MERCREDI.
Éphéméride. “Vendredi, 14 juin [1940]
Reynaud a parlé cette nuit à la radio. C’était un testament, un adieu, un ultime désespoir. Une parole suprême, à la veille de la capitulation. Le coup porté à la France paraît mortel. Les messages échangés entre Londres, Paris et Washington ne sont même plus alarmés. On dirait que la situation est acceptée. Plutôt la stupeur que l’alarme.” (Mihail Sebastian, Journal 1935-1944)
Lecture. Revue des Deux Mondes, juillet-août 2015 (200 p., 15 €).
Acheté pour un entretien avec Michel Houellebecq absolument sans intérêt, ce numéro vaut tout de même le détour pour deux articles, le premier, bien illustré, sur Albert Robida, le second, par Robert Kopp, sur Michel Leiris.
VENDREDI.
Lecture. Littératures I (Lectures in Literature, Vladimir Nabokov, 1980 pour l’édition originale, Fayard, 1983 pour la traduction française, traduit de l’anglais par Hélène Pasquier; 552 p., 158 F).
En 1948, Nabokov devient maître-assistant à Cornell University, dans l’État de New York. Jusqu’au succès de Lolita, ses activités universitaires assureront l’essentiel de ses rentrées d’argent. Les cours donnés à cette époque ont été recueillis dans deux volumes, l’un consacré aux auteurs russes, l’autre, dont il est question ici, aux maîtres du roman et de la nouvelle européens : Austen, Dickens, Flaubert, Stevenson, Proust, Kafka et Joyce. Laissons de côté Jane Austen – jamais lue – et Charles Dickens – trop peu lu – pour observer ce qui se passe chez les autres – un peu mieux connus. Le moins que l’on puisse dire est que Nabokov, par ses cours, n’aura pas révolutionné la critique littéraire. Ses propos, auxquels se mêlent de longues et nombreuses citations des œuvres étudiées, constituent plutôt une sorte d’accompagnement pour lecteur débutant. Cela s’apparente un peu à ce que l’on trouve chez les Anglo-saxons sous des titres du genre The Companion to X ou A Reader’s Guide to Y. Ce n’est pas infamant car il faut prendre en compte le public de Nabokov : il ne parle pas à des confrères ou à des spécialistes mais à de jeunes étudiants américains qui découvrent la littérature étrangère. D’où le côté un peu laborieux donné par ces lectures pas à pas, ces explications de textes logiquement très scolaires. On fera une exception pour l’étude d’Ulysse car le livre de Joyce, par son côté profus et sa structure éclatée, s’accommode bien de cette étude linéaire qui peut satisfaire un lecteur un peu plus aguerri.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Présence de Clet Abraham (ou de ses émules) sur les trottoirs de Paris (Seine), photos de l’auteur.
boulevard Saint-Germain, 27 août 2016 / idem / rue de Courty, 28 octobre 2016 / rue de Nancy, 23 décembre 2015
SAMEDI.
Vie littéraire. Je suis à la Sorbonne pour une journée d’étude consacrée à Georges Perec. À midi, j’ai rendez-vous avec un ancien élève qui a intégré une classe préparatoire au lycée Louis-le-Grand. Une note de socio-géographie s’impose ici pour expliquer le phénomène : un élève du collège de Châtel-sur-Moselle qui se retrouve à Louis-le-Grand effectue un déplacement d’une intensité équivalente à celle ressentie par le Glaude et le Bombé embarqués à bord de la soucoupe volante de la Denrée dans La Soupe aux choux. C’est de la science-fiction, une trajectoire d’atome imprévue, un clinamen. Pour en arriver là, le gaillard (il me dépasse désormais de deux bonnes têtes et est carrossé comme un footballeur américain, mais lui ne porte pas de protections) a su mener sa barque avec une intelligence qui lui est propre et au développement de laquelle je suis totalement étranger. Qu’on ne compte pas sur moi pour m’arroger la moindre parcelle de responsabilité dans sa réussite, je suis assez heureux de ne pas l’avoir entravée. Je regagne la Sorbonne après deux bonnes heures de croûte rue Soufflot, de promenade dans le Luco et de bavardages à bâtons rompus pour écouter Jean-Luc Joly parler de l’index de La Vie mode d’emploi. C’est une partie intrigante du roman dans la mesure où son incomplétude, son orthographe défaillante, le désordre alphabétique qui y règne, les erreurs et approximations qu’il contient amènent à s’interroger sur le fait de savoir si Perec en est le véritable auteur. La question ne sera pas résolue à la fin de la séance.
Films vus pendant la semaine. Un, deux, trois (One, Two, Three, Billy Wilder, É-U., 1961)
Préjudice (Antoine Cuypers, Belgique – Luxembourg – Pays-Bas – France, 2015)
Beau Fixe (Christian Vincent, France, 1992)
Tout schuss (Stéphan Archinard, François Prévôt-Leygonie, France, 2016)
Pourquoi j’ai pas mangé mon père (Jamel Debbouze, France – Italie – Chine – Belgique, 2015).
L’Invent’Hair perd ses poils.
Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo de l’auteur, 25 octobre 2010 / Rive-de-Gier (Loire), photo de Marc-Gabriel Malfant, 25 novembre 2012
Poil et plume. “C’est par hasard, en passant devant la boutique d’un coiffeur à Brescia, qu’ils se rendirent compte qu’ils voyageaient déjà depuis trois semaines. Il voulait se faire couper les cheveux, sa barbe avait épaissi.” (Stefan Zweig, Clarissa)
DIMANCHE.
Vie parisienne. Au Louvre à l’ouverture. Le deuxième étage de l’aile Sully est fermé pour travaux, ce qui bloque la progression de ma Mémoire louvrière. Je sors par les Tuileries et gagne Saint-Germain-des-Prés. J’achète L’Équipe au kiosque du boulevard et décide de réaliser un de mes vieux rêves en m’installant à la terrasse du Flore. Je suis prêt à payer mon café au prix de la poudre d’or rien que pour satisfaire mes bas instincts de groupie et apercevoir un faciès connu dans ce riche quartier. Chou blanc. Tout ce que je vois, ce sont des touristes qui passent en scrutant les visages des clients attablés, comme je le fais quand je vais traîner mes guêtres à l’Écume des pages. Je pourrais dire à ces passants que je suis “le garçon d’Épinal” dont parle Pierre Bergounioux mais je doute que cette révélation suffise à susciter une avalanche de selfies. L’environnement vaut tout de même le détour. La jeune Asiatique, à ma droite, qui accroche son sac Vuitton au guéridon à l’aide d’une pince spéciale dont j’ignorais l’existence. Le bobo à ma gauche qui rend impropre à toute consultation ultérieure le JDD de la maison qu’il chiffonne et roule en boule après en avoir regardé les photos et qui paie sa consommation avec sa carte Premier aux armes de la Banque Rothschild. Le guignol en short, serviette éponge autour du cou, qui gare son auto de poche sur le passage piétons de la rue Saint-Benoît et vient fièrement dégouliner son “running” sous la marquise. Bref, je ne m’ennuie pas, le café n’est pas donné, certes, mais il y a une séance de cinéma en prime. je reviendrai, c’est sûr, quand j’aurai autre chose à dégainer qu’une poignée de piécettes et une pauvre carte du Crédit Agricole d’Alsace Lorraine.
LUNDI.
Lecture. J’ai déjà donné (I Gave At The Office, Donald Westlake, Simon & Schuster, 1971 pour l’édition originale, Payot & Rivages, coll. Rivages/Thriller, 2016 pour la traduction française, traduit de l’américain par Nicolas Bondil; 320 p., 22 €).
Épinal – Châtel-Nomexy (et retour). Grégoire Delacourt, La Liste de mes envies (Le Livre de poche, 2013).
MERCREDI.
Éphéméride.
“2 messidor an XIII (21 juin 1805)
Je me sens gâter le plaisir que je me promets de mon voyage de Marseille par les discussions stupides, tristes et avilissantes auxquelles il donne lieu avec mon père et mon grand-père. Ils m’objectent des raisons stupides (voici les raisons de ces trois épithètes), ils me présagent un avenir triste en général, et en particulier ils me montrent en détail les démarches humiliantes qu’ils croient qu’il faudra faire. Ils sont devenus tous les deux avares. Mon grand-père voit des obstacles partout, et voudrait tout renvoyer. Mon père remet en discussion le passage d’obstacles et en gémit, lorsqu’on a indiqué depuis longtemps la manière de les surmonter. Est-ce exprès, est-ce par faiblesse de tête et de cœur ?” (Stendhal, Journal)
Lecture. Témoignages (Saint-John Perse, Gallimard, 1972, “Œuvres complètes”, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 240, 1972; 1428 p., 56 €).
VENDREDI.
Lecture. Récit de l’extraordinaire et affligeant naufrage du baleinier Essex (Narrative of the Most Extraordinary and Distressing Shipwreck of the Whale-Ship Essex, Owen Chase, 1821 pour l’édition originale, Robert Laffont, 2015 pour la traduction française, traduit de l’américain par Xavier Bachelot; 160 p., 9,50 €).
“Un matelot a lu ce petit livre, l’a mâché longtemps, l’a digéré aux sucs de ses douleurs et de ses obsessions, puis, empruntant les chemins de la poésie, au terme d’une lutte sourde avec les idées, les visions et les mots, l’a recraché sous la forme d’un des plus grands mythes de la littérature.” Ainsi se termine la présentation de ce court récit, précis et dénué de pathos, par son traducteur. On aura reconnu, dans la figure du jeune matelot, Herman Melville. Owen Chase raconte en effet comment, parti de Nantucket pour une campagne de chasse à la baleine, son bateau fit naufrage suite à l’attaque d’un cachalot géant. Répartis dans trois canots, les membres de l’équipage dérivent pendant trois mois, en proie à la faim, à la soif et aux intempéries, une expérience proche, en de nombreux points, de celle vécue par les rescapés de la Méduse. On peut donc voir dans ce texte la source de Moby Dick mais il a aussi laissé des traces dans les romans maritimes et polynésiens de Melville, comme Redburn ou Mardi.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Secte étrange à Vichy (Allier), photo de François Golfier, 26 juillet 2015.
SAMEDI.
Films vus pendant la semaine. Manipulations (Misconduct, Shintaro Shimosawa, É-U., 2016)
Le Destin fabuleux de Désirée Clary (Sacha Guitry, France, 1942)
Un homme à la hauteur (Laurent Tirard, France, 2016)
L’Œuvre au noir (André Delvaux, France – Belgique, 1988)
Toni Erdmann (Maren Ade, Allemagne – Autriche – Suisse – Roumanie, 2016).
L’Invent’Hair perd ses poils.
Vieux-Berquin (Nord), photo de Cécile Mirland, 31 octobre 2010 / Bonnat (Creuse), photo de Caroline Didion, 27 juillet 2015
Poil et plume. “À ce moment lady Marjorie vint la chercher, hideuse dans sa robe à paniers en rayonne mauve portée sur une jupe en tissu caoutchouté couleur argent. Sa perruque de treillis métallique confectionnée à son intention par Mrs Lace s’était avérée trop petite et très désagréable à l’usage, aussi l’avait-elle mise au rancart et remplacée par une coiffure de style fleuri empruntée à miss Trant. Elle était faite de crins blancs qui se dressaient comme une auréole hirsute autour de sa tête; une anglaise s’enroulait derrière une de ses oreilles, et prenait plus l’apparence d’un tire-bouchon que d’une boucle quand elle marchait. La perruque était trop large et des mèches de cheveux bruns s’en échappaient en dépit d’innombrables épingles.” (Nancy Mitford, Charivari)
Bon dimanche,
Philippe DIDION
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