21 avril 2024 – 1052

Le prochain numéro des notules sera servi le dimanche 5 mai 2024.

MERCREDI.

À Louise Pradier

“[Paris], vendredi 17 avril [18]74.

Votre lettre, ma chère amie, m’a fait à la fois plaisir et peine. J’ai été bien content de voir que vous pensiez à moi, – mais fort chagrin d’apprendre le mauvais état de votre santé.

Puisque vous avez un secrétaire, priez-le de me donner les plus amples détails.

Où êtes-vous ? est-ce chez Thérèse ? Moi, je suis bien éreinté et cet été, dès que les neiges des Alpes seront fondues, j’irai en Suisse pour me refaire, en Suisse. J’ai cet hiver fait jouer une pièce (qui a été un four complet) et publié un livre qui est un très grand succès.

Mille tendresses de votre vieil ami

Rue Murillo, 4. – Parc Monceau.

Je serai à Croisset dans un mois. ” (Gustave Flaubert, Correspondance)

Europe n° 1104 (avril 2021, 370 p., 20 €).

Raymond Roussel.

La Demeure mystérieuse (Maurice Leblanc, Lafitte, 1929, rééd. in “Les Aventures extraordinaires d’Arsène Lupin” vol. 3, Omnibus, 2005; 1024 p., 23 €).

“La tapisserie fut écartée. Béchoux entra, le visage résolu, mais avec l’aspect d’un homme qui n’usera de sa toute-puissance qu’au moment où il le jugera à propos.” Exercice pour la semaine prochaine : devant un miroir, entraînez-vous à présenter un visage résolu, mais avec l’aspect d’un homme (ou d’une femme) qui n’usera de sa toute-puissance qu’au moment propice. Envoyez photos.

JEUDI.

Ces jours-ci, Caroline est au loin, pour raisons professionnelles. En son absence, je m’occupe sainement, parcourant des sentiers connus : services de chirurgie, d’anesthésie, de pré-hospitalisation en vue d’une petite intervention. L’entretien avec le chirurgien est un bon moment. Comme je lui dis que j’ai déjà subi une opération du même genre, voilà notre Ambroise Paré qui s’empourpre : “Ah, vous avez subi une opération. Vous auriez pu tout aussi bien dire que vous en avez bénéficié… Mais vous n’êtes pas obligé d’être reconnaissant…” Ça me laisse coi. Ô Muse, donneras-tu un jour à un poète plus doué que moi les mots pour chanter le melon surcalibré de nos Bovary de province, princes des cliniques d’abattage, gloires rotaryennes et kiwanesques de nos contrées sinistrées…

VENDREDI.                  

Enseignes mortes.

Bourganeuf (Creuse), photo de l’auteur, 2 août 2022

Épinal (Vosges), photo de Gérard Noël, 2 juillet 2021

SA Spinalien – FC Versailles 0 – 1.

SAMEDI.             

  • Les Complices (Cécilia Rouaud, France, 2023)                              
  • Signé Charlotte (Caroline Huppert, France, 1985)                              
  • Pas de vagues (Teddy Lussi-Modeste, France – Belgique, 2024).                              
  • Du côté de Robinson (Jean Eustache, France, 1964)                              
  • 38°5 quai des Orfèvres (Benjamin Lehrer, France, 2023)                              
  • La Vie dissolue de Gérard Floque (Georges Lautner, France, 1986)                              
  • La Rosière de Pessac (Jean Eustache, France, 1979)                              
  • Neneh superstar (Ramzi Ben Sliman, France, 2022).             

Saint-Quentin (Aisne), photo de Bernard Visse, 23 septembre 2012

Dun-le-Palestel (Creuse), photo de l’auteur, 31 juillet 2015

14 juillet 2023. 166 km. (43 330 km).

104 habitants

Le monument est en haut des marches qui mènent à l’église. Il est entouré d’une grille métallique peinte en noir, les quatre coins du parterre ainsi délimité sont occupés par des jarres fleuries.

Aux enfants
de
Tranqueville
Morts
Pour la France

La plaque supportant les noms des victimes est située au sommet de la flèche mais la dorure des lettres a disparu et la lecture est devenue impossible à l’œil nu.

Sur le flanc gauche, on trouve quatre plaques individuelles réalisées sur commande des familles, du type qu’on trouve – et qu’on vole désormais, paraît-il – sur les tombes. Le cimetière, visité dans la foulée, en contient d’ailleurs deux. Celles du monument honorent Albert & Auguste De St Martin, Albert Mouton, Maurice Thouvenin et Louis Dillet. Deux autres plaques concernant les morts de 1939-1945 sont également présentes. Un ruban tricolore défraîchi laisse à penser qu’aucune cérémonie ne s’est tenue ici ce matin.

Comme seuls les morts de Tranqueville sont mentionnés, je me suis mis en tête de trouver Graux, qui complète le nom de la commune. Ce qui nous a valu des kilomètres sur des pistes agricoles défoncées où nous avons failli finir moissonnés battus liés par une machine monstrueuse avant de trouver un hameau composé de trois maisons et d’une chapelle en ruines.                           

Elle s’en va (Emmanuelle Bercot, France, 2013)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

14 avril 2024 – 1051

LUNDI.

FC Sochaux-Montbéliard – AS Nancy-Lorraine 4 – 1.

MERCREDI.                 

“10 avril [1925], sur la route de Paris.

Cher Max,

Le livre sort aujourd’hui et je suis perclus de craintes et de mauvais pressentiments. Imaginez que les femmes n’aiment pas le livre parce qu’il ne comporte pas de personnage féminin important, et que les critiques ne l’aiment pas parce qu’il s’intéresse aux riches et ne contient pas de paysans tout droit sortis de Tess et envoyés travailler dans l’Idaho ? Imaginez qu’il n’éponge même pas les sommes que je vous dois… Ah ! il me faudra vendre 20 000 exemplaires pour y parvenir ! À vrai dire, toute ma confiance s’est évaporée. Je ne vous dirais rien à ce sujet si ce n’était que le temps que ce courrier vous parvienne, le pire sera connu. Je suis moi-même fatigué de ce livre. Je l’ai récrit au moins cinq fois et je continue à penser que ce qui devrait être la scène forte (à l’hôtel) est précipité et inefficace. Le dernier chapitre, lui aussi, l’enterrement, le père de Gatsby, etc., est mal fichu. C’est vraiment dommage parce que les cinq premiers chapitres et des morceaux des septième et huitième sont les meilleures pages que j’aie jamais écrites. […]” (F. Scott Fitzgerald, Lettres à son éditeur)                 

Les Corps solides (Joseph Incardona, Finitude, 2022; 272 p., 22 €)

La recherche par Joseph Incardona de thèmes originaux pour ses polars est louable. Dans un précédent roman, on assistait à un championnat du monde de sauna en Finlande. Ici, on est plongé au cœur d’un jeu télévisé dans lequel les concurrents doivent tenir le plus longtemps possible avec une main en contact avec la carrosserie d’une voiture de luxe. Avec dans le rôle de l’héroïne une femme méritante qui élève seule son enfant et cherche à échapper à la mouise. Tiendra-t-elle ? Gagnera-t-elle ? On finit par s’en moquer, le ton tragique, à la limite du pompier, utilisé par l’auteur se révélant rapidement insupportable. 

JEUDI.         

“Ils ne feront pas de vieux os”(“They Shall Not Grow Old”, Roald Dahl, in Ladies’ Home Journal, mars 1945 pour l’édition originale, in À tire-d’aile, Julliard, 1976 pour la traduction française, traduit de l’anglais par Jean Malignon, rééd. in “Contes de l’inattendu : nouvelles, romans, récits”, Gallimard, coll. “Quarto”, 2021; 1568 p., 32 €).                       

Nouvelle.

VENDREDI.                  

Histoires littéraires n° 90 (Du Lérot éditeur, avril-mai-juin 2022; 176 p. 25 €).

Dossier : La presse en trompe-l’œil.

Tati travaille (sous la direction d’Alison Castle, in “L’Intégrale Jacques Tati”, Taschen, 2019; 1136 p., 185 €).                                               

Inscriptions alimentaires.

Liège (Belgique), photo de Jean-François Fournié, 23 mai 2021

Bruxelles (Belgique), photo d’Alice Didion, 2 avril 2023

SAMEDI.             

  • Il reste encore demain(C’è ancora domani, Paola Cortellesi, Italie, 2023)                              
  • Le Menu (The Menu, Mark Mylod, É.-U., 2022)                              
  • Meurtre à l’italienne (Un maladetto imbroglio, Pietro Germi, Italie, 1959)                              
  • Le Processus de paix (Ilan Klipper, France, 2022)                              
  • Attention, les enfants regardent (Serge Leroy, France, 1978)                              
  • Le Père Noël a les yeux bleus (Jean Eustache, France, 1966).             

Lucie a monté récemment une exposition d’œuvres du FRAC Lorraine au Musée de l’Image à Épinal. Parmi celles-ci, Untitled (Monday or Tuesday) de Kristen Pieroth : vingt et un bocaux alimentaires posés sur une étagère, contenant de l’eau et du papier bouilli. Pas n’importe quel papier : des romans, des dictionnaires, des modes d’emploi… Un bocal attire particulièrement mon attention.

Paris (Seine), rue d’Avron, photo de Jean-Christophe Soum-Fontez, 19 septembre 2012

Arzon (Morbihan), photo de l’auteur, 15 mai 2023

23 janvier – J’ai demandé à Lupin de bien vouloir changer les brosses à poils durs, qu’il vient de m’offrir, contre des brosses à poils plus souples, car mon coiffeur m’a conseillé de ne pas brosser mes cheveux avec trop d’insistance pour le moment.” (George & Weedon Grossmith, Journal d’un homme sans importance)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

7 avril 2024 – 1050

LUNDI.

Il est passé par ici (The Moving Target, John Ross MacDonald, 1949 pour l’édition originale, Presses de la Cité, coll. “Un mystère” n° 184, 1954 pour la traduction française, traduit de l’américain par Igor B. Maslowski, rééd. in « Polars années 50 », vol. 3, Omnibus, 1997; 1096 p., 145 F).                        

La carrière du dénommé MacDonald n’est pas facile à suivre en raison de ses multiples signatures. il écrit, à ses débuts, sous son vrai nom, Kenneth Millar, avant de signer John MacDonald, puis John Ross MacDonald et enfin Ross MacDonald. Pour son personnage emblématique, qui apparaît pour la première fois dans cette enquête, c’est plus simple : il s’appellera toujours Lew Archer et exerce la profession de détective privé à Los Angeles. Deux influences majeures sont faciles à détecter : celle de Dashiell Hammett (Archer est le nom de l’associé de Sam Spade dans Le Faucon maltais) et celle de Raymond Chandler (l’ouverture d’Il est passé par ici est semblable à celle du Grand Sommeil). On trouvera donc un intérêt avant tout historique à ce roman car pour ce qui est de l’intrigue, c’est plutôt du genre embrouillé – autre hommage, peut-être involontaire celui-ci, à Chandler.

MARDI.           

On a marché sur la Lune (Hergé, 1954, rééd. in “Tintin et la Lune”, Casterman, 2009; 148 p.).

MERCREDI.                 

“3 avril [1966]

De Gaulle répète fréquemment avec satisfaction : “Les caisses sont pleines.” À en juger par ce qu’on paye d’impôts sous la botte, ce n’est ni étonnant, ni bien sorcier. J’en ferais autant. Je l’appelle “Le Général-Tout-Va-Très-Bien-Madame-La-Marquise”, entouré par ses paillassons de “Docteurs-Tant-Mieux”.

Une brave femme qui me vend des cartes postales, ma dernière distraction, me dit : “J’ai 70 ans, lui 75. Je surveille ma santé et la sienne de très près. J’aimerais tant le voir mourir !”. Ô roi, qu’aimants sont tes sujets !” (René Fallet, Journal de 5 à 7)

Revue des Deux Mondes, mai-juin 2022 (224 p., 18 €).

Le basculement du monde / Proust et les Juifs.                               

Les Refusés n° 23 (Association Les Refusés, 2022; 192 p., 12 €).

Dossier “Déserts”.

Contient un article du notulographe sur Paul Tisseyre.

JEUDI.

L’Été deux fois (Christian Costa, Minuit, 1989; 128 p., 16 €).

Je ne sais plus dans quelle revue j’ai appris l’existence de ce roman. Décapages, peut-être. On le présentait comme une œuvre unique, un livre culte connu et porté aux nues par un groupe restreint de connaisseurs. Son auteur avait disparu dans la nature après sa publication et n’avait plus jamais fait parler de lui. Il ne manquait qu’une caractéristique à L’Été deux fois pour être un vrai livre maudit : être introuvable. Il ne l’était pas et j’ai pu me le procurer rapidement sans difficulté. Et sans regret car c’est en effet quelque chose d’assez remarquable. Christian Costa met en scène un homme nommé Boz, une sorte d’Oblomov vivant au bord de la mer. Boz a une femme (Madame), une fille (Mademoiselle), deux amis (Commons et Llac). Il va chez le dentiste, passe son permis de conduire, accompagne un ami à l’hôpital, vadrouille un peu mais passe l’essentiel de son temps à rêvasser, sur la plage ou ailleurs, en se promettant d’entreprendre quelque chose. Quoi, il n’en sait rien. Flou des identités, flou du temps, flou géographique, on est bien chez Minuit, le Nouveau Roman n’est pas loin, on pense à Moderato cantabile. Sauf qu’on ne s’ennuie pas une seconde : Costa décrit le vide avec un style qui retient constamment l’attention. On peut s’amuser à repérer quelques-uns de ses procédés : inversion de l’ordre des propositions à l’intérieur de la phrase (“Il délivrait en outre, qu’il connaissait par cœur, les treize chiffres de son numéro de Sécurité sociale”); mélange des instances narratives (“Boz demande ensuite à Madame de bien vouloir l’accompagner. Madame veut bien. Elle range un peu la vaisselle et je suis à toi, nous pourrons y aller”); coupure des phrases en micro-segments (“Un frein à la tentation, confesse-t-il, et à l’aggravation. Du mal, dit-il. Du moins il l’espère”); surgissement d’images inattendues (à la plage, “elle pose son livre à l’envers – camping sauvage – sur le drap de bain”); jeux de mots (“Boz, se dit Bof. Mais non, c’est l’inverse”). Et cætera. Ça peut irriter, ça m’a beaucoup plu. Ne regrettons pas que l’auteur n’ait plus rien écrit ensuite : L’Été deux fois méritait d’être unique.

VENDREDI.                 

Niaiserie du langage relatif à la petite enfance, photos de l’auteur.

Anderlecht (Belgique), 21 mars 2023

Épinal (Vosges), 28 mai 2023

Comment devenir un auteur à succès (M. la Mine, Delcourt, coll. “Pataquès”, 2021; 112 p., 15,95 €).

Les Ziaux (Raymond Queneau, Gallimard, 1943, rééd. in Œuvres complètes I, Gallimard, coll. “Bibliothèque de la Pléiade” n° 358, 1989; 1710 p., 74 €).

SA Spinalien – Nîmes Olympique 2 – 1.

SAMEDI.             

  • Creuse (c.m., Guillaume Scaillet, France, 2022)                              
  • Sick of Myself (Syk pike, Kristoffer Borgli, Norvège – Suède – Danemark – France, 2022)
  • Candy (Christian Marquand, Italie – France – É.-U., 1968)                              
  • Dead for a Dollar (Walter Hill, Canada – É.-U., 2022)                              
  • Querelle (Rainer Werner Fassbinder, R.F.A. – France, 1982)                              
  • Le Grand Cirque (Booder & Gaëlle Falzerana, France – Belgique, 2023)                              
  • Les Photos d’Alix (c.m., Jean Eustache, France, 1982)                              
  • Laissez tirer les tireurs (Guy Lefranc, France – Italie, 1964).             

Critique n° 912 (Éditions de Minuit, mai 2023; 12 €).

“Céline toujours scandale”             

Fareins (Ain), Bernard Cattin, 19 juin 2021

Agde (Hérault), photo de François Golfier, 25 août 2016

Ma mère est folle (Diane Kurys, Belgique – France, 2018)

Bon dimanche,

Philippe DIDION