29 août 2021 – 939

DIMANCHE.                   

Lecture. La Serpe (Philippe Jaenada, Julliard, 2017, rééd. Points P 4872, 2018; 648 p., 8,90 €).

Philippe Jaenada aime les faits divers. Après deux livres consacrés à Pauline Dubuisson et à Bruno Sulak, il s’attaque ici à une affaire célèbre, celle du triple meurtre commis au château d’Escoire (Dordogne) en 1941. Henri Girard, Un jeune homme de bonne famille résidant au château, fut accusé d’avoir assassiné son père, sa tante et une domestique à l’aide d’une serpe. Sa culpabilité ne faisait guère de doute au moment du procès mais son avocat, Maurice Garçon, fit des merveilles et parvint à le faire acquitter à la surprise générale. Devenu un écrivain célèbre (Le Salaire de la peur) sous le nom de Georges Arnaud, Henri Girard continua à clamer son innocence sans convaincre grand monde. Dans un premier temps, Jaenada se révèle un excellent compilateur de tout ce qui existe sur l’affaire. Il lit les livres, écoute les émissions consacrées à l’affaire, notamment Le Vif du sujet qu’il réussit à récupérer grâce à Christine Bernard, ancienne assistante à France Culture (j’aurais pu moi aussi lui filer l’enregistrement, c’est un des meilleurs numéros de cette émission avec celui consacré à Pierre Conty, il n’a pas pensé à me le demander), reprend les faits minutieusement et nous oblige à constater que le fils Girard ne peut être que le coupable. Mais, depuis ce temps, de nouveaux documents sont disponibles : les papiers de Maurice Garçon, son journal, les comptes rendus d’audience, les procès-verbaux des interrogatoires rassemblés aux Archives départementales de la Dordogne. Jaenada se rend à Périgueux s’attaque à la montagne de papier, arpente les lieux. C’est l’objet de la seconde partie du livre, au bout de laquelle l’auteur parvient à une solution différente que celle des enquêteurs et propose un coupable différent. C’est un long travail, minutieux, dont tous les détails sont livrés au lecteur et qui s’avère convaincant : on a bel et bien échappé à une erreur judiciaire. Cela suffirait à remplir un bouquin de belle taille mais Jaenada, c’est sa marque de fabrique semble-t-il, ne s’en contente pas. Il agrémente son récit de considérations personnelles, d’anecdotes, de commentaires, de digressions, farcit ses phrases de parenthèses parfois doublées ou triplées. C’est distrayant (c’est fait pour), souvent drôle (le récit de son voyage en auto pour gagner la Dordogne l’est infiniment plus que celui du canapé-lit de Pierre Jourde), parfois lourd quand il rebondit d’une chose à une autre à la façon des liens d’une page Wikipédia. Jaenada, apparemment, s’aime bien. Il aime bien ce qu’il a écrit. Il rappelle fréquemment ses livres précédents, signale qu’il a failli avoir le Prix Renaudot pour l’un d’eux (c’est vrai que si l’on considère les écrivains qui ont failli avoir tel ou tel prix, qu’on y ajoute les footballeurs qui ont failli marquer un but et les filles qui ont failli tomber dans mes bras au temps de ma jeunesse folle ça fait du monde), n’hésite pas à compléter celui qu’il a écrit sur l’affaire Dubuisson. Ce qui montre que lorsqu’on a travaillé longuement sur un sujet, il est difficile de s’en détacher, de ne pas voir des correspondances et des coïncidences à tout bout de champ. J’en fais presque tous les jours l’expérience avec mon ami Gengenbach : la seule mention du nom de Pierre Béarn dans La Serpe (il a acheté la bibliothèque du père Girard) m’a rappelé que j’avais trouvé à Saint-Dié des lettres échangées entre Béarn et Gengenbach. Quoi qu’il en soit, le livre est difficile à lâcher et on comprendra que son auteur n’hésite pas à revenir dessus et à le compléter dans ses œuvres futures.    

LUNDI.

Lecture. Le Sommet des Dieux 1 (Kamigami no itadaki, Jirô Taniguchi, Baku Yumemakura, Shūeisha Inc., 2000 pour l’édition originale, Kana, 2010 pour la traduction française, traduit et adapté du japonais par Sylvain Chollet; 336 p., 18€).    

MARDI.            

Bestiolaire domestique. identification d’une Cétoine dorée.    

MERCREDI.                  

Éphéméride. Boris à Michelle.  

[18 août 1948]  

“mercredi  

Mon bibi vert  

Y a un vent à décornifler les cornets à pysseton et des vagues très froides qui coûtent 8 francs belges plus deux francs de cabine sivouplait monsieur pour s’y plongir le kul. J’ai pas eu d’accidents mécaniques sauf que les pavés me finissent à petit feu et je perds mon aile droite et mon pare-choc sous l’effet du vibromassage paveux – comment va ma rrreû fille ? tu ne pourras pas me le dire vu que je filoche après-demain après avoir été pêchir Jef à Bruges, qui se dit en flamingo, Brugge, mais j’espère, bien. Tâche de te reposir un peu et d’avoir bonne mine quand je reviendroi. […]   Ton bison” (Boris Vian, Correspondances 1932-1959)                    

Lecture. Histoire universelle de l’infamie (Historia univesal de la infamia, Jorge Luis Borges, Tor, 1935 pour l’édition originale, in « Œuvres complètes I », Bibliothèque de la Pléiade n° 400, 2010, traduit de l’espagnol par Roger Caillois et Laure Guille, revue par Jean-Pierre Bernès, 1766 p., 68,50 €).                                

Avec ce recueil de courts récits, Borges abandonne la poésie et les chroniques pour se tourner vers la fiction. Georges Perec reprendra dans le chapitre II de La Vie mode d’emploi un élément figurant dans le récit intitulé “La Chambre des statues”, évoquant la salle d’un château qui était “si longue que le plus habile archer tirant du seuil n’aurait pas pu planter sa flèche dans le mur du fond.” Juste retour des choses car Borges avait lui-même emprunté cette histoire aux Mille et Une Nuits.    

JEUDI.          

Lecture. Roug(Roog, Philip K. Dick, The Magazine of Fantasy & Science Fiction, février 1953, traduit de l’américain par Alain Dorémieux et révisé par Hélène Collon, in “Nouvelles complètes I 1947-1953”, Gallimard, coll. Quarto, 2020; 1280 p., 28 €).                        

Nouvelle.    

VENDREDI.                  

Le cabinet de curiosités du notulographe. Baignoires champêtres, avec et sans baigneuse.  

  Girecourt-sur-Durbion (Vosges), photo de l’auteur, 31 mai 2020

Châtas (Vosges), photo de Caroline Didion, 28 février 2020                      

Vie de couple. Après ma séance de kinésithérapie, je passe à la pharmacie voisine, où officie Caroline. Celle-ci jaillit de derrière le comptoir, m’entraîne dans une petite pièce borgne, ferme la porte, j’ôte ma chemise avec des doigts tremblants, elle enserre mon torse puissant … d’un mètre ruban pour prendre les mesures du corset que je devrai porter après l’opération. Nous sortons du local même pas ébouriffés.  

SAMEDI.              

Films vus.

  • l y a des jours… et des lunes (Claude Lelouch, France, 1990)                               
  • Petit pays (Éric Barbier, France – Belgique, 2020)                              
  • À coup sûr (Delphine de Vigan, France, 2014)                              
  • Tout simplement noir (John Wax, Jean-Pascal Zadi, France, 2020)                              
  • L’Inconnu (The Unknown, Tod Browning, É.-U., 1927).                

L’Invent’Hair perd ses poils.  

  Bruxelles (Belgique), photo de Pierre Cohen-Hadria, 16 janvier 2012

Epsom (Angleterre, R.-U.), photo de Cecilia Howson, 28 mai 2018                

Poil et plume. “Le coiffeur avait sa boutique rue des Récollets. C’était un homme d’une quarantaine d’années, un peu replet, au visage mou et au regard éteint. Le salon de coiffure, constitué par un long couloir étroit était des plus modestes. Les cuvettes et les revêtements, en marbre gris, les sièges cannelés, les glaces à moulures, dont le tain était rongé par endroits, lui donnaient un aspect provincial et désuet.” (Marcel Aymé, Travelingue)    

DIMANCHE.                    

Vie parisienne. Il fut un temps, celui où le séminaire Perec de Jussieu battait son plein, où je venais chaque mois à Paris. Maintenant, c’est plutôt une fois par an, c’est comme ça qu’on vieillit. Ce séjour avec Caroline était prévu depuis plus d’un an en fait, sans cesse annulé, remis à cause des grèves puis des confinements. Enfin, nous voilà de retour dans une ville devenue borgne à cause des vacances et de la pandémie. Il s’agit de rattraper le temps perdu et la journée du samedi sera bien meublée : Musée Carnavalet où je revois avec émotion le petit lit du petit Marcel, librairies (Compagnie, Gibert, Shakespeare and Company) jeu de cache-cache avec les manifestants et les CRS autour du Palais de justice, Samaritaine (un type sur le trottoir chante une chanson de Joan Armatrading dont je croyais être le seul à me souvenir), Galeries Lafayette, une bonne douzaine de kilomètres de marche au total, ça occupe. Aujourd’hui, retour au calme avec la visite de l’exposition “Elles font l’abstraction” à Beaubourg qui présente un ensemble de femmes artistes pour la plupart inconnues de nos services. Sonia Delaunay, Sophie Taeuber, Louise Bourgeois, d’accord mais quid de Hilma Af Klint, de Harmony Hammond, de Tess Jaray ? Et il y en a des dizaines d’autres, pas moins intéressantes, ce qui montre l’ombre, la négligence dans lesquelles on les a tenues jusqu’à maintenant.    

MARDI.            

Tourisme immobilier. Nous jouons les déménageurs pour installer Alice en son nouveau logis messin. Je regrette le temps où, en de telles circonstances, je n’avais à me préoccuper que de l’état de mon dos.    

MERCREDI.                  

Éphéméride. “25 août [1914]  

Au matin, on part, en arrière toujours. C’est triste de voir sangloter toutes les femmes. On approche de Nompatelize et on met en batterie, mais un cavalier apporte l’ordre de marcher de l’avant : il paraît qu’on reprend l’offensive. Tout le monde est joyeux. On se met en route, on monte le col de la Chipotte et on redescend sur Raon-l’Étape. Presque aussitôt, on s’arrête et demi-tour, on descend sur Saint-Benoît, direction de Rambervillers. La joie est tombée. Dans les bois, à l’entrée du pays, des centaines de femmes et d’enfants ont passé la nuit dehors. À la sortie du pays, même tableau. Que c’est triste ! Oh, les pauvres gens ! Ils se sont sauvés à la hâte, quelques-uns à peine vêtus et rien à manger. On traverse Bru. S’arrêtera-t-on bientôt ? Enfin, on met en batterie entre Bru et Jeanmenil. Il ne cesse d’arriver des troupes : artillerie, chasseurs d’Afrique, marsouins. On couche le soir sur place, et tout l’horizon est éclairé par les incendies. C’est sans doute Raon ou Baccarat qui brûle.” (‘'(Albert Viard, Journal de marche d’un sous-off d’artillerie, Poilu de la 3e du 62)                    

Lecture. Correspondance inédite 1919-1922 (Jean-Baptiste Botul, Henri- Désiré Landru, Mille et une nuits n° 358, 2001; 104 p., 2,50 €).                                  

Claustria (Régis Jauffret, Le Seuil, 2012, rééd. Points P 2950, 2013; 552 p., 8,30 €).                                

Comme Philippe Jaenada, Régis Jauffret tourne autour des faits divers. Avec des buts et des moyens différents cependant. Là où Jaenada, dans La Serpe, s’attache aux faits dans le but de dénicher la vérité sur l’affaire Girard, Jauffret s’accorde plus de libertés. Il prend ses précautions, ajoute le mot “roman” au titre, précise dans son avant-propos qu’il s’agit d’une œuvre de fiction. Le point de départ est l’affaire Fritzl, du nom de cet homme qui, en Autriche, séquestra dans la cave de sa maison pendant 24 ans sa fille puis une partie des enfants qu’il lui fit. Il ne s’agit pas ici d’innocenter quelqu’un, encore moins de lui trouver des excuses. Il s’agit, à partir de ce qui est connu, d’imaginer ce qui a pu se passer dans cette cave au cours de ces années. Jauffret s’y emploie à l’aide de dialogues reconstitués, de monologues intérieurs imaginés, de situations possibles et plausibles. L’entreprise crée un certain malaise : l’auteur ajoute le sordide fictif au sordide réel, dont on peut croire qu’il se suffit à lui-même. En étalant cela sur plus de cinq cents pages, Jauffret ne peut éviter d’être taxé de complaisance. Il répondra que son but est avant tout littéraire, qu’il s’agit de créer une œuvre de fiction à partir de faits réels, ce qui est tout à fait recevable. Force est de constater toutefois que dans ce domaine, Emmanuel Carrère, avec L’Adversaire tiré de l’affaire Jean-Claude Romand, a fait beaucoup mieux.    

JEUDI.          

Brève de trottoir.  

VENDREDI.                  

Le cabinet de curiosités du notulographe. Aperçu d’une collection de bains-douches.  

Paris (Seine), rue des Deux-Ponts, photo de l’auteur, 26 janvier 2019

  Nantes (Loire-Inférieure), photo de Christophe Hubert, 10 juin 2020 

SAMEDI.              

Football. SA Spinalien – Bobigny 0 – 0.                

Films vus.

  • Onoda, 10 000 nuits dans la jungle (Arthur Harari, France – Japon – Allemagne – Belgique – Italie – Cambodge, 2021)
  • The Spy (Jens Jonsson, Norvège, 2019)                               
  • Papa les petits bateaux (Nelly Kaplan, France, 1971)                               
  • BAC Nord (Cédric Jimenez, France, 2020)                               
  • Attack of the Potato Clock (court métrage, Victoria Lopez, Ji Young Na, É.-U., 2018)                               
  • Un triomphe (Emmanuel Courcol, France, 2020)                               
  • Wildland (Kød & blod, Jeanette Nordahl, Danemark, 2020)                               
  • Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire (A Series of Unfortunate Events, Brad Silberling, Allemagne – É.-U., 2018).                

L’Invent’Hair perd ses poils.      

  Paris (Seine), rue du Faubourg-Saint-Martin, photo de Pierre Cohen-Hadria, 7 février 2012

Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher), photo de l’auteur, 4 novembre 2012             

IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental). 14 juin 2020. 88 km. (38 891 km).  

403 habitants

   D’un côté de la route, on a cet ensemble neuf, rutilant même, consacré aux morts de 1939-1945.

   Pour ceux de 14-18, il faut se tourner de l’autre côté, celui de la Mairie. De chaque côté de la porte se trouve une plaque de marbre couverte d’inscriptions en lettres dorées.

   Plaque de gauche :  

À ses enfants 1914-1918  

BÉHÉ Maurice

DIDIER Hubert

GACHENOT Raymond

MARCHAL Achille MARCHAL Edmond

ODILE Alfred

OSTRÉ Paul

PIERRAT Aimé

THOMAS Camille

TRIBOULOT Émile

VALENTIN Léon  

VICTIMES CIVILES  

GRANDIDIER Marcel

ROBIN Auguste     

Plaque de droite :    

Grande Guerre

1914-1918  

CITATION :  

Envahie par l’ennemi

Au début des hostilités

A subi de nombreux

Bombardements

Qui l’ont en partie

Détruite

Par les souffrances

Endurées et la

Belle attitude de

Sa population a

Bien mérité du pays.  

22 octobre 1921                

Poil et pellicule.  

Les Sept samouraïs (Shichinin no samourai, Akira Kurosawa, Japon, 1954) 

Bon dimanche,  

Philippe DIDION

15 août 2021 – 938

N.B. Le prochain numéro des notules sera servi le dimanche 29 août 2021.    

LUNDI.           

Tourisme médical. La nuit fut rude, agitée, bavarde. Le contraste était trop fort entre notre petit chalet creusois et la mégalopole hospitalière du CHU de Brabois où j’étais invité à occuper un petit lit blanc au lendemain de notre retour. Aujourd’hui, je me promène de service en service pour une nouvelle batterie d’examens destinés à préparer le grand jour. Plus exactement, on me promène, le cul nu sous ma toge prétexte (Avant d’entrer dans ma cellule Il a fallu me mettre nu) dans une petite chaise roulante (Et quelle voix sinistre ulule Guillaume qu’es-tu devenu). Je souffle dans des appareils étranges, on me glisse dans un vaisseau digne du 2001 de Kubrick, je parle à un anesthésiste qui ne me demande pas où je travaille mais si je travaille encore. Lors de l’échographie transœsophagienne, je reçois les compliments de l’infirmière qui me caresse gentiment le front, un peu moite (ce n’est pas une partie de plaisir), en me disant : “Très bien, Monsieur Didion, vous êtes parfait”. À la fin de la séance, les médecins me couvrent eux aussi de louanges. Me voilà élu patient de l’année. La médaille a son revers. Un brancardier, je m’y attendais, y va de son petit monsieur : “Il va s’installer là, le petit monsieur”. Je mesure un mètre quatre-vingt-trois. Il y a des épreuves dont on ne sort pas grandi.    

MARDI.            

Lecture. Vanity Row (William R. Burnett, Knopf, 1952 pour l’édition originale, Gallimard, coll. Série Noire n° 169, 1953 sous le titre Donnant donnant pour la traduction française, rééd. coll. Quarto, “Underworld : romans noirs”, 2019, traduit de l’américain par Minnie Danzas, révisé par Marie-Caroline Aubert; 1120 p., 28 €).              

Tourisme immobilier. À Metz (Moselle) pour recevoir les clés du logement d’Alice qui poursuivra ses études dans cette ville pendant que Lucie restera à Bordeaux. L’immeuble se trouve face au Grand Séminaire et à côté du Commissariat de l’Armée de Terre. Nous pouvons être tranquilles : le sabre et le goupillon veilleront sur elle.    

MERCREDI.                   

Vie merdicale. Première séance de kinésithérapie pré-opératoire. Il s’agit de préparer les jours d’après, d’apprendre à respirer, à se lever, à se tenir debout. On n’a pas fini de me donner du petit monsieur.                     

Lecture. Histoires littéraires n° 79 (Du Lérot éditeur, juillet-août-septembre 2019; 190 p., 25 €).

Marquis de Sade – Charles Müller – Adrienne Monnier – Paul Verlaine.                                 

Contribution du notulographe à ce numéro : une note de lecture sur le Perec en Amérique de Jean-Jacques Thomas.                     

Éphéméride. Jacques Vaché à Jeanne Derrien  

“[Mory] 11.8.17  

– Amie Jeanne  

– Le contrecoup de la bataille, se fait sentir jusqu’ici – au moins pour la poste – Voilà quelques jours que je n’ai pas de nouvelles de Nantes – Pourtant c’est tout à fait calme par ici – et – ne serait-ce que la toux continuelle du petit canon anti-avion que l’on a sottement placé derrière ma tente – et les quelques marmites familières que FRITZ envoie journellement sur le village voisin – l’on pourrait ignorer la guerre.  

– Qu’est-ce que l’on dit de la guerre à l’arrière. Ici les avis sont très partagés – les uns semblent croire à une paix inattendue – et les autres à quelques autres années de guerre – Les uns et les autres d’ailleurs sans raison bien fondée je crois – moi-même je ne sais plus quoi penser – je perds quelquefois l’espoir de redevenir un jour civil.  

– Je finis ici ces quelques mots – Un brave 2d cont. venant me demander l’hospitalité pour la nuit – Pauvres diables ! Ils sont tous un peu piteux et affables, vaguement respectueux –  

– Recevez le meilleur souvenir de  

JACK” (Jacques Vaché, Lettres de guerre 1914-1918)    

VENDREDI.                  

Le cabinet de curiosités du notulographe. Voies de garage.  

Bécassine ! (Bruno Podalydès, France, 2018)

  Saint-Pierre-de-Colombier (Ardèche), photo de Jean-François Fournié, 3 août 2020    

SAMEDI.              

Films vus.

  • L’Aveu (Summer Storm, Douglas Sirk, É.-U., 1944)                               
  • The Climb (Michael Angelo Covino, É.-U., 2019)                               
  • Bande à part (Jean-Luc Godard, France, 1964)                               
  • Voir le jour (Marion Laine, France, 2020)                               
  • Monsieur Papa (Philippe Monnier, France, 1977)                               
  • Target (This Means War, McG, É.-U., 2012).                

L’Invent’Hair perd ses poils.  

  Toulouse (Haute-Garonne), photo de Clotilde Eav, 2 janvier 2012

San Francisco (Californie, É.-U.), photo de Noémie Fiore, 16 juillet 2014

Poil et pellicule.  

Spartacus (Stanley Kubrick, É.-U., 1960)    

Bon dimanche,  

Philippe DIDION    

8 août 2021 – 937

DIMANCHE.                   

Bestiolaire de Saint-Jean-du-Marché. Identification d’un Lepture rouge.                     

Lecture. Les Voyages de Tulipe (Sophie Guerrive, 2024 éditions, 2017; 116 p., 15 €).    

LUNDI.           

Tourisme médical. Au CHU de Brabois ce matin. Avec son accent italien à couper au bistouri, le professeur L. m’explique les démarches à suivre et me donne le programme des réjouissances à venir. Je ne comprends pas tout mais saisis au moins l’essentiel, à savoir que je peux partir en Creuse à la fin de la semaine. Je prends mon agenda, pose un point d’interrogation à la date de la rentrée des classes, noircis des pages habituellement vierges à cette époque de l’année et supprime quelques rencontres publiques (Livre sur la place, Rencontres de Chaminadour) et privées devenues inaccessibles.    

MARDI.            

Lecture. Ubu déguisé en Ubu, par Enrico Baj lui-même (Fernando Arrabal, Collège de ‘Pataphysique, 2002; n.p., hors commerce).                            

Le Parricide imaginaire (Marcel Jouhandeau, Éditions de la Pléiade, Jacques Schiffrin, 1930; rééd. in “Chaminadour, contes nouvelles et récits”, Gallimard 2006, coll. Quarto; 1540 p., 29,90 €).    

MERCREDI.                  

Éphéméride. “Darbounouse – 21 juillet  

Voici deux semaines, je quittais le Villard et je suis partagée entre deux tentations, celle de rester pastourelle avec mon compagnon vigoureux, viril et attentionné, mais je n’en dirai pas plus, et celle de reprendre mon bagage pour découvrir d’autre paysages mais aussi d’autres bergers moins délicats. Au début, Aimé m’a fait une description peu rassurante de l’aspect physique et des mœurs sauvages de ces solitaires peu civilisés et, en particulier, du berger d’une certaine cabane, appelée Peyre Rouge; ce dernier serait sauvage au point de ne fréquenter aucun de ses voisins et collègues, de tirer au fusil sur les audacieux qui, de l’auberge du Pré Peyret, quitteraient le chemin de Gresse pour empiéter sur ce qu’il considère comme son domaine et de fermer sa porte à la maréchaussée qui prétendait lui reprocher ses exactions. J’attribue ses propos au désir de me conserver auprès de lui et je pense qu’il grossit volontairement la caricature de ces transhumants étrangers au pays.” (Mary Stevens-Stone, Voyage avec des bergers dans le Vercors, traduction par René Cuenin)    

JEUDI.          

Lecture. Trompe-zœils (Tristan Bastit, Collège de ‘Pataphysique, 2007; n.p., hors commerce).    

VENDREDI.                  

Le cabinet de curiosités du notulographe. Détournements de vitrines.  

  Épinal (Vosges), photo de Sylvie Bernasconi, 3 mars 2017

Paris (Seine), rue Danielle-Casanova, photo de Pierre Cohen-Hadria, 2 octobre 2020   

SAMEDI.              

Films vus.

  • Les Révoltés de l’an 2000 (¿ Quién puede matar a un niño ?, Narciso Ibañez Serrador, Espagne, 1976)
  • Je ne rêve que de vous (Laurent Heynemann, France, 2019)                              
  • Titane (Julia Ducournau, France – Belgique, 2021)                              
  • Pride (Matthew Warchus, R.-U. – France – É.-U., 2014)                              
  • Qu’un sang impur… (Abdel Raouf Dafri, France, 2019)                              
  • La Grande Bouffe (Marco Ferreri, France – Italie, 1973).                

L’Invent’Hair perd ses poils.  

  Ischia (Italie), photo de Laurence Bessac, 2 octobre 2011

Auboué (Meurthe-et-Moselle), photo de François Golfier, 24 septembre 2017                

IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental). 7 juin 2020. 123 km. (38 803 km).  

2 346 habitants

   Sur le côté de l’église, trois mâts portant drapeaux encadrent la flèche de granit. Celle-ci est flanquée de deux dalles dressées portant la suite des noms de 14-18, ceux des Martyrs victimes des bagnes nazis (à gauche) et ceux des Vaillants défenseurs Morts pour la Patrie 1939-1945. L’allée qui mène au monument est longée par deux parterres récemment fleuris. Des touffes de lavande et des buis taillés complètent l’ensemble.

1914-1918

Honneur

1914

ANCEL Paul

RICHARD Edmond

IERG Albert

MARCHAL Eugène

STRABACH Joseph

NIRPOT Paul

1915

GEORGEL Camille

BARRETH Paul

COLIN Eugène

LAURENT Marcel

KLEIN Florent

LAURENT Louis

ROUDOT Émile

CUNIN Justin

KIEFFER Albert

PETIT Louis

1916

LAURENT François

BECK Antoine

MAURICE Camille

ANTOINE Félix

FLEURANCE Alphonse

1917

DRACH Louis

GUILLAUME JN Baptiste

1918

COLIN Adrien

KENNER Eugène

CHANAL Léon (1916)

VOGT Charles (1916)

GÉRARD Paul (1918)

La commune

De Ste Marguerite

À ses enfants

Morts pour la Patrie             

Poil dessiné.  

             in Boris Vian, Manuel de Saint-Germain-des-Prés                 

LUNDI.            

Bestiolaire de la Creuse. Identification d’un Bombyx du chêne.    

MARDI.            

Bestiolaire de la Creuse. Identification d’un Nacré de la ronce.    

MERCREDI.                  

Éphéméride. “Samedi [28 juillet 1894]  

Espoir – Espoir.

Lorsque ce matin, j’ai eu raconté à Madame Éric tout le commencement de cet amour, elle m’a dit.

“Je le savais. E. m’écrit une lettre affolée, m’envoyant deux de vos lettres et une qu’elle avait reçue d’un de vos amis – “

J’ai bien fait de ne pas me tuer, s’il y a encore de l’espoir. Je me tuerai quand il n’y en aura plus. Ah maintenant, je veux espérer qu’elle nous aidera.

Il le faut. Il le faut. Ah je l’adore.

Et puis – Mme Éric me dira ce qu’il y avait dans cette lettre. Elle répète : “C’est une enfant”, il me semble que ce n’est pas cela qu’elle aurait dit s’il n’y avait pas pour moi d’espoir à avoir.

Lundi, j’achèverai le récit de “ma passion”.

Alors Azan (c’est lui) a écrit et —————————————— mais alors pourquoi ne m’a-t-elle pas répondu. Ah cela, je comprends.

Ah. J’aurai fait tout ce que j’aurai pu.” Jean de Tinan, Journal intime 1894-1895)                   

Couic parade. J’apprends aujourd’hui la mort de Renée Dorléac, mère de Catherine Deneuve et plus que centenaire, survenu le 11 juillet dernier. Elle faisait partie de mon pronostic et me vaut mon deuxième point de l’année, après celui offert par Ferlinghetti. Le temps, à peine, de noter cela que la mise était doublée avec la mort d’Henri Vernes, créateur de Bob Morane, elle aussi annoncée.    

JEUDI.          

Bestiolaire de la Creuse. Identification d’une Mouche à damier. Formulé ainsi, c’est tout de même plus chic que de dire qu’il y avait une mouche à merde sur la toile cirée. Vive la science !            

Vie en Creuse. Bien sûr, au bout de combien, vingt ans peut-être, on est dans la redite, le ressassement, l’arpentage des sentiers battus. Mais le plaisir de revoir des lieux appréciés vaut bien celui de la découverte et nous ne boudons pas le nôtre malgré la météo incertaine. Nous revoilà donc à Guéret, à Aubusson et à Felletin pour faire le plein de livres, à Masgot pour revoir les sculptures de François Michaud, à Sous-Parsat où le saisissement est le même à l’entrée dans l’église, à Lussat pour faire le tour de l’étang des Landes… La carpe prise ce matin est peut-être la même que celle qui avait eu la bonté de se pendre à mon hameçon l’été dernier, quant aux musiciens de Karpatt, groupe énergique et réjouissant égaré ce soir à Jarnages par un tourneur inconscient, ce n’est jamais que la quatrième fois que nous les voyons en concert.    

VENDREDI.                  

Le cabinet de curiosités du notulographe. Brièveté de la vie animale.  

  Montpellier (Hérault), photo de Jean-François Fournié, 31 octobre 2019

Lépinas (Creuse), photo de l’auteur, 3 août 2020    

SAMEDI.              

Vie postérieure. Tiré de Vosges Matin du jour, à propos d’un manifestant jugé pour violences lors d’une manifestation à Nancy (Meurthe-et-Moselle) : “Il a ensuite essayé de se fondre dans la foule. Mais des caméras l’ont filmé. Et un policier l’a reconnu. Il se souvenait de son visage ainsi que d’une autre partie de son anatomie. L’antivax lui avait, en effet, montré ses fesses lors de la précédente manifestation le samedi 17 juillet.” Et voilà pour ceux, j’en étais, qui pensent que rien ne ressemble plus à une paire des fesses qu’une autre paire de fesses.               

Bestiolaire de la Creuse. Identification d’une Collète commune.               

L’Invent’Hair perd ses poils.  

  L’Escale (Basses-Alpes), photo de Rémi Schulz, 11 décembre 2011

Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo de François Golfier, 14 août 2015               

Poil et pellicule.  

Le Chant de Chao Phraya (Nang mia, Chatrichalerm Yukol, Thaïlande, 1990)    

LUNDI.           

Vie littéraire. Parution du recueil collectif Meurtres cent façons auquel j’ai contribué par une préface et une nouvelle.

MARDI.            

Bestiolaire de la Creuse. Identification d’un Gerris lacustre.    

MERCREDI.                   

Éphéméride.  

“Jeudi 4 août [1886].  

C’est M. Louis Gélé Ferré

Qui s’en vient d’un air titanique.

C’est mon professeur préféré

Que M. Louis Gélé Ferré.

Sur la grammaire britannique

Il ne fut jamais déferré.

C’est M. Louis Gélé Ferré

Qui s’en vient d’un air titanique.  

J’ai rêvé que je parlais russe, et que bisteron signifiait : étrange.” (Paul-Jean Toulet, Journal et voyages)    

JEUDI.           

Lecture. Le Tambour (Die Blechtrommel, Günter Grass, Hermann Luchtenhand Verlag, 1959 pour l’édition originale, Le Seuil, 1961 pour la traduction française, rééd. Points P 347, 1997, traduit de l’allemand par Jean Amsler; 638 p., 8,90 €).                         

L’été est, paraît-il, propice à la lecture. On parle de romans de plage, les éditeurs se mettent en quatre pour trouver les best sellers de saison, tout le monde est supposé dévorer des pavés à longueur de journée. Pour ma part, je ne lis jamais aussi peu qu’en vacances. Il y a toujours autre chose à faire : un poisson à pêcher, un insecte à chasser, un oiseau à observer, un monument aux morts à photographier, un sentier à arpenter. Cette année, j’aurai lu davantage la nuit que le jour, me levant à plusieurs reprises pour sortir et écouter les oiseaux nocturnes dans l’espoir toujours vain d’en apercevoir un, et profitant de cette veille pour abattre quelques pages avant de me rendormir. Je charge régulièrement ma valoche de kilos de bouquins, j’y ajoute ceux trouvés sur place et je me retrouve au final avec un maigre bilan, ce qui ne me chagrine pas. Je n’aurai lu qu’un livre en Creuse cet été, mais quel. Au bout du premier chapitre du Tambour, on sait déjà qu’on est en présence de quelque chose d’exceptionnel, d’un jalon romanesque du siècle dernier. Le foisonnement du texte, sa richesse et sa démesure font venir à l’esprit les noms de Céline, de Döblin, de Joyce, ce qui n’est pas rien. Il y a dans Le Tambour tout ce qui fait un roman de grande envergure : un personnage (ce jeune garçon lié à son tambour et qui cesse volontairement de grandir à l’âge de trois ans), une dimension historique (l’Allemagne des années 1930 à 1950), une écriture hors du commun, des audaces (le doublement de la voix narrative je-il, parfois dans la même phrase), des recettes connues et efficaces (les coïncidences hugoliennes) et puis de l’humour, de la cruauté, du merveilleux… Ce ne peut être que le couronnement d’une œuvre, le roman d’un homme mûr, qui a tout appris et su retenir les leçons de ses prédécesseurs pour tracer son sillon personnel. Il correspond bien à l’image de Günter Grass qu’on voit sur les photos : une grosse tête de prof de fac ployant sous les doctorats honoris causa, une grosse moustache, des grosses lunettes, une grosse pipe, une tête de Prix Nobel, l’équivalent germanique d’Umberto Eco. Fausse piste sur toute la ligne : Günter Grass n’a pas trente ans quand il entreprend Le Tambour qui est son premier roman. Chapeau bas.             

Bestiolaire de la Creuse. Identification d’un Crocothémis écarlate.    

VENDREDI.                   

Volière de la Creuse. Identification d’un Chevalier guignette.                    

Le cabinet de curiosités du notulographe. Antiquaires exotiques.  

  Jurmala (Lettonie), photo de Jean-Damien Poncet, 25 juillet 2017

Plombières-les-Bains (Vosges), photo de Bernard Rohmer, 11 septembre 2019    

SAMEDI.              

Films vus.

  • Buena Vista Social Club (Wim Wenders, Allemagne – É.-U. – R.-U. – France – Cuba, 1999)                               
  • Mon cousin (Jan Kounen, France – Belgique, 2020).                

L’Invent’Hair perd ses poils.  

  Nantes (Loire-Inférieure), photo de Clément Bretonnière, 21 janvier 2012

Toulouse (Haute-Garonne), photo de Clotilde Eav, 1er janvier 2012                

Poil et pellicule.  

Jeu de massacre (Alain Jessua, France, 1967)    

Bon dimanche,  

Philippe DIDION