28 août 2022 – 983

LUNDI.          

Lecture.

La Comtesse de Cagliostro (Maurice Leblanc, Éditions Pierre Lafitte, 1924, rééd. in « Les Aventures extraordinaires d’Arsène Lupin » vol. 2, Omnibus 2004, 1240 p., 23 €).                        

Ce n’est que vingt ans ou presque après son apparition sous sa plume que Maurice Leblanc nous livre la première aventure d’Arsène Lupin. Celui-ci est en effet âgé de vingt ans quand il sauve la vie de la Comtesse de Cagliostro avec laquelle il va vivre une relation d’amour et de haine intenses. On apprend qu’il est le fils d’un professeur de gymnastique et qu’il pratique le vol depuis sa plus tendre enfance, mais c’est auprès de la comtesse qu’il va perfectionner son art, refusant toutefois de la suivre sur la voie du crime : “L’idée qu’il pouvait être entraîné, dans un excès d’aberration, à verser le sang lui faisait horreur.” À sa sulfureuse complice devenue son ennemie, Lupin préférera la tendre Clarisse, qu’il épouse à la fin du roman. Et ce n’est qu’à la mort de celle-ci qu’il “se jeta résolument dans la voie où l’entraînaient tant de forces. Du jour au lendemain, il fut Arsène Lupin.”

MARDI.           

Lecture.

Pas dupe (Yves Ravey, Minuit, 2019; 144 p., 14,50 €).                         

Le triangle est connu : le mari, la femme, l’amant. Sa transformation aussi : la femme, victime d’un accident de la route, est remplacée par l’enquêteur, qui trouve cette mort suspecte et soupçonne le mari. Intrigue de polar sur laquelle on connaît des centaines de variations. Mais on est chez Minuit, pas au Masque ni au Fleuve Noir. Le traitement de ce schéma par Yves Ravey ne correspond donc pas aux normes du genre. Il place son histoire dans une Californie de carton-pâte, élimine toutes les diversions descriptives ou narratives, réduit son texte à une sorte de dialogue ininterrompu entre le policier et le suspect, ce qui donne de belles incises du genre “Et vous lui avez parlé ? a-t-il ouvert la porte de sa voiture.” Les personnages n’ont aucune consistance, semblent flotter dans une sorte d’éther, c’est à la fois intrigant et séduisant. Dans les années 1980, la Série Noire avait publié deux romans de Paul Clément (pseudonyme de Jacques-Pierre Amette, qui publiait par ailleurs des romans “sérieux”, c’était une époque où on ne mélangeait pas les torchons avec les serviettes) qui, si je me rappelle bien, baignaient dans la même ambiance et procuraient le même effet déconcertant. Je ne sais si les autres livres de Ravey sont dans le même ton mais on est ici dans ce qu’on pourrait appeler de la littérature subtile, volatile, du très beau travail.

MERCREDI.                 

Éphéméride.

“Lundi 24 août [1942]

Nicole m’avait dit d’amener Jean M. chez elle. Elle avait les Pineau et Job. En partant d’ici, je ne savais pas ce que je ferais. Je l’ai retrouvé à la bibliothèque. J’ai vu Sparkenbroke. Cela m’a fait un drôle d’effet de le voir arriver. Il était très beau. Mais il m’a semblé qu’il y avait des siècles que je l’avais connu. Lorsque je lui ai demandé ce qu’il devenait, il m’a dit : “Je deviens père.” Il y avait une gêne étrange, et j’étais soulagée de m’en aller. Nous sommes remontés à pied chez Nicole. C’était très sympathique. Mais je n’étais pas heureuse de cette journée.” (Hélène Berr, Journal)

JEUDI.

Lecture.

Le Sommet des Dieux 4 (Kamigami no itadaki, Jirô Taniguchi, Baku Yumemakura, Shūeisha Inc., 2003 pour l’édition originale, Kana, 2011 pour la traduction française, traduit et adapté du japonais par Sylvain Chollet; 314 p., 18,50 €).

Vie technologique.

Il ne m’aura pas fallu des siècles pour goûter la douceur toute capouane des mœurs en vigueur sur les réseaux “sociaux”. A est un commerçant de la ville et occupe un poste d’adjoint à la Mairie. B, battu aux dernières élections municipales, est devenu un opposant. B publie sur un réseau une vidéo (non datée, non signée, c’est la règle sur ces supports) montrant A lavant à grande eau la façade de sa boutique, activité proscrite par arrêté préfectoral et par simple bon sens en cette période de sécheresse. De suite belles âmes et dragons de vertu, certains tout juste extraits de leur jacuzzi, s’insurgent et poussent des cris d’orfraie : déplorable, inadmissible, scandaleux, brûlons l’infâme. B se rengorge, plastronne, coquerique : 30 000 vues pour sa vidéo ! Le lendemain, A démissionne de ses fonctions municipales. B se frotte les mains, ravi d’avoir dézingué l’ennemi. Ses suiveurs l’acclament, bien joué, quel talent. Je n’ai aucune sympathie pour A. Pas plus que je n’ai de goût immodéré pour le tir aux pigeons.

Vie culturelle.

Je ne sais s’il y a beaucoup de théâtres qui peuvent s’enorgueillir de remplir leur jauge un après-midi de semaine au mois d’août mais c’est le cas, chaque été, au Théâtre du Peuple de Bussang. Cet après-midi, la salle, 900 places dit-on, est bondée, comme d’habitude. Bien sûr, ce ne sont pas les forces vives de la nation qui se déplacent à ces heures-là, ça grisonne pas mal, ça tousse, ça pâme sous la chaleur et ça ne sait pas éteindre son téléphone de poche mais c’est là. Des gens de tous horizons, de toutes conditions qui illustrent la dénomination et la devise du lieu : “Par l’art pour l’humanité”. Ils sont prêts à tout avaler, Feydeau, Büchner, Tchekhov, Shakespeare aujourd’hui, les fesses meurtries malgré le coussin prudemment emporté, attendant comme une récompense l’ouverture du fond de scène sur la forêt vosgienne, expérience unique où la modernité de la mise en scène et la rusticité du cadre contrastent pour leur plus grand bonheur.

VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Vestiges des cafés coiffeurs.

Pont-Saint-Vincent (Meurthe-et-Moselle), photo de ?, 13 juillet 2013

Pionnat (Creuse), photo de l’auteur, 4 août 2015

SAMEDI.            

Films vus.

  • Old Henry (Potsy Ponciroli, É.-U., 2021)                             
  • Dis-moi que tu m’aimes (Michel Boisrond, France, 1974)                             
  • Le Sens de la famille (Jean-Patrick Benes, France – Belgique, 2020)                             
  • La Seconde Fois (La seconda volta, Mimmo Calopresti, Italie – France, 1995)                             
  • My Zoé (Julie Delpy, R.-U. – Allemagne – France – É.-U., 2019)                             
  • L’Homme qui n’a pas d’étoile (Man Without a Star, King Vidor, É.-U., 1955).           

Football.

SA Épinal – Sainte-Geneviève-des-Bois 3 – 1.             

L’Invent’Hair perd ses poils.

Chailles (Loir-et-Cher), photo de Pierre Cohen-Hadria, 9 juillet 2012

Gray (Haute-Saône), photo de Jean-François Fournié, 13 septembre 2014

Poil et plume.

“Devenu jeune homme notre apprenti barbier laisse les poils envahir son visage afin de s’entraîner au métier en se rasant lui-même, car les barbus sont rares dans l’intérieur. Fourchue, carrée, pointue, impériale, touffue ou frisée à la garibaldienne, chaque mois il porte une barbe différente et les moustaches assorties. Dans tous les cas de figure, il a fière allure. Et c’est un bon coiffeur.

Or, voici qu’un jour de visite présidentielle, une sorte de Falstaff entre en coup de vent dans sa boutique : c’est Manuel Callado Crespo, le chef des interprètes. Callado voudrait qu’on mette un peu d’ordre dans l’amazonienne végétation de son visage. Notre coiffeur attaque la barbe de l’interprète à la serpe, débroussaille ses cheveux, ôte les ronces de ses narines et la fougère de ses oreilles, taille la haie folle de ses sourcils, le coiffe enfin, le parfume, achève de le civiliser en lui appliquant la serviette chaude et le talc; bref, il en fait un homme si présentable qu’une heure plus tard le président Pereira en personne pénètre dans la boutique et s’assied d’autorité dans le fauteuil :–

Je veux être aussi beau que l’autre, là.” (Daniel Pennac, Le Dictateur et le Hamac)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

21 août 2022 – 982

MARDI.            

Vie technologique.

Je m’applique à domestiquer l’animal téléphonique qui est désormais mien. J’avertis mes correspondants, découvre la joie des appels et des SMS qui partent tout seuls, on a connu ça au temps des premiers courriels, ça rajeunit. Je m’aperçois que s’il est relativement facile d’obtenir ce que l’on veut (il faut dire que je n’ai pas d’exigences démesurées, les dernières nouvelles du SAS Football et de La Montagne édition Creuse suffisent à mon bonheur), il est plus délicat de se débarrasser de ce que l’on ne veut pas, comme ces alertes météo qui me sonnent toutes les deux heures pour m’indiquer le temps qu’il fait de l’autre côté de mes fenêtres.

MERCREDI.

Lecture.

Vanille ou chocolat ? (Meanwhile, Jason Shiga, Amulet Books, 2010 pour l’édition originale, Cambourakis, 2012 pour la traduction française, traduit de l’anglais par Madeleine Nasalik; n.p., 18,50 €).

Le protocole notulaire commande qu’un livre doit être terminé avant de faire l’objet d’une notule. Impossible avec ce livre qui propose pas moins de 3 856 histoires selon les choix faits par le lecteur au fil du récit. “Vanille au chocolat ?” demande le marchand de glace au petit garçon. Selon le parfum choisi on se rend sur telle ou telle page grâce à un système de fléchage et un découpage des pages en onglets comme dans Cent mille milliards de poèmes de Queneau. Nul doute que Perec aurait adoré ce travail basé sur des algorithmes et des organigrammes qui développe ses propres recherches dans ce domaine avec des moyens autrement plus sophistiqués que ceux dont il disposait. Le dessin est plaisant, les parcours faciles à suivre une fois qu’on a compris le système, le seul défaut vient du fait que le chemin à refaire est de plus en plus long pour arriver à une nouvelle intersection.                  

Éphéméride.

Je. 17.8.1995

Levé à six heures et demie. La nuit n’a pas emporté la fatigue du travail de plume, des lectures continuelles. Je me fais violence pour gagner le bureau, aborde le chapitre huit. J’en viendrai à bout vers dix heures et demie. À la peine d’écrire s’ajoute une inquiétude. Nous avons consulté, avec Cathy, les horaires de Roissy. Ils ne font pas mention du vol en provenance d’Abidjan qui est censé nous ramener Jean. Comme il s’agit d’un charter, il sera peut-être indiqué plus tard, dans la journée.” (Pierre Bergounioux, Carnet de notes 1991-2000)

VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Aptonymes.

Vaucluse Matin, 10 novembre 2017, document transmis par Hervé Bertin

Vosges Matin, 13 décembre 2018, collection de l’auteur

Lecture.                              

Décapage n° 63 (Flammarion, printemps-été 2021; 192 p., 16 €).                              

Yves Ravey.                              

Le Bleu du ciel (Georges Bataille, Pauvert, 1957, rééd. in “Romans et récits”, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 511, 2004; 1410 p., 68 €).                              

Georges Bataille et Michel Leiris seront à l’honneur le mois prochain à Guéret à l’occasion des Rencontres de Chaminadour. J’espère bien en être, avec moins de connaissances que j’en avais pour les écrivains des éditions auxquelles j’ai déjà participé, Hugo, Cendrars, Genet et Michon. En effet, si j’ai un peu pratiqué Leiris, Bataille reste pour moi un continent presque inexploré : j’ai lu L’Abbé C. très jeune, Histoire de l’œil plus récemment et ce Bleu du ciel ne me donne pas beaucoup de clés pour saisir une œuvre qui, je l’avoue, dépasse mes connaissances et mes compétences et me semble appartenir à une littérature qui a terriblement vieilli. J’espère donc être détrompé et recevoir des éclaircissements que l’appareil critique pourtant très (trop ?) développé de cette édition n’a pas mis à ma portée. J’y ai tout de même retrouvé Gengenbach, cité dans la notice de Jean-François Louette comme je l’espérais un peu, Bataille, comme l’Ernest, n’hésitant pas à mêler dans ses textes érotisme, religion et politique.

SAMEDI.            

Films vus.

  • L’Origine du monde (Laurent Lafitte, France – Belgique, 2020)                             
  • Rome, ville ouverte (Roma città aperta, Roberto Rossellini, Italie, 1945)                             
  • La Panthère des neiges (Marie Amiguet, Vincent Munier, France, 2021)                             
  • Clara et moi (Arnaud Viard, France, 2004)                             
  • Les Héroïques (Maxime Roy, France, 2021)                             
  • Le Ring (The Ring, Alfred Hitchcock, R.-U., 1927).            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Paris (Seine), rue de Louvois, photo de Martine Sonnet, 30 juin 2012

IPAD (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental).

11 novembre 2021. 133 km. (41 226 km).

44 habitants

Pas de monument aux morts visible. Je ne pense pas l’avoir manqué : à cette date, ils sont plutôt voyants.            

Poil et pellicule.

La Buena Vida (Andrés Wood, Chili – Argentine – Espagne – R.-U. – France, 2008)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

14 août 2022 – 981

LUNDI.

Lecture.

Le Journal du coiffeur (Marcel Jouhandeau, Gallimard, 1931; rééd. in “Chaminadour : contes nouvelles et récits”, Gallimard 2006, coll. Quarto; 1540 p., 29,90 €).                        

Dans ce recueil de nouvelles, Jouhandeau dresse le portrait de plusieurs de ses compatriotes de Chaminadour, alias Guéret. On comprend, à les lire, qu’il dut s’entourer de mille précautions quand ses pas le ramenaient dans sa ville natale : sous sa plume, les habitants de Chaminadour rivalisent de mesquinerie, de bassesse, de crasse, de bigoterie, de jalousie, de haine, de laideur et de cupidité. Seules quelques rares figures positives illuminent cette galerie de monstres : Bélisée, une servante cousine de la Félicité de Flaubert dans “Un cœur simple”, et Marguerite Bargeron, une fille-mère dont l’enfant est tué par sa propre mère. Le volume se clôt sur “La mort de Madame Pô”, un personnage sur lequel Jouhandeau concentre toute sa haine. Cette Madame Pô, Poty dans la réalité, restera dans l’histoire par l’intermédiaire de sa fille qui, rappelle Richard Millet dans sa préface, “plus tard, achètera une maison sur le chemin du cimetière de Guéret, afin de pouvoir cracher sur le cercueil de l’écrivain lorsqu’on mènerait celui-ci à sa dernière demeure”. Pas de pot : Jouhandeau fut enterré au cimetière de Montmartre.

MERCREDI.                  

Éphéméride.

Kitty Black,                                      

Curtis Brown, Londres

“10 août 1956

6 Rue des Favorites

Paris 15me

Chère Kitty

Merci pour votre lettre. Je pense que vous n’êtes pas correctement informée. Il n’y a nul besoin d’une nouvelle “édition pour les acteurs” de Godot. Faber n’a pas publié le texte complet (à mon grand dam). Leur édition respecte toutes les coupures demandées par le LC. Leur texte est le texte utilisé pour monter la pièce au Criterion et leur édition est l’édition pour les acteurs. Elle pourrait être jouée par des enfants de l’école du dimanche sans risque de poursuites. Leur note de l’éditeur insérée à ma demande (à la page cinq du livre) explique cela tout à fait clairement.

Bien cordialement,

Toujours à vous

s/ Samuel Beckett” (Lettres II, 1941-1956)                 

Lecture.

Du sang sur tes mains (Kiss the Blood off My Hands, Gerald Butler, 1940 pour l’édition originale, Presses de la Cité, coll. Cosmopolis, 1946 sous le titre Les Mains pures, pour la traduction française, traduit de l’anglais par Jean Weil, traduction revue par Jean-François Merle, rééd. in « Polars années 50 », vol. 3, Omnibus, 1997; 1096 p., 145 F).

Le Dictionnaire des littératures policières de Claude Mesplède parle à propos de ce livre d’un “inoubliable roman noir”. Le compliment est justifié tant l’histoire de ce type, violent et bas du front, dont la vie est transformée par une rencontre amoureuse, est prenante malgré sa simplicité. Butler, un Anglais, s’approprie aisément les qualités des auteurs américains de l’époque : récit tendu, à la première personne, au présent, sans temps morts ni fioritures, qui méritait largement sa place dans cette anthologie.

JEUDI.

Vie technologique.

Je fais aujourd’hui mon entrée dans le XXIe siècle après une prise d’élan de vingt-deux ans. Me voici en effet depuis ce matin, et ce grâce à la générosité de mes collègues, en possession d’un téléphone de poche. Un vrai, de la taille d’une plaque de cuisson, qui nécessitera le port de vêtements aux poches larges et profondes. À moi les réseaux qu’on dit sociaux sur lesquels je vais pouvoir donner mon avis sur tout et n’importe quoi et passionner la terre entière avec les photos de mes vacances au bout du monde, à moi les selfies en compagnie des célébrités que je croise chaque jour. Je vais pouvoir tweeter, retweeter, partager, liker à tour de bras, devenir un follower et ne rien manquer des pensées d’Élisabeth Borne et de Cyril Hanouna. J’ai hâte. En attendant, il faut que j’arrive à mettre en marche le bidule et que j’apprenne à ne pas poser n’importe où mes gros doigts boudinés. L’honnêteté m’oblige à dire que je ne suis pas totalement vierge dans le domaine de la téléphonie mobile. J’avais acheté un appareil en 2005, quand Lucie avait déclaré sa maladie et que l’inquiétude me poussait à prendre des nouvelles plusieurs fois par jour. Je m’en suis débarrassé quand les choses se sont stabilisées. Plus récemment, il y a quelques mois, je me suis approprié l’outil de mon père, devenu malheureusement incapable de s’en servir. Ma cabriole de février m’avait montré que j’avais passé l’âge de m’aventurer dans la pampa sans possibilité de joindre le reste du monde. Mais ces objets n’étaient que des jouets à côté de ce que je tiens aujourd’hui dans mes mains tremblantes.

VENDREDI.                 

Lecture.

Hamlet (William Shakespeare, 1603 pour la première édition, Flammarion, coll. GF n° 6, 1979, traduit de l’anglais par François-Victor Hugo).                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

À boire.

 Unverre (Eure-et-Loir), photo de Christophe Hubert, 24 juillet 2020

Felletin (Creuse), photo de l’auteur, 28 juillet 2021

SAMEDI.            

Films vus.

  • Gravity (Alfonso Cuarón, R.-U. – É.-U., 2013)                             
  • Les Beaux Jours (Marion Vernoux, France, 2013)                             
  • Rhapsodie pour un pot-au-feu (c.m., Charlotte Cambon, Stéphanie Mercier, Soizic Mouton, Marion Roussel, France, 2013)                             
  • L’Année du requin (Ludovic & Zoran Boukherma, France, 2022)                             
  • Brooklyn (John Crowley, R.-U. – Canada – Irlande, 2015)                             
  • My Son (Christian Carion, R.-U. – France – Allemagne, 2021)                             
  • Fat City (John Huston, É.-U., 1972).            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Grancey-le-Château-Neuvelle (Côte-d’Or), photo de Thierry Vohl, 2 juillet 2012

Limoges (Haute-Vienne), photo de Jean-Christophe Soum-Fontez, 21 avril 2018

Poil et plume.

“Tant qu’il y avait eu les gendarmes français pour les garder, il les avait coiffés. Il avait vu si souvent son père agiter ses ciseaux, les faire cliqueter en l’air comme s’il voulait prévenir les cheveux du client qu’il allait sous peu passer à l’offensive, et puis ensuite, fixant la nuque, concentré, fondre sur l’épi rebelle, la petite touffe à raser d’un coup décisif. Même les coiffeurs de métier l’avaient pris pour l’un des leurs. » (Jean-Claude Grumberg, La plus précieuse des marchandises)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

7 août 2022 – 980

MERCREDI.                 

Éphéméride.

“Mardi 20 Juillet 1920

Elle m’attend le matin devant le Ministère des Affaires Étrangères, pour me mener à l’École des Beaux-Arts où nous allons examiner ensemble les Prix de Rome. Les sculptures sont pénibles à voir. Ce sont des figures tronquées, des pots à tabac. On ne voit plus rien des Lois éternelles de l’Art et pas davantage les symptômes d’un Art vraiment nouveau. C’est une décadence affreuse.” (Ferdinand Bac, Livre journal 1920)

VENDREDI.

Lecture.

L’Innocence et la Loi (The Law of Innocence, Michael Connelly, Little, Brown & Company, New York, 2020 pour l’édition originale; Calmann-Lévy, coll. Robert Pépin présente…, 2021 pour la traduction française, traduit de l’américain par Robert Pépin; 502 p., 21,90 €).

Michael Connelly arrive maintenant à tenir un rythme de deux romans par an, ce qui est proprement incroyable quand on connaît la taille de ces romans et la complexité de leurs intrigues. On a beau dire que c’est du polar industriel, fabriqué à la chaîne, ça laisse tout de même rêveur. On retrouve dans L’Innocence et la Loi l’avocat à la Lincoln, Mickey Haller, ici accusé de meurtre et choisissant, au cours d’un procès à rallonge, de se défendre lui-même, ce qui donne un roman de prétoire touffu, une promenade guidée tortueuse dans les arcanes du système judiciaire californien. Pour se défendre, Haller n’est pas seul : il utilise les compétences des membres de son cabinet, de son cercle d’amis, de sa famille (Harry Bosch, entre autres, son demi-frère, autre héros récurrent des polars de Connelly). Tout le monde s’emploie à faire aboutir l’enquête et le procès au bénéfice du personnage principal, et ça marche. L’auteur fait de même avec son livre. Contrairement à ce qui se produit dans la plupart des romans américains, la page de remerciements qui clôt le volume n’est pas inutile : elle mentionne tous ceux “qui l’ont aidé dans son travail de recherche, de rédaction et de correction”. Michel Connelly travaille comme Mickey Haller, en équipe, et il ne le cache pas car cela n’a rien de honteux. Alexandre Dumas faisait la même chose en son temps, avec le même résultat : le succès.

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Urbanisme canin, photos de Jean-François Fournié.

Enter (Pays-Bas), 6 septembre 2019

Courtrai (Belgique), 26 septembre 2021

SAMEDI.            

Films vus.

  • Le Monde de John (John and the Hole, Pascual Sisto, É.-U., 2021)                             
  • Lui (Guillaume Canet, France – Belgique, 2021)                             
  • Teddy (Ludovic & Zoran Boukherma, France, 2020)                             
  • T’es un bonhomme ! (c.m., Sylvain Certain, France, 2017)                             
  • As bestas (Rodrigo Sorogoyen, Espagne – France, 2022)                             
  • OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire (Nicolas Bedos, France – Belgique, 2021).                           

L’Invent’Hair perd ses poils.

Port Sud-Est (Maurice), photo d’Antoine Fetet, 10 juin 2012

Rennes (Ille-et-Vilaine), photo de Bernard Visse, 28 juillet 2018

Vie en Creuse.

Nous y revoilà enfin, et bien heureux d’y être après un an de privation. De suite à la pêche, pour m’assurer que mon coude abîmé par ma chute hivernale ne m’empêche pas de lancer. L’expérience est rassurante, mon geste n’a rien perdu de sa force ni de sa grâce digne du Hulot de la grande époque.

Poil et pellicule.

La Fille sur le pont (Patrice Leconte, France, 1999)

DIMANCHE.

Lecture.

Guerre (Louis-Ferdinand Céline, Gallimard, coll. Blanche, 2022; 192 p., 19 €).

Laissons de côté les conditions dans lesquelles la liasse d’inédits de Céline, dans laquelle figurait ce texte, a été retrouvée et mise à la disposition de Gallimard. Laissons de côté le souci de Gallimard de présenter Guerre comme une œuvre autonome, ce qui est plus vendeur que d’en faire une simple chute de Voyage au bout de la nuit. Laissons de côté la faiblesse des arguments avancés par François Gibault dans son avant-propos pour prouver que les chapitres de Guerre ont été écrits après la publication du Voyage. Laissons de côté enfin, même si c’est plus dur à avaler, le silence total fait par les éditeurs du texte sur les écrits antisémites de Céline. Gibault parle bien de Sigmaringen et du Danemark sans évoquer à un seul moment ce qui a bien pu amener Céline à séjourner en ces lieux. Le tourisme sans doute. Ça fait pas mal de choses à mettre de côté, c’est sûr, mais voyons ce qui reste : le texte. Et là, on s’incline. C’est du meilleur Céline, celui d’avant-guerre, d’avant les tics des phrases hachées ponctuées systématiquement de manière exclamative ou suspensive. Du meilleur Céline sur son meilleur sujet, la guerre, celle de 14 revécue ici après sa blessure qui le conduit à l’hôpital d’Hazebrouck. Un feu d’artifice de trouvailles, de violence, d’érotisme dont la lecture, assortie de toutes les réserves exposées plus avant, laisse pantois.

Bestiolaire de la Creuse.

Identification d’une Fiancée et d’une Punaise arlequin.

LUNDI.

Bestiolaire de la Creuse.

Identification d’un Soufré.

MARDI.

Extrait de mon journal de bord.

“Mardi 26 juillet 2022, Ladapeyre, 18 heures 41. Profité de l’orage pour bien avancer hier soir sur l’ordinateur. Reçu des photos de notuliens, mes réponses sont bien parties. Mis les notules à jour, travaillé sur l’archivage. Pêché un peu après 20 heures, la pluie avait cessé mais ce n’était pas agréable, surpris un chevreuil au retour. Croûté un riz aux courgettes, fait trois parties de Cluedo. Lu Houellebecq, entendu une petite chouette. Il y a encore deux ou trois ans, il était impossible de se tenir sur la terrasse à la tombée de la nuit à cause des insectes attirés par la lumière. C’est fini : ce soir, à part l’attaque d’un gros Bombyx du chêne et le vol de quelques maigres phalènes, c’est le calme plat. De jour, constaté que les criquets et sauterelles avaient quasiment disparu. Fait le tour de l’étang la nuit venue, toujours pas de vers luisants. Mieux dormi que la veille. Levé à 7 heures 15, 12°, nuages. Déjeuné dehors, travaillé sur Films vus (à jour) et sur l’archivage avant de partir à la pêche. Vu passer sous mon nez d’énormes carpes serrées comme des porte-conteneurs dans le détroit d’Ormuz. Pris un beau gardon, pas deux. Écrit aux L. et aux D., appelé les parents, Céline devait passer cet après-midi. Lu les hebdos, noirci quelques cases de Laclos. Fait les courses à l’Intermarché, lu La Montagne au retour. Eu des nouvelles de Châtel, c’est OK pour le déménagement vers un EHPAD d’Épinal, ce sera plus facile pour tout le monde. Croûte en terrasse, suivie d’une excellente sieste. Michel nous avait parlé d’un pont suspendu sur la Tardes, au bout d’un barrage hydroélectrique, décidé d’aller y faire un tour. Passé près de l’étang des Landes, revu Chambon-sur-Voueize et Évaux-les-Bains avant d’atteindre ce pont de Saint-Marien. Bel ouvrage, impressionnant, interdit à la circulation, plancher de chêne abîmé. Marché jusqu’à la chapelle de Sainte-Radegonde, seul vestige, avec quelques pierres tombales, d’un village disparu. Site magnifique qui, situé dans le Gard ou en Ardèche, serait pris d’assaut avec parking payant et baraques à frites. Là, nous avons dû croiser une dizaine de pèlerins, on n’est pas dans le surtourisme. Trois jeunes venus de l’Allier plongeaient dans l’eau depuis le pont, téméraires. Lu Le Monde et Vosges Matin dans l’auto sur le chemin du retour.”

MERCREDI.                 

Éphéméride.

“Mercredi 26 juillet 1876 – jeudi 27 juillet 1876

C’est bizarre, avant-hier je me suis couchée et, jusqu’à ce que je me fusse endormie, je voyais toujours la figure d’Antonelli se dégager comme une ombre derrière la massive masse de Cassagnac.

Enfin, hier à sept heures du matin nous avons quitté Paris.

Pendant le voyage je me suis amusée à donner une leçon d’histoire à Chocolat et ce brigand, grâce à moi, a une idée des anciens Grecs, de Rome gouvernée d’abord par des rois, puis en république et enfin en empire, comme la France, et de l’histoire de France à partir du roi auquel on a coupé le cou. Je lui ai expliqué les différents partis qui existent à présent et Chocolat est au courant de tout, il sait même ce que c’est qu’un député. Je lui racontais et le questionnais ensuite.” (Marie Bashkirtseff, Journal 10 mai 1876 – 16 août 1876)

JEUDI.         

Volière de la Creuse.

Identification d’une Mésange à longue queue.

VENDREDI.                 

Bestiolaire de la Creuse.

Identification d’un Hélophile suspendu.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Cubisme des rues, photos de l’auteur.

Sans-Vallois (Vosges), 26 juillet 2020

Talence (Gironde), 14 mai 2021

SAMEDI.            

Bestiolaire de la Creuse.

Identification d’un Nécrophore fossoyeur.            

Films vus.

  • Belle et Sébastien (Nicolas Vanier, France, 2013)                             
  • La Nuit du 12 (Dominik Moll, France – Belgique, 2022).            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Nantes (Loire-Inférieure), photo de Christine Gérard, 8 avril 2012

id., photo de Christophe Hubert, 16 mars 2014

Poil en plein hair.

Paris (Seine), boulevard de Port-Royal, 13 mai 2019

id., rue Delambre, 18 novembre 2019, photos de Martine Sonnet

DIMANCHE.                  

Lecture.

Anéantir (Michel Houellebecq, Flammarion, 2022; 736 p., 26 €).

C’est un Houellebecq bien assagi qu’on retrouve trois ans après Sérotonine : plus d’attaques frontales contre telle ou telle entité religieuse, sociale ou géographique, plus d’attaques ad hominem contre tel ou tel personnage public, plus de scènes de sexe interminables. Assagi pour ne pas dire affadi : le roman, qui démarre comme un thriller politique avec une succession d’attentats inexplicables, tourne vite à l’histoire familiale et se termine dans la romance avec le récit d’une relation de couple dont l’un des membres, dans la pure tradition du mélodrame, se sait promis à une mort prochaine. L’écriture elle-même est plate, morne : lu par Élisabeth Borne, Anéantir rencontrerait un gros succès sous forme de livre audio dans le rayon relaxation – bien-être. Assagi, affadi, mais pas inintéressant : Houellebecq a toujours été un assez fin analyste des conditions politiques et des phénomènes de société de notre époque, il n’a pas perdu ce talent. Anéantir n’est pas une purge, la lecture est fluide, agréable, mais on ne peut s’empêcher de préférer le Houellebecq d’avant, plus punchy, avec ses provocations et ses excès.

LUNDI.

Bestiolaire de la Creuse.

Identification d’une Citronnelle rouillée.

MERCREDI.                  

Éphéméride.

À Victor Duruy

“[Paris,] 3 août 1863.

Monsieur le Ministre,

Je sollicite de Votre Excellence une entrevue dans un délai que votre bienveillance rendra sans doute aussi bref que possible.

Je suis au moment de quitter la France pour quelque temps, dans le but de donner dans des cercles étrangers des conférences publiques sur des sujets relatifs à la peinture et à la littérature.

Je prie Votre Excellence de vouloir bien agréer l’assurance de mon profond respect.

Bien à vous,

CHARLES BAUDELAIRE.

22, rue d’Amsterdam.

Auteur des Fleurs du mal,

des Paradis artificiels, etc., etc., etc.,

et traducteur des œuvres d’Edgar Poe.” (Correspondance)

Lecture.

L’Orphelin (Pierre Bergounioux, Gallimard, coll. Blanche, 1992; 186 p., 17,15 €).

En 1992, Bergounioux fait toujours figurer la mention “roman” à la suite du titre sur la couverture de ses livres. Ça ne durera plus très longtemps. Déjà, il a renoncé aux artifices destinés à masquer maladroitement le caractère purement autobiographique de ses livres, ne s’embarrasse plus de faux noms, de camouflages fictionnel. L’Orphelin est une pure introspection personnelle et ne s’en cache plus : il s’agit de faire le bilan des relations de l’auteur avec son père, de régler son compte à ce dernier : “Mon père n’ayant pas eu de père ne pouvait pas non plus avoir de fils. Il était le fils de personne. Il lui était interdire de devenir le père de quelqu’un.” C’est rude, même si Bergounioux explique cette impossibilité par les circonstances géographiques, sociales et historiques qui lui sont coutumières. C’est rude et ce ne sont pas les dernières pages qui racontent une brève réconciliation et une compréhension mutuelle finale qui changent la donne. Bergounioux a attendu que son père soit mort pour écrire ce livre; il me semble avoir lu quelque part qu’il le regrettait, qu’il pensait qu’il n’aurait pas dû le faire. On n’est pas loin de penser la même chose : jamais l’écriture de l’auteur n’a été aussi tortueuse, sa compréhension difficile, le cheminement de sa pensée obscur. Il fallait cependant le faire, il fallait l’écrire, il fallait le lire, pour solder les comptes et passer à autre chose.

VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Fashion week.

Bar-sur-Aube (Aube), photo de Jean-François Fournié, 7 mai 2019

Binic (Côtes-du-Nord), photo de Bernard Bretonnière, 30 mars 2019

SAMEDI.             

Films vus.

  • Midnight Special (Jeff Nichols,É.-U., 2016)                              
  • Les Nuits de Mashhad (Holy Spider, Ali Abbasi, Danemark – Allemagne – Suède – France, 2022).

Lecture.

Vers chez les blancs (Philippe Djian, Gallimard, coll. Blanche, 2000; 380 p., 125 F).             

Vie en Creuse (fin).

Retour aux affaires vosgiennes sans regret (j’ai fini par trouver un ver luisant) ni appréhension puisque cette fois la perspective d’une rentrée des classes ou d’une opération ne vient pas assombrir le tableau.             

L’Invent’Hair perd ses poils.

Montéléger (Drôme), photo de Sylvie Bernasconi, 9 mai 2012

Évian-les-Bains (Haute-Savoie), photo de Jean-Damien Poncet, 1er janvier 2016

Poil et plume.

“Personne n’avouant le moindre enthousiasme pour ce genre de sport, notre absence de chaleur parut incendier le colonel. “Vous, dit-il, se tournant vers un chic gars de la 1re compagnie, allez chercher une paire de ciseaux et coupez-moi les cheveux de ce jeune officier.”

– Est-ce un ordre, mon colonel ?

– C’est le désir de votre colonel; je ne saurais mieux dire.

– Parfait, mon colonel.

Et ce fut ainsi que, dans une atmosphère refroidie par la gêne, Hooper dut prendre une chaise et s’asseoir, tandis qu’on lui faisait sauter quelques mèches de la nuque. Dès le début de l’opération, je sortis de la pièce et plus tard, m’excusai auprès de Hooper de ce genre de réception. “Ce n’est pas dans les us et coutumes du régiment”, lui dis-je.” (Evelyn Waugh, Retour à Brideshead)

Bon dimanche,

Philippe DIDION