Puisque c’est maintenant mon tour, j’aimerais exploiter ma méthode d’art oratoire spontané demain après-midi, pour voir comment elle peut fonctionner. Hier, j’ai choisi deux élèves – messieurs Brush et Smith –, je leur ai expliqué le truc, et leur ai demandé d’être présents le lendemain avec trois anecdotes chacun. Je demanderai un sujet aux auditeurs et nous débattrons tous les trois conformément aux principes de ma méthode. Je suis persuadé que la séance sera d’un niveau élevé et instructif. Je sais qu’elle le sera si mes élèves apportent de bonnes anecdotes et s’ils se souviennent que chaque anecdote doit être introduite par la même formule, avec monotonie – sans en changer un seul mot. Je fournirai la formule, sa répétition fera le reste.” (Mark Twain, L’Autobiographie de Mark Twain : L’Amérique d’un écrivain)
VENDREDI.

                  Le cabinet de curiosités du notulographe. À la recherche du deux-temps perdu” au Lude (Sarthe), photo de Bernard Cattin, 28 décembre 2013.

 
SAMEDI.
              Lecture. Carnet de notes 2011-2015 (Pierre Bergounioux, Verdier, 2016; 1216 p., 38 €).
                            L’entreprise des Carnets a vu le jour en 1980. On a donc maintenant plus de trente années de vie quotidienne à notre disposition et on peut prétendre connaître un peu l’animal qui nous les a livrées. Quoique. La vie dans ce dernier Carnet, comme la vraie quand elle atteint son versant déclinant, est faite d’adieux plus que de conquêtes : adieu à des pratiques (la pêche), à des activités (l’enseignement), à des lieux (Brive), à des conforts (le sommeil, la santé), à des êtres (des amis, un cousin, une mère). La tristesse qui en découle donne à voir un Bergounioux différent de ce qu’il est dans la vraie vie, ce dont témoignent ceux qui le côtoient et dont j’ai eu un bref aperçu cet été à Ussel. Ce quatrième volume, sorti au printemps dernier, a déjà donné lieu à nombre de commentaires avisés. Évitons donc d’en remettre une couche et intéressons-nous plutôt à ce qui n’est pas dit. Un mystère plane sur ces dernières années, c’est l’absence du fils Jean. L’autre, Paul, apparaît régulièrement, il vient d’avoir une fille, les grands-parents s’en occupent souvent. Mais Jean n’est mentionné qu’à deux ou trois reprises, lorsque l’auteur passe devant la maternité où il est né et, en chair et en os, au chevet de sa grand-mère mourante. Que s’est-il passé ? Fâcherie, bouderie, rupture ? On n’en saura rien, cela ne nous regarde pas. Les ponts sont coupés, c’est tout. Bergounioux dit tout des maux qui l’accablent mais il tait celui-ci, peut-être parce que c’est le plus douloureux.
             Films vus. My Fair Lady (George Cukor, E.-U., 1964)
                              Manon des sources (Claude Berri, France – Italie – Suisse, 1986)
                              Un voisin trop parfait (The Boy Next Door, Rob Cohen, E.-U., 2015)
                              La Vénus à la fourrure (Roman Polanski, France – Pologne, 2013)
                              Jamais de la vie (Pierre Jolivet, France – Belgique, 2015)
                              Assassins et Voleurs (Sacha Guitry, France, 1957)
                              Ladygrey (Alain Choquart, France – Belgique – Afrique du Sud, 2015).       
             L’Invent’Hair perd ses poils.
 
Perth (Écosse, R.-U.), photo de Benoît Howson, 4 août 2010
             Poil et pellicule.
Brèves de comptoir (Jean-Michel Ribes, France, 2014)
Bon dimanche,
Philippe DIDION