14 août 2022 – 981

LUNDI.

Lecture.

Le Journal du coiffeur (Marcel Jouhandeau, Gallimard, 1931; rééd. in “Chaminadour : contes nouvelles et récits”, Gallimard 2006, coll. Quarto; 1540 p., 29,90 €).                        

Dans ce recueil de nouvelles, Jouhandeau dresse le portrait de plusieurs de ses compatriotes de Chaminadour, alias Guéret. On comprend, à les lire, qu’il dut s’entourer de mille précautions quand ses pas le ramenaient dans sa ville natale : sous sa plume, les habitants de Chaminadour rivalisent de mesquinerie, de bassesse, de crasse, de bigoterie, de jalousie, de haine, de laideur et de cupidité. Seules quelques rares figures positives illuminent cette galerie de monstres : Bélisée, une servante cousine de la Félicité de Flaubert dans “Un cœur simple”, et Marguerite Bargeron, une fille-mère dont l’enfant est tué par sa propre mère. Le volume se clôt sur “La mort de Madame Pô”, un personnage sur lequel Jouhandeau concentre toute sa haine. Cette Madame Pô, Poty dans la réalité, restera dans l’histoire par l’intermédiaire de sa fille qui, rappelle Richard Millet dans sa préface, “plus tard, achètera une maison sur le chemin du cimetière de Guéret, afin de pouvoir cracher sur le cercueil de l’écrivain lorsqu’on mènerait celui-ci à sa dernière demeure”. Pas de pot : Jouhandeau fut enterré au cimetière de Montmartre.

MERCREDI.                  

Éphéméride.

Kitty Black,                                      

Curtis Brown, Londres

“10 août 1956

6 Rue des Favorites

Paris 15me

Chère Kitty

Merci pour votre lettre. Je pense que vous n’êtes pas correctement informée. Il n’y a nul besoin d’une nouvelle “édition pour les acteurs” de Godot. Faber n’a pas publié le texte complet (à mon grand dam). Leur édition respecte toutes les coupures demandées par le LC. Leur texte est le texte utilisé pour monter la pièce au Criterion et leur édition est l’édition pour les acteurs. Elle pourrait être jouée par des enfants de l’école du dimanche sans risque de poursuites. Leur note de l’éditeur insérée à ma demande (à la page cinq du livre) explique cela tout à fait clairement.

Bien cordialement,

Toujours à vous

s/ Samuel Beckett” (Lettres II, 1941-1956)                 

Lecture.

Du sang sur tes mains (Kiss the Blood off My Hands, Gerald Butler, 1940 pour l’édition originale, Presses de la Cité, coll. Cosmopolis, 1946 sous le titre Les Mains pures, pour la traduction française, traduit de l’anglais par Jean Weil, traduction revue par Jean-François Merle, rééd. in « Polars années 50 », vol. 3, Omnibus, 1997; 1096 p., 145 F).

Le Dictionnaire des littératures policières de Claude Mesplède parle à propos de ce livre d’un “inoubliable roman noir”. Le compliment est justifié tant l’histoire de ce type, violent et bas du front, dont la vie est transformée par une rencontre amoureuse, est prenante malgré sa simplicité. Butler, un Anglais, s’approprie aisément les qualités des auteurs américains de l’époque : récit tendu, à la première personne, au présent, sans temps morts ni fioritures, qui méritait largement sa place dans cette anthologie.

JEUDI.

Vie technologique.

Je fais aujourd’hui mon entrée dans le XXIe siècle après une prise d’élan de vingt-deux ans. Me voici en effet depuis ce matin, et ce grâce à la générosité de mes collègues, en possession d’un téléphone de poche. Un vrai, de la taille d’une plaque de cuisson, qui nécessitera le port de vêtements aux poches larges et profondes. À moi les réseaux qu’on dit sociaux sur lesquels je vais pouvoir donner mon avis sur tout et n’importe quoi et passionner la terre entière avec les photos de mes vacances au bout du monde, à moi les selfies en compagnie des célébrités que je croise chaque jour. Je vais pouvoir tweeter, retweeter, partager, liker à tour de bras, devenir un follower et ne rien manquer des pensées d’Élisabeth Borne et de Cyril Hanouna. J’ai hâte. En attendant, il faut que j’arrive à mettre en marche le bidule et que j’apprenne à ne pas poser n’importe où mes gros doigts boudinés. L’honnêteté m’oblige à dire que je ne suis pas totalement vierge dans le domaine de la téléphonie mobile. J’avais acheté un appareil en 2005, quand Lucie avait déclaré sa maladie et que l’inquiétude me poussait à prendre des nouvelles plusieurs fois par jour. Je m’en suis débarrassé quand les choses se sont stabilisées. Plus récemment, il y a quelques mois, je me suis approprié l’outil de mon père, devenu malheureusement incapable de s’en servir. Ma cabriole de février m’avait montré que j’avais passé l’âge de m’aventurer dans la pampa sans possibilité de joindre le reste du monde. Mais ces objets n’étaient que des jouets à côté de ce que je tiens aujourd’hui dans mes mains tremblantes.

VENDREDI.                 

Lecture.

Hamlet (William Shakespeare, 1603 pour la première édition, Flammarion, coll. GF n° 6, 1979, traduit de l’anglais par François-Victor Hugo).                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

À boire.

 Unverre (Eure-et-Loir), photo de Christophe Hubert, 24 juillet 2020

Felletin (Creuse), photo de l’auteur, 28 juillet 2021

SAMEDI.            

Films vus.

  • Gravity (Alfonso Cuarón, R.-U. – É.-U., 2013)                             
  • Les Beaux Jours (Marion Vernoux, France, 2013)                             
  • Rhapsodie pour un pot-au-feu (c.m., Charlotte Cambon, Stéphanie Mercier, Soizic Mouton, Marion Roussel, France, 2013)                             
  • L’Année du requin (Ludovic & Zoran Boukherma, France, 2022)                             
  • Brooklyn (John Crowley, R.-U. – Canada – Irlande, 2015)                             
  • My Son (Christian Carion, R.-U. – France – Allemagne, 2021)                             
  • Fat City (John Huston, É.-U., 1972).            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Grancey-le-Château-Neuvelle (Côte-d’Or), photo de Thierry Vohl, 2 juillet 2012

Limoges (Haute-Vienne), photo de Jean-Christophe Soum-Fontez, 21 avril 2018

Poil et plume.

“Tant qu’il y avait eu les gendarmes français pour les garder, il les avait coiffés. Il avait vu si souvent son père agiter ses ciseaux, les faire cliqueter en l’air comme s’il voulait prévenir les cheveux du client qu’il allait sous peu passer à l’offensive, et puis ensuite, fixant la nuque, concentré, fondre sur l’épi rebelle, la petite touffe à raser d’un coup décisif. Même les coiffeurs de métier l’avaient pris pour l’un des leurs. » (Jean-Claude Grumberg, La plus précieuse des marchandises)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

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