12 mars 2023 – 1005

MARDI.

Lecture.

Vercoquin et le plancton

(Boris Vian, Gallimard, 1946, rééd. in « Œuvres romanesques complètes I », Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 562, 2010; 1312 p., 57,50 €).

C’était la fin des années 1970, on découvrait Boris Vian, souvent au lycée, et on s’apercevait avec délice que la littérature n’était pas forcément synonyme d’austérité et d’ennui. On pouvait assouvir sa curiosité parce qu’à ce moment-là, 10-18 rendait accessible en poche tout ce qu’avait écrit Bison Ravi. Ou presque tout. Pour des raisons qui nous échappaient, Vercoquin et le plancton était disponible mais ailleurs, en Folio. Je refusais de l’acheter pour ne pas casser mon bel alignement de 10-18 et ce n’est qu’aujourd’hui que je découvre cette histoire à la gloire du jazz et des surprises-parties qui est une sorte de préambule, dans l’écriture, à L’Écume des jours. Comme quoi tout arrive.

MERCREDI.                 

Lecture.

“Le Festival” (“The Festival”, Howard Phillips Lovecraft, 1922, Belfond pour la traduction française, rééd. in “Œuvres I”, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1991, d’après la traduction de Paule Pérez; 1172 p., 31 €).

Nouvelle.                 

Éphéméride.

Dimanche 8 mars 1936. […] M’a marqué aussi son étonnement de ces gens qui attendent, je ne sais quel âge, pour savoir ce que c’est que l’amour : “Toi, par exemple, qui as attendu soixante ans pour savoir ce qu’est l’amour-passion.” Elle entend celui que j’ai pour elle. Je n’ai pas répondu. Mon amour pour elle, est-il bien différent, je ne dirais pas des précédents, mais de mon amour pour le Fléau ? Je n’ose prononcer le reste de sang-froid avec elle, comme je l’ai toujours été. Pas le moindre aveuglement, ni sur le moral, ni sur le physique. Alors ?” (Paul Léautaud, Journal particulier 1936)                  

Obituaire.

Ce n’est pas pour me vanter, mais j’ai tapé sur l’épaule de Marcel Amont, dont j’apprends la mort aujourd’hui. Je retrouve la date sur Internet, c’était en juin 1980, nous étions partis sur un coup de tête pour le rassemblement antinucléaire de La Hague (Manche), c’était loin, nous avions dormi à mi-chemin chez Albert Marcœur, “le Frank Zappa français”. Le Monde parlait à l’époque d’un “Woodstock à la française”, ce qui était sans doute abusif, même si un élément du festival historique était bien présent : la pluie. Une pluie torrentielle qui noya rapidement le site et obligea tout le monde à se réfugier à Sainte-Mère-Église où Jacques Higelin donna, jusqu’aux heures du petit matin, un concert mémorable. Outre Higelin, il y avait là le gratin du rock français de l’époque, je n’ai plus tous les noms en tête. Et puis Marcel Amont, égaré dans ce monde de brutes. C’est lui qui avait fait l’ouverture, sous les huées de la jeune assemblée, et il s’était fait rapidement éjecter. Moi, ça ne me dérangeait pas qu’il soit là, Marcel Amont n’était déjà plus tout neuf mais Brassens n’avait pas pour habitude de donner ses chansons à n’importe qui et il en avait offert une à Marcel Amont (“Le Chapeau de Mireille”), ça suffisait à me le rendre sympathique. Je ne sais plus comment je m’étais retrouvé en backstage, mais j’étais là quand Marcel Amont est descendu de la scène, effondré, réconforté par ses musiciens. Je m’étais approché, lui avais donc tapé sur l’épaule et dit ces mots historiques : “T’en fais pas Marcel, il n’y comprennent rien”. Je me souviens de son sourire navré.

JEUDI.         

Lecture.

Le Lieutenant Burda (Leutnant Burda, Ferdinand von Saar, in Deutsche Dichtung, 1887 pour l’édition originale, Bartillat, 2022 pour la traduction française, traduit de l’allemand par Jacques Le Rider; 128 p., 16 €).

Dans son article du Monde des livres rendant compte de la sortie de ce court roman, l’ami Denis Cosnard parlait à propos de Ferdinand von Saar d’un “Maupassant viennois”. Ce qui est tout à fait justifié si l’on considère la virtuosité narrative dont il fait preuve et le plaisir de lecture qu’elle procure. En plus, il y a l’atmosphère viennoise que l’on goûte chez Zweig, Roth ou Schnitzler, les bals, les cafés, les casernes, les officiers à lorgnon aux uniformes chamarrés et aux moustaches improbables. Dans ce cadre, le lieutenant Burda, qui ne se prénomme pas Nestor, vit une histoire d’amour à distance avec une belle qui n’est pas de son rang. Un amour unidirectionnel mais qu’il croit réciproque – et il est bien le seul. Dans son délire d’auto-persuasion, il voit se multiplier les preuves d’amour dans ce qui n’est qu’une accumulation de hasards, et les mises en garde du narrateur, son ami, ne suffiront pas à le détourner d’une issue fatale. Histoire tragique, menée d’une plume de maître, Maupassant n’aurait pas fait mieux.

Le Débat n° 210 (Gallimard, mai-août 2020; 288 p., 24 €).

“40 ans”

Gallimard fait le ménage dans ses revues : après Les Temps modernes, c’est Le Débat qui tire sa révérence suite à ce numéro anniversaire. Il reste la NRf, devenue semestrielle, et L’Infini à la publication irrégulière. C’est maigre.

VENDREDI.

Lecture.

Un Mexicain sur son vélo : et 119 autres droodles (Roger Price, Tallfellow Press, 2000 pour l’édition originale, La Table ronde, 2015 pour la traduction française, traduit de l’américain par Jean-Christophe Napias; 168 p., 12,90 €).

Dans sa présentation, Jean-Christophe Napias écrit que c’est Charlie mensuel qui, en 1969, publia les premiers droodles en France. Les légendes de ces énigmes dessinées par Roger Price étaient traduites par Delfeil de Ton. Je me souviens bien d’avoir découvert les droodles à cette époque mais je ne lisais pas Charlie, ce devait être dans Le Journal de Mickey. J’avais gardé en mémoire le Mexicain sur son vélo, qui donne son titre à cette rétrospective, et celui-ci, qui n’y figure pas :

Un Mexicain faisant cuire deux œufs sur le plat

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Écriteaux divers.

 Chine, photo de Phillip Lund, 25 mars 2006

Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo d’Alice Didion, 26 juin 2020

SAMEDI.

Bougies.

22 ans de notules. Elles nous enterreront tous.

Films vus.

  • La Rumeur (The Children’s Hour, William Wyler, É.-U., 1961)                              
  • Enquête sur un scandale d’État (Thierry de Peretti, France, 2021)                              
  • The Son (Florian Zeller, R.-U. – France, 2022)                              
  • Les Valeurs de la famille Addams (Addams Family Values, Barry Sonnenfeld, É.-U., 1993)                              
  • The Innocents (De uskyldige, Eskil Vogt, Norvège – Suède – Danemark – Finlande – France – R.-U., 2021)                              
  • Chut ! (Jean-Pierre Mocky, France, 1972)                              
  • Decision to Leave (Heojik kyolshim, Park-Chan-wook, Corée du Sud, 2022).             

L’Invent’Hair perd ses poils.

Lons-le-Saunier (Jura), photo de Francis Pierre, 25 juillet 2012

Cusset (Allier), photo de Jean-Damien Poncet, 18 avril 2022             

Poil et plume.

“Faute d’électricité, les coiffeurs travaillaient irrégulièrement, une mise en plis devenait tout une affaire, aussi les turbans étaient-ils à la mode : ils tenaient lieu à la fois de chapeau et de coiffure; j’en avais porté, de temps en temps, par commodité et parce qu’ils me seyaient; je m’y ralliai définitivement.” (Simone de Beauvoir, La Force de l’âge)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

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