24 avril 2022 – 968

DIMANCHE.

Lecture.

Le Serpent majuscule (Pierre Lemaitre, Albin Michel, 2021; 336 p., 20,90 €).

Pierre Lemaitre a ressorti de ses tiroirs un manuscrit qui date de 1985. Sa carrière ne commencera que vingt ans plus tard avec une série de polars durs, très noirs, et l’on peut comprendre son choix de ne pas avoir proposé ce texte à ses éditeurs de l’époque. En effet, Le Serpent majuscule n’est pas du tout dans la même ligne, il contient peut-être plus de cadavres que tous ses autres romans mais c’est un polar fantaisiste à la manière de Fred Kassak, presque parodique, construit autour d’une mémé tueuse à gages qui commence à s’emmêler dans les contrats qu’on lui donne du fait d’une mémoire défaillante. On imagine très bien la chose adaptée à l’écran par Georges Lautner et Michel Audiard aurait adoré donner son rôle principal à Annie Girardot. On regrette, à sa lecture, le fait que Pierre Lemaitre ait tourné le dos au polar pour les grandes fresques historiques qui ont fait son succès. Il y a trouvé son compte, sa famille aussi désormais bien nourrie, mais cette réédition choisie montre qu’il partage un peu, lui aussi, ces regrets.

MARDI.

Vie de retraité (entraînement à la).

Dans la salle d’attente où j’attends, c’est fait pour, que mon père sorte de son rendez-vous médical, je trouve une pile de Notre temps, “le magazine de la retraite heureuse”. Je remplis sans trop de difficultés quelques grilles de mots croisés. Apparemment, je suis apte.

MERCREDI.

Lecture.

La Chamade (Françoise Sagan, Julliard, 1965, rééd. in “Œuvres”, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2019; 1494 p., 30 €).

Françoise Sagan, en bonne lectrice de Proust, analyse de façon clinique une liaison amoureuse qui prend naissance dans un salon, version moderne et affadie de celui des Verdurin. La phrase n’est pas proustienne, ce n’est pas ce qu’on lui demande, mais la description des phases de cet amour est aussi précise et intéressante que chez son modèle. Modèle avoué d’ailleurs, Proust étant mentionné à deux reprises dans ce roman tout à fait réussi.                 

Éphéméride.

À Ernest Delahaye

“Lieu de Po[u]rrière[s], 20 avril 1912.

Cher ami,

C’est un signalement que vous nous demandez là, ce n’est pas une signature. Qu’est-ce à dire ?

Sentiments dévoués,

B. Nouveau

Professeur de dessin

Pourrières (Var)

Soigner les majuscules, S.V.P.” (Germain Nouveau, Correspondance)

JEUDI.                                 

Lecture.

Histoires littéraires n° 81 (Du Lérot éditeur, janvier-février-mars 2020; 208 p., 25 €).

Charles Nodier – Robert Doisneau – Claude Farrère – Pierre-Victor Stock – Matthieu Letourneux.

VENDREDI.                 

Lecture.

Le Cercle des Pataphysiciens (Collège de ‘Pataphysique, Mille et une nuits n° 544, 2008; 128 p., 3,50 €).                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Histoires de l’œil, photos de Pierre Cohen-Hadria.

Nantes (Loire-Inférieure), 14 octobre 2020

Asnières (Hauts-de-Seine), 26 janvier 2019

SAMEDI.            

Films vus.

  • Le Jour et l’Heure (René Clément, France – Italie, 1963)
  • Alliés (Allied, Robert Zemeckis, R.-U. – É.-U., 2016)                             
  • Le Toubib (Pierre Granier-Deferre, France, 1979)                             
  • Ange (Angel, Ernst Lubitsch, É.-U., 1937).

Football.

SA Spinalien – Beauvais 0 – 1.            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Salons d’actualité.

Brive-la-Gaillarde (Corrèze), photo de Bernard Cattin, 23 décembre 2019

Paris (Seine), rue du Faubourg-Saint-Martin, photo de Pierre Cohen-Hadria, 17 janvier 2018

IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental).

7 mars 2021. 137 km. (40 253 km).

181 habitants

Le monument, dressé au pied de l’église, est d’inspiration antique. Je ne pense pas avoir déjà rencontré ce genre d’architecture funéraire, néoclassique peut-être. Deux colonnes échappées d’un temple grec sont plantées sur une esplanade dont les coins portent des ogives d’obus. Un chapiteau domine un mur sur lequel les noms sont inscrits en grosses capitales.

Aux Héros de Senaide

1914-1918

Général MENESTREL Frédéric

Suivent 33 noms sur deux colonnes, de BRISSEY Gabriel à FLORIOT Achille (Syrie 1921).            

Poil et plume.

“Un après-midi, à la maison Cotter, elle produisit une pochette en suède fermée au milieu par une lanière en cuir, la défit, puis la posa sur le matelas et exposa une batterie d’instruments de barbier étincelants, ciseaux, rasoir à manche, peignes en écaille et tondeuse argent rutilante avec un double jeu superposé de petites dents extrêmement bien aiguisées. Cette affaire était une sorte de grand frère de l’étui à manucure que Billy m’avait offert à Noël. Mme Gray avait suivi un cours de coiffure dans le temps, me confia-t-elle, et coupait les cheveux de tout le monde chez elle, même les siens. Malgré mes gémissements plaintifs – comment allais-je expliquer ça à ma mère ? –, elle m’obligea à m’asseoir dans un vieux fauteuil en osier du porche ensoleillé et s’attaqua à ma tignasse hérissée avec une célérité de professionnelle, chantonnant entre ses dents pendant qu’elle s’activait. Lorsqu’elle eut terminé, elle me permit de me regarder dans le miroir miniature de son poudrier; je ressemblais à Billy. Quant à ma mère, puisque nous y sommes, je n’aurais pas dû me tracasser car, dans sa confusion habituelle, elle ne remarqua même pas mes cheveux étonnamment tondus – c’était bien d’elle, franchement.” (John Banville, La lumière des étoiles mortes)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

17 avril 2022 – 967

DIMANCHE.

Vie politique.

Nous allons voter en quatuor. Nous avons parlé de nos choix – le mien est simple, je vote depuis que j’en ai l’âge pour le même parti, quand il a encore la force de présenter un candidat – et chacun a donné sa voix à sa petite chapelle. Il me vient alors à l’esprit que je n’ai jamais ces derniers temps rencontré ou entendu quelqu’un disant qu’il allait voter pour le président sortant. Et si on allait vers une mauvaise surprise comparable à celle de 2002 ? J’écris ces mots à 19 heures, je saurai bientôt si mes craintes sont justifiées.

MARDI.

Lecture.

Le Fidèle Berger (Alexandre Vialatte, Gallimard, 1942, rééd. coll. L’Imaginaire n° 415, 2000; 270 p., 9,20 €).

Entre Battling le ténébreux, son premier roman publié, et ce Fidèle Berger, Vialatte a traduit Kafka. Il saura s’en souvenir au moment de transcrire sous forme romanesque son expérience de la drôle de guerre et de la déroute de l’armée française à laquelle il a pris part. “Comme un chien, murmura Berger. C’était une phrase qu’il avait lue dans un roman à propos d’une exécution qui se passait dans une carrière imaginaire, avec deux messieurs en haut-de-forme pour faire fonction d’exécuteurs, la guillotine étant remplacée par une scie.” Cette allusion à la fin du Procès confirme l’ancrage du récit de Vialatte dans un univers proprement kafkaïen. Le brigadier Berger, à l’issue d’une marche forcée qui le laisse à bout de forces et à demi-fou, est capturé par l’ennemi. Prisonnier, aliéné, libéré, il passe du cachot à la salle d’asile sans saisir ce qui lui arrive, incapable de comprendre le crime dont, comme Joseph K., il est persuadé d’être accusé. C’est le parcours qu’a connu Vialatte lui-même, qu’il reproduit dès sa libération sous la forme d’un monologue intérieur. Le récit est certes répétitif, en devient parfois longuet, mais constitue une expérience littéraire singulière qui ne ressemble en rien aux souvenirs de guerre habituels.

MERCREDI.                 

Éphéméride.

[13 avril 1939]

« À : Hôtel Royal Versailles, 31, r. Le Marois, Paris 16e

[Londres]

13-IV-39

3 heures

Mon amour, mon ange, toutes mes félicitations : 14 ans ! Encore une semaine et je t’embrasserai, ma tendresse. Aujourd’hui en me levant, j’ai eu soudain envie de tout laisser tomber et de rentrer – d’autant plus que Gleb me dit d’un air maussade que la soirée chez Chklovskaïa ne rapportera pas plus de 3 livres (mais je vais prendre mes mesures). J’irai chez elle demain pour mettre tout cela au point directement avec elle.” (Vladimir Nabokov, Lettres à Véra)VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Curiosités mortuaires.

Dore-l’Église (Puy-de-Dôme), photo de Christophe Hubert, 11 août 2019

Le Malzieu-Ville (Lozère), photos de Bernard Cattin, 22 juillet 2020

SAMEDI.            

Films vus.

  • Un après-midi de chien (Dog Day Afternoon, Sidney Lumet, É.-U., 1975)                             
  • Le Discours (Laurent Tirard, France – Belgique, 2020)
  • Thérèse (Alain Cavalier, France, 1986)
  • Boîte noire (Yann Gozlan, France – Belgique, 2021)
  • L’Homme qu’on aimait trop (André Téchiné, France, 2014).

Football.

SA Spinalien – Sannois Saint-Gratien 0 – 0.            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Flers (Orne), photo de Pierre Cohen-Hadria, 24 avril 2012/
Bastia (Corse), photo de Jean-Damien Poncet, 7 novembre 2017    

IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental).

6 février 2021. 111 km. (40 116 km).

Commune du Valtin

Pas de monument aux morts, bien entendu, ni de plaque dans la chapelle. La présence du col dans la liste des communes figurant dans le calendrier des postes de 2006 n’est due qu’à l’existence, à l’époque, d’une cabine téléphonique.            

Poil et plume.

“La façon dont les gens regardent leur propre visage est souvent révélatrice. Ce n’est pas une chose qu’ils font souvent, ni même qu’ils ont envie de faire, mais chez le coiffeur, vous n’avez guère le choix. Au café, les gens paient pour s’asseoir et voir défiler le monde. Chez le coiffeur, ils paient pour contempler leur propre visage et vous voyez ce qui se passe en eux quand ils le font.

Vous ne voyez pas grand-chose sur une tête. Même s’il m’arrive de me dire : Là, au-dessous de mes doigts, se trouvent leur crâne, leur cerveau, et toutes les pensées qu’il peut contenir.

Ce que ce client-là me disait, à la façon dont il se regardait dans la glace, c’était qu’il avait vécu toute sa vie avec – ou pour – papa et maman. Vous avez des hommes qui sont de grands enfants. C’était à peu près tout ce que je percevais. Et qu’il devait avoir la soixantaine bien sonnée. Un de ces solides gaillards au cœur tendre. Ce qu’il me disait, c’était qu’il était seul au monde.” (Graham Swift, “Les autres, c’est la vie”, in De l’Angleterre et des Anglais)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

10 avril 2022 – 966

MARDI.

Lecture.

Zuckerman délivré(Zuckerman Unbound, Philip Roth, Farrar, Straus & Giroux, New York, 1981, Gallimard, 1982 pour la traduction française, traduit de l’américain par Henri Robillot, rééd. in “Romans et récits 1979-1991”, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 663, 2022, traduction revue par Aurélie Guillain; 1546 p., 69 €).

Deuxième volet du cycle “Zuckerman enchaîné” consacré à un écrivain qui est clairement le double de Philip Roth, Zuckerman délivré présente celui-là face à la renommée que lui a a valu son livre précédent. Donc, Zuckerman après Carnovsky, c’est Roth après Portnoy, œuvres équivalentes dans la mesure où elles présentent de manière impudique le milieu familial et sociétal dans lequel ont grandi leurs auteurs. La gloire, cela veut dire une quantité égale de fans et d’opposants, les uns enthousiastes, les autres outrés, qui collent aux basques de l’écrivain. Roth présente sa situation avec un humour dévastateur teinté d’autodérision, au fil de scènes et de dialogues étirés qui traînent parfois en longueur. Mais c’est l’économie de l’œuvre en cours qui est le point le plus intéressant : au cours du roman B (Zuckerman) qui se se nourrit du roman A (Portnoy), l’auteur note tout ce qui lui arrive en prévision d’un roman C qui est encore à écrire : “les réactions au livre précédent, écrira un critique cité dans la présentation, renvoient à Zuckerman une image en miroir de sa propre forme de créativité; en provoquant l’écrivain, elles sont à la source de la fiction suivante.”

MERCREDI.                  

Éphéméride.

6 avril  [1892]

Pierre Loti reçu à l’Académie française. Son discours a été un “je” perpétuel. Mais que ce talent me sourit ! Je n’adore que la gloire littéraire, et tout le reste pour moi n’est rien.” (Abbé Mugnier, Journal 1879-1939)

VENDREDI.                 

Lecture.

Les Huit Coups de l’horloge (Maurice Leblanc, Éditions Pierre Lafitte, 1923, rééd. in « Les Aventures extraordinaires d’Arsène Lupin » vol. 2, Omnibus 2004, 1240 p., 23 €).                               

Nouvelles.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Jour d’élection.

Épinal (Vosges), photo de Lucie Didion, 10 décembre 2016

Ladapeyre (Creuse), photo de l’auteur, 31 juillet 2017

SAMEDI.

En feuilletant Livres Hebdo.                                                         

Megan Rosenbloom, Des livres reliés en peau humaine : une enquête sur la bibliophilie anthropodermique, traduit de l’anglais (États-Unis) par Phoebe Hadjimarkos-Clarke, Éd. B42, 2022 ; 192 p., 24 €.             

Dans une récente livraison d’Histoires littéraires, Jean-Paul Goujon signale que “contrairement à ce qu’on pourrait croire, les livres de ce genre, même s’ils ne sont pas en nombre considérable, ne sont pas absolument rarissimes.” Il cite, d’après le Journal des Goncourt, l’exemple d’un sulfureux bibliophile qui avait chargé l’explorateur Richard Burton, alors en expédition au Dahomey, de lui procurer une peau humaine à des fins de reliure. Mieux : il existait à Meudon, selon l’historien Montgaillard, une tannerie de peau humaine qui aurait fonctionné de 1792 à 1794, une époque à laquelle la matière première était abondante. Pas rare, donc, mais pas donné : Goujon signale une édition de La Philosophie dans le boudoir, de Sade, “volume recouvert en peau humaine”, adjugé 55 919 € au cours d’une vente à Drouot en octobre 2019. Autrement dit, la peau des fesses. Le Monde des livres d’hier donnait une recension de l’ouvrage de Megan Rosenbloom.

Films vus.

  • La Déchirure (The Killing Fields, Roland Joffé, R.-U., 1984)
  • Un tour chez ma fille (Éric Lavaine, France, 2021)
  • Ça n’arrive qu’aux autres (Nadine Trintignant, France – Italie, 1971)                            
  • Les Sœurs Brontë (André Téchiné, France, 1979)                            
  • Annette (Leos Carax, France – Belgique – Allemagne – É.-U. – Japon – Mexique – Suisse, 2021).

L’Invent’Hair perd ses poils.

Tananarive (Madagascar), photo de Christiane Larocca, 23 avril 2012

Le Château-d’Oléron (Charente-Inférieure), photo de Jean-Christophe Soum-Fontez, 5 juillet 2018

IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental).

24 janvier 2021. 67 km. (40 005 km).

184 habitants

La stèle simple au sommet arrondi qui se dresse à l’angle de la Mairie provient peut-être d’un autre endroit. Elle est protégée par trois bacs à fleurs en bois et surmontée de trois drapeaux tricolores aux couleurs passées.

Aux enfants de Savigny

Morts

Pour la France

M. CHATELAIN.     25.8.14.

J. OLIVIER.     AOUT. 14.

C. PIERRE.     11.9.14.

T. FRICOT.     28.3.15.

A. CHEVILLOT.     10.5.15.

C. HENRY.     13.5.15

E. MOINEL.     25.6.16.

M. OLIVIER.     23.4.18.

J. BASTION.     9.5.18.

E. OLIVIER.     20.8.18.

F. CHAMPY.     2.9.18.

P. CHEVILLOT.     24.9.18.

E. BATILLOT.     16.7.1928.

G. FAIRISE.     16.7.1943.

Poil et plume.

“L’endroit était à l’enseigne de La Belle Touffe, mention surmontée d’une tête de noble en bois parfaitement coiffée qui se balançait à côté de la lanterne. L’endroit avait été déserté à cause du genre de maladie dont avait péri le propriétaire. Ils se signalèrent à la voisine, deux yeux de musaraigne sur un museau effilé qui, à la vue des costumes, leur lança la clé du magasin par la fenêtre.

Les rayonnages étaient garnis d’articles de coiffure. Il y avait tout pour l’élégance de la houppette, et même de fausses queues-de-cheval retenues par un ruban de taffetas noué en papillon. Louis XIII avait perdu ses cheveux vers 1626, cela faisait plus de cent ans que les hommes en portaient de faux à l’imitation des rois. La rage de la frisure avait fait la fortune de la corporation. La tête masculine était un champ où ils plantaient des toupets, des boucles étagées qu’ils arrosaient d’essences musquées ou ambrées. On sortait de là tout neuf et tout faux.” (Frédéric Lenormand, Docteur Voltaire et Mister Hyde)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

3 avril 2022 – 965

DIMANCHE.

Lecture.

Travaux (Georges Navel, Stock, 1945, rééd. Gallimard, coll. Folio n° 1156, 1979; 256 p., 7,60 €).

L’ami Thierry Beinstingel est souvent présenté (parfois à son corps défendant car il n’est pas que cela) comme le spécialiste de la littérature du monde du travail. Nul doute qu’il aurait beaucoup à dire sur cet ouvrage, présenté comme “un des livres les plus beaux inspiré par la condition ouvrière”. C’est une tranche de vie prolétarienne qui rappelle Banlieue sud-est de René Fallet et les romans de Jean Meckert, parus à la même époque. Mais Georges Navel ne fait pas du roman, il refuse l’anecdote pour privilégier la réflexion, l’analyse, l’expérience. Et de l’expérience, il en a à revendre, ayant à peu près tout connu, l’usine, l’atelier, la chaîne, le terrassement, le bûcheronnage et les travaux des champs. Partout, c’est la même difficulté à gagner sa croûte et son toit, la même détestation des contremaîtres, petits chefs, patrons et propriétaires : “J’avais sur le dos un carcan pour toute la vie : gagner mon pain en travaillant.” Heureusement, il y a deux moyens de s’échapper : l’étude, la réflexion, qui aboutira à ce livre, et l’action : “Il existe une tristesse ouvrière dont on ne guérit que par la participation politique”. Navel ne cache pas son goût pour le combat syndical, son attrait pour le collectivisme, son engagement communiste. À l’heure des combats identitaires d’aujourd’hui, il n’est pas mauvais de se rappeler que la lutte des classes avait tout de même une autre gueule. C’est ce que permet la lecture de ce livre remarquable.

MERCREDI.                  

Éphéméride.

Lundi 23 mars 1970

Je suis fatigué extrêmement et j’ai du travail. Je compte que nous irons jeudi à Berneval, et je mets mes espoirs dans une vie régulière, car il faut compter pour chaque jour qui vient, jusqu’au 15 mai, une demi-douzaine d’heures d’écriture, chaque jour. Aujourd’hui, j’ai travaillé un peu à Sylvette, mais ça flotte un tantinet. Je pense que ça ira quand même. Le récepteur de télévision est en panne : le son ne marche plus. Nous avons revu dans des conditions précaires CLASSE TOUS RISQUES, qui demeure un agréable policier de série B. Je lis des nouvelles de Fiction, et j’entame de nouveau DE LA GUERRE, qui est ardu, lent, riche. Le jeu de La Conquête du Monde, auquel je joue avec Tristan, est un Kriegspiel qui donne toute sa valeur à la théorie. J’en ai changé les règles, de façon qu’un équilibre dialectique des forces soit possible en toute circonstance.” (Jean-Patrick Manchette, Journal 1966-1974)

JEUDI.         

Vie technologique.

Je dépose l’ordinateur en clinique pour un changement de disque dur, le précédent arrivant à saturation. La bête était devenue d’une lenteur désespérante, me faisait perdre un temps fou. On m’assure que l’opération résoudra ce problème et que je retrouverai l’ensemble de mes données. J’ai pris la précaution de rédiger les notules de dimanche, devant récupérer l’objet samedi.

VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Lunettes fourrées.

Gatsby le magnifique (The Great Gatsby, Baz Luhrmann, Australie – É.-U, 2013)

Montpellier (Hérault), photo de Jean-François Fournié, 10 août 2019

SAMEDI.

Films vus.

  • La Neige était sale (Luis Saslavsky, France, 1954)
  • Chacun chez soi (Michèle Laroque, France, 2020)
  • Parade (Jacques Tati, France – Suède, 1974)
  • Dream Horse (Euros Lyn, R.-U., 2020)
  • Sur la piste des Mohawks (Drums Along the Mohawk, John Ford, É.-U, 1939).            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Cannes (Alpes-Maritimes), photo de l’auteur, 18 avril 2012

Poil et plume.

“Les corbeaux se teignent.” (Ramón Gómez de la Serna, Greguerìas)

DIMANCHE.

Vie déconnectée.

L’ordinateur n’a pas obtenu son bon de sortie, il y a des complications. Pas de notules aujourd’hui donc, et aucun moyen de le faire savoir. Le temps libéré ces jours derniers aura été bien utilisé. J’ai regardé des épisodes de série (Yellowjackets), relu Bartleby dans la nouvelle traduction figurant dans “L’intégrale des nouvelles d’Herman Melville”, lu un polar de Deon Meyer (La Proie), un autre de Whit Masterson (La Soif du mal), un petit roman post-apocalyptique (Le Sanctuaire, de Laurine Roux) et un recueil de textes émanant d’un atelier de l’Oulipo (La Sunoogo dans le jaden du zabide). J’ai pratiqué la lecture en continu, ce que je ne fais jamais d’habitude : je lis beaucoup, mais toujours par petits morceaux, sur divers supports, livre, revue, journal, magazine, sautant de l’un à l’autre, les longues séquences se déroulant plutôt devant l’ordinateur. Le problème, c’est que dans l’état de fatigue où je me trouve, la lecture en continu ne dure pas bien longtemps, mes yeux se ferment au bout de quelques minutes et de quelques pages. Je ne m’en plains pas, je suis dans une situation de confort exceptionnelle : je suis perpétuellement fatigué en ayant la possibilité de me reposer à tout moment. Un luxe.

LUNDI.

Vie reconnectée.

Je récupère l’ordinateur muni de ses nouvelles entrailles. Si la rapidité promise est bien au rendez-vous, le contenu de l’outil est un champ de ruines : programmes inutilisables, dossiers manquants, archives englouties, boîte à courriel disparue. La présence de Lucie, plus habile que moi sur ces questions, et la bonne habitude de mettre les documents des supports et dans des formats différents devraient permettre d’éviter le désastre complet. Au boulot.

MERCREDI.                 

Éphéméride.

“Mardi 30 mars 1954

Deux sons de cloche : l’un, de la fédération radicale-socialiste de l’Est : “Que faisons-nous dans la majorité de M. Laniel, la plus à droite de la République depuis qu’il y a une République ?” Et l’autre, de la fédération M.R.P. de la Manche, inquiète du maintien du M.R.P. “dans une majorité qui ne correspond pas aux aspirations des militants”.

Voilà la question bien posée : existe-t-il dans le Parlement actuel, en dehors du Front populaire, c’est-à-dire de l’alliance avec le parti communiste, un rassemblement possible, des socialistes à la gauche du M.R.P. ? Les vieux routiers n’y croient pas, c’est un fait.

Autre question : d’où vient que les dirigeants M.R.P. ne tiennent aucun compte des “aspirations des militants” ? C’est que, dans les partis constitués comme ils le sont, et surtout au M.R.P., tout membre qui a une ambition personnelle, fût-elle minime, ne peut la satisfaire que par le parti et dans le parti. Ces cyprins n’aiment pas leur bocal, mais pour eux ce serait crever que d’en sortir.” (François Mauriac, Le Bloc-notes)

VENDREDI.

Lecture.

Le Jeu de la dame (The Queen’s Gambit, Walter Tevis, Random House, 1983 pour l’édition originale, Albin Michel, 1990 pour la traduction française, rééd. Gallmeister, coll. Totem, 2021, traduit de l’américain par Jacques Mailhos; 448 p., 11,40 €).

Une orpheline apprend à jouer aux échecs dans l’institution qui l’a accueillie et devient un grand maître du jeu. Cette histoire semblait faite pour le cinéma hollywoodien mais c’est sous la forme d’une série télévisée qu’elle a été adaptée sur Netflix en 2020. Elle débute comme un roman de Dickens ou de Daudet mais s’en éloigne rapidement car l’auteur a choisi de ne pas rendre son personnage sympathique. Impossible en effet pour le lecteur de sympathiser avec la jeune Beth : voleuse, toxicomane, alcoolique, misanthrope, elle empêche toute identification ou compassion. Ce côté original est doublé par une véritable performance de Walter Tevis : il nous trimballe de tournoi en tournoi, décrit précisément d’innombrables parties, indique des mouvements de pièces, des tactiques obscures qui font appel à la défense sicilienne, à la variante Levenfish, au contre-gambit Falkmeer et j’en passe. Et ça marche. On n’y comprend goutte mais on parvient à suivre les parties qui se succèdent, mieux, on se passionne, il n’y a pas un moment d’ennui sur 450 pages, c’est du grand art.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Métiers rares, photos de l’auteur.

Aubusson (Creuse), 29 décembre 2017

Charmes (Vosges), 3 juillet 2017

SAMEDI.

Films vus.

  • Gagarine (Fanny Liatard, Jérémy Trouilh, France, 2020)
  • I Gotta Look Good for the Apocalypse (c.m. Ayçe Kartal, Turquie – France, 2021)                             
  • Petite nature (Samuel Theis, France, 2021)                             
  • The King of Marvin Gardens (Bob Rafelson, É.-U, 1972)                             
  • Abyss (The Abyss, James Cameron, É.-U, 1989)                             
  • On demande une brute (c.m., Charles Barrois, France, 1934)                             
  • Gai dimanche ! (c.m., Jacques Berr, France, 1935)                             
  • Soigne ton gauche (c.m., René Clément, France, 1936)                             
  • L’École des facteurs (c.m., Jacques Tati, France, 1947)                             
  • Cours du soir (c.m., Nicolas Ribowski, France, 1967)                             
  • Dégustation maison (c.m., Sophie Tatischeff, France, 1978)                             
  • Forza Bastia (c.m., Jacques Tati, Sophie Tatischeff, France, 1978)                             
  • Profession du père (Jean-Pierre Améris, France, 2020).            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Vienne (Isère), photo de Christiane Larocca, 23 mars 2021

Papeete (Tahiti), photo de Laurence Bessac, 26 octobre 2015

IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental).

1er janvier 2021. 128 km. (39 938 km).

183 habitants

Derrière une grille peinte en noir et entre deux hauts thuyas se dresse l’obélisque orné d’une palme et d’une couronne métalliques.

Pro Patria

1914-1918

La Commune

De Sauville

À ses enfants

Morts

Pour la France

1939-1945

Victimes civiles

Henri JOLY / Yolande BINSFELD

Victor DIDIER

Gauche :

THOUVENOT Jules

BERY Louis

GUY Charles

DUFOUR Émile

BARCHARD Charles

JACQUEMIN Gustave

HENRY René

PETITJEAN Marcel

PARMENTIER Émile

Droite :

JACQUEMIN Charles

THUILLIER Gabriel

VAUTRIN Charles

BOULANGER Charles

DIDIER Albert

PETITJEAN Léon

HUMBLOT Pierre

BERY Charles

JOLY Camille

Poil et plume.

“La peinture de l’enseigne montrait un visage outrageusement chevelu sous la mention “À la belle frisette”. Sur les étagères se bousculaient des têtes en bois brun polies comme des œufs d’autruche qui servaient de reposoir à des cascades de cheveux poudrés, voire de mèches en crin ou en laine à l’intention des domestiques. Il y avait là les quarante-cinq styles de postiches décrits par l’Encyclopédie perruquière, ouvrage que tout galant homme se devait de posséder dans sa bibliothèque. Cet étalage de trophées semblait un mémorial dédié à la carrière du bourreau de Paris.” (Frédéric Lenormand, Élémentaire, mon cher Voltaire !)

Bon dimanche,

Philippe DIDION