DIMANCHE.
Vie technologique.
Au temps glorieux du magnétoscope et des VHS, j’ai enregistré à peu près tous les films diffusés à la télévision que je pouvais atteindre. J’ai accumulé des centaines de cassettes sans pouvoir les regarder toutes, bien entendu, c’était en prévision de mes vieux jours. On pensait alors que ce support était le point ultime de la technologie, on n’imaginait pas encore le DVD, le téléchargement, le streaming… Quand toutes ces nouveautés ont débarqué, je n’ai pas voulu me séparer de mes cassettes et les ai stockées dans des cartons, à la cave. J’en remontais une par semaine environ, certaines étaient devenues illisibles, et puis le magnétoscope a rendu l’âme, il a fallu en dénicher un autre, mais j’arrivais à voir la plupart des films et, vaille que vaille, les cartons se sont vidés. Ce soir, je regarde la dernière VHS tirée du dernier carton, un vieux Fernandel que je n’aurais jamais retrouvé ailleurs, avec la satisfaction du devoir accompli et du programme respecté. Il est temps de prendre pied dans le XXIe siècle.
LUNDI.
Lecture.
La Demoiselle aux yeux verts (Maurice Leblanc, Éditions Pierre Lafitte, 1927, rééd. in « Les Aventures extraordinaires d’Arsène Lupin » vol. 3, Omnibus 2005, 1024 p., 23 €).
“Seulement… seulement, il se produisait une chose inouïe, incroyable, inimaginable, fantastique, qui lui coupa les jambes et l’immobilisa dans l’encadrement de la porte.” Vous aimez les adjectifs ? Lisez Arsène Lupin.
MARDI.
Vie littéraire.
Je pars pour Paris par le 6 heures 45. Le temps n’incite pas à la promenade, je me réfugie dans un cinéma de la rue Champollion et déguste un vieux Cary Grant absolument délicieux, cuvée 1947. Direction l’Arsenal ensuite pour assister aux festivités organisées pour les quarante ans de l’Association Georges Perec (une petite trentaine pour moi). Je m’attendais à une réunion intimiste mais il y a foule, ce qui fait que je n’aurai pu saluer toutes les personnes que j’étais heureux de retrouver après, pour moi, deux années blanches peuplées de fades réunions Zoom et de rendez-vous manqués. Le programme est copieux, trop même puisqu’il fait quitter les lieux au bout de trois heures, et en vitesse pour éviter de déclencher les systèmes d’alarme. La partie musicale, du genre expérimental, me heurte un brin les oneilles mais les lectures données révèlent des choses quasiment inaccessibles au perecquien le plus chevronné : “Les Barques”, une nouvelle de jeunesse, et surtout “Je m’appelle Gaspard Winckler…”, probable incipit de Gaspard, roman inachevé qui allait devenir Le Condottière et qui recèle, en quelques pages, de nombreux thèmes présents dans l’œuvre à venir.
MERCREDI.
Vie parisienne.
Je visite les librairies anglo-saxonnes de la rue de Rivoli pour remplacer mon vieil exemplaire de Ulysses qui tombe en javelle. Je visais la réédition du bicentenaire mais celle-ci reprend la typographie de l’époque, par trop inconfortable pour mes pauvres yeux. Je me contenterai du Penguin de base que je ne relirai jamais sans doute en entier mais que je picore avec gourmandise dans le dur que je m’empresse de prendre avant d’être coincé par les grèves annoncées. Auparavant, j’aurai eu le temps, à Beaubourg, de m’immerger dans le monde d’Artaud, Rimbaud et Daumal vu par Patti Smith pour une installation un peu décevante à mon goût.
Éphéméride.
“21 décembre [1944]
Pour la première fois, j’ai plaidé devant la cour de justice, le tribunal d’exception créé par ce nouveau régime. Si j’étais ce que devrait être un homme vraiment libre de sa vie, je poserais ma robe et ne la reprendrais que le jour où la justice rentrerait dans le prétoire. C’est une abjection. Comme lever de rideau, j’ai vu entrer vingt jurés hommes et femmes venus on ne sait d’où, porteurs d’insignes divers : croix de Lorraine, petites cocardes tricolores, etc. Les Français aiment les décorations. On a fait l’appel et tiré au sort. Une femme et trois hommes ont été désignés. La femme, mégère à lunettes, paraissait une pétroleuse. Les hommes avaient le visage buté et fermé.
On jugeait un pauvre cabotin : Duard fils. Enfant de la balle, né de Dux de la Comédie-Française et de Duard de l’Odéon. Un pauvre raté malade et crevant de faim qui, pour MANGER, a récité des monologues et chanté des chansonnettes à Radio-Paris. On n’avait même pas le texte de ses émissions. On le jugeait comme l’âne de la fable. C’était une pitié.
J’ai essayé de les remuer, ces hommes impitoyables. Tandis que j’étais moi-même prêt à pleurer, ils avaient la tête dure et implacable. Justice atroce rendue non par des juges mais par des méchants qui se vengent. On a choisi comme jurés des gens qui ont des parents déportés ou fusillés. C’est le contraire de l’impartialité. […]” (Maurice Garçon, Journal 1939-1945)
Lecture.
Les Animaux dénaturés (Vercors, Albin Michel, 1952, rééd. Librairie Générale Française, coll. “Le Livre de poche” n° 210-211, 1969; 448 p., s.p.m.).
VENDREDI.
Le cabinet de curiosités du notulographe.
Le cabinet de curiosités du cabinet de curiosités.
Senones (Vosges), photo de l’auteur, 20 mars 2021
SAMEDI.
Films vus.
- L’Assassin est dans l’annuaire (Léo Joannon, France, 1962)
- Arthur Rambo (Laurent Cantet, France, 2021)
- Honni soit qui mal y pense (The Bishop’s Wife, Henry Koster, É.-U, 1947)
- Mauvaise graine (Alexandre Esway, Billy Wilder, France, 1934)
- Judy (Rupert Goold, R.-U. – France – É.-U, 2019)
L’Invent’Hair perd ses poils.
Quimper (Finistère), photo de Bernard Bretonnière, 22 juillet 2012
Poil et plume.
“Des années plus tard, arrivant à New York (Severo était encore de ce monde), je cherchais un coiffeur et m’arrêtai dans une petite échoppe de Broadway, vers la 106e rue. Le coiffeur, qui était cubain, me demanda d’où je venais; je lui répondis que j’arrivais de Paris : “Connaissez-vous Severo Sarduy ?” repartit-il comme si cela allait de soi. Quelques répliques avaient peut-être été échangées entre-temps, mais je n’en suis pas sûr. Comme justement je connaissais Severo, “Vous lui direz bonjour en rentrant”, poursuivit-il.Remontant Broadway, j’ai cherché la boutique du coiffeur qui avait eu Severo pour ami de jeunesse à Cuba (ou pour amant, avais-je pensé, à la façon dont il m’avait parlé de lui), mais je ne l’ai plus trouvée. Son magasin avait fermé depuis longtemps.” (Antoine Compagnon, L’Âge des lettres)
Bon dimanche, et surtout
Vosges Matin, 7 juin 2022
Philippe DIDION
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