28 août 2022 – 983

LUNDI.          

Lecture.

La Comtesse de Cagliostro (Maurice Leblanc, Éditions Pierre Lafitte, 1924, rééd. in « Les Aventures extraordinaires d’Arsène Lupin » vol. 2, Omnibus 2004, 1240 p., 23 €).                        

Ce n’est que vingt ans ou presque après son apparition sous sa plume que Maurice Leblanc nous livre la première aventure d’Arsène Lupin. Celui-ci est en effet âgé de vingt ans quand il sauve la vie de la Comtesse de Cagliostro avec laquelle il va vivre une relation d’amour et de haine intenses. On apprend qu’il est le fils d’un professeur de gymnastique et qu’il pratique le vol depuis sa plus tendre enfance, mais c’est auprès de la comtesse qu’il va perfectionner son art, refusant toutefois de la suivre sur la voie du crime : “L’idée qu’il pouvait être entraîné, dans un excès d’aberration, à verser le sang lui faisait horreur.” À sa sulfureuse complice devenue son ennemie, Lupin préférera la tendre Clarisse, qu’il épouse à la fin du roman. Et ce n’est qu’à la mort de celle-ci qu’il “se jeta résolument dans la voie où l’entraînaient tant de forces. Du jour au lendemain, il fut Arsène Lupin.”

MARDI.           

Lecture.

Pas dupe (Yves Ravey, Minuit, 2019; 144 p., 14,50 €).                         

Le triangle est connu : le mari, la femme, l’amant. Sa transformation aussi : la femme, victime d’un accident de la route, est remplacée par l’enquêteur, qui trouve cette mort suspecte et soupçonne le mari. Intrigue de polar sur laquelle on connaît des centaines de variations. Mais on est chez Minuit, pas au Masque ni au Fleuve Noir. Le traitement de ce schéma par Yves Ravey ne correspond donc pas aux normes du genre. Il place son histoire dans une Californie de carton-pâte, élimine toutes les diversions descriptives ou narratives, réduit son texte à une sorte de dialogue ininterrompu entre le policier et le suspect, ce qui donne de belles incises du genre “Et vous lui avez parlé ? a-t-il ouvert la porte de sa voiture.” Les personnages n’ont aucune consistance, semblent flotter dans une sorte d’éther, c’est à la fois intrigant et séduisant. Dans les années 1980, la Série Noire avait publié deux romans de Paul Clément (pseudonyme de Jacques-Pierre Amette, qui publiait par ailleurs des romans “sérieux”, c’était une époque où on ne mélangeait pas les torchons avec les serviettes) qui, si je me rappelle bien, baignaient dans la même ambiance et procuraient le même effet déconcertant. Je ne sais si les autres livres de Ravey sont dans le même ton mais on est ici dans ce qu’on pourrait appeler de la littérature subtile, volatile, du très beau travail.

MERCREDI.                 

Éphéméride.

“Lundi 24 août [1942]

Nicole m’avait dit d’amener Jean M. chez elle. Elle avait les Pineau et Job. En partant d’ici, je ne savais pas ce que je ferais. Je l’ai retrouvé à la bibliothèque. J’ai vu Sparkenbroke. Cela m’a fait un drôle d’effet de le voir arriver. Il était très beau. Mais il m’a semblé qu’il y avait des siècles que je l’avais connu. Lorsque je lui ai demandé ce qu’il devenait, il m’a dit : “Je deviens père.” Il y avait une gêne étrange, et j’étais soulagée de m’en aller. Nous sommes remontés à pied chez Nicole. C’était très sympathique. Mais je n’étais pas heureuse de cette journée.” (Hélène Berr, Journal)

JEUDI.

Lecture.

Le Sommet des Dieux 4 (Kamigami no itadaki, Jirô Taniguchi, Baku Yumemakura, Shūeisha Inc., 2003 pour l’édition originale, Kana, 2011 pour la traduction française, traduit et adapté du japonais par Sylvain Chollet; 314 p., 18,50 €).

Vie technologique.

Il ne m’aura pas fallu des siècles pour goûter la douceur toute capouane des mœurs en vigueur sur les réseaux “sociaux”. A est un commerçant de la ville et occupe un poste d’adjoint à la Mairie. B, battu aux dernières élections municipales, est devenu un opposant. B publie sur un réseau une vidéo (non datée, non signée, c’est la règle sur ces supports) montrant A lavant à grande eau la façade de sa boutique, activité proscrite par arrêté préfectoral et par simple bon sens en cette période de sécheresse. De suite belles âmes et dragons de vertu, certains tout juste extraits de leur jacuzzi, s’insurgent et poussent des cris d’orfraie : déplorable, inadmissible, scandaleux, brûlons l’infâme. B se rengorge, plastronne, coquerique : 30 000 vues pour sa vidéo ! Le lendemain, A démissionne de ses fonctions municipales. B se frotte les mains, ravi d’avoir dézingué l’ennemi. Ses suiveurs l’acclament, bien joué, quel talent. Je n’ai aucune sympathie pour A. Pas plus que je n’ai de goût immodéré pour le tir aux pigeons.

Vie culturelle.

Je ne sais s’il y a beaucoup de théâtres qui peuvent s’enorgueillir de remplir leur jauge un après-midi de semaine au mois d’août mais c’est le cas, chaque été, au Théâtre du Peuple de Bussang. Cet après-midi, la salle, 900 places dit-on, est bondée, comme d’habitude. Bien sûr, ce ne sont pas les forces vives de la nation qui se déplacent à ces heures-là, ça grisonne pas mal, ça tousse, ça pâme sous la chaleur et ça ne sait pas éteindre son téléphone de poche mais c’est là. Des gens de tous horizons, de toutes conditions qui illustrent la dénomination et la devise du lieu : “Par l’art pour l’humanité”. Ils sont prêts à tout avaler, Feydeau, Büchner, Tchekhov, Shakespeare aujourd’hui, les fesses meurtries malgré le coussin prudemment emporté, attendant comme une récompense l’ouverture du fond de scène sur la forêt vosgienne, expérience unique où la modernité de la mise en scène et la rusticité du cadre contrastent pour leur plus grand bonheur.

VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Vestiges des cafés coiffeurs.

Pont-Saint-Vincent (Meurthe-et-Moselle), photo de ?, 13 juillet 2013

Pionnat (Creuse), photo de l’auteur, 4 août 2015

SAMEDI.            

Films vus.

  • Old Henry (Potsy Ponciroli, É.-U., 2021)                             
  • Dis-moi que tu m’aimes (Michel Boisrond, France, 1974)                             
  • Le Sens de la famille (Jean-Patrick Benes, France – Belgique, 2020)                             
  • La Seconde Fois (La seconda volta, Mimmo Calopresti, Italie – France, 1995)                             
  • My Zoé (Julie Delpy, R.-U. – Allemagne – France – É.-U., 2019)                             
  • L’Homme qui n’a pas d’étoile (Man Without a Star, King Vidor, É.-U., 1955).           

Football.

SA Épinal – Sainte-Geneviève-des-Bois 3 – 1.             

L’Invent’Hair perd ses poils.

Chailles (Loir-et-Cher), photo de Pierre Cohen-Hadria, 9 juillet 2012

Gray (Haute-Saône), photo de Jean-François Fournié, 13 septembre 2014

Poil et plume.

“Devenu jeune homme notre apprenti barbier laisse les poils envahir son visage afin de s’entraîner au métier en se rasant lui-même, car les barbus sont rares dans l’intérieur. Fourchue, carrée, pointue, impériale, touffue ou frisée à la garibaldienne, chaque mois il porte une barbe différente et les moustaches assorties. Dans tous les cas de figure, il a fière allure. Et c’est un bon coiffeur.

Or, voici qu’un jour de visite présidentielle, une sorte de Falstaff entre en coup de vent dans sa boutique : c’est Manuel Callado Crespo, le chef des interprètes. Callado voudrait qu’on mette un peu d’ordre dans l’amazonienne végétation de son visage. Notre coiffeur attaque la barbe de l’interprète à la serpe, débroussaille ses cheveux, ôte les ronces de ses narines et la fougère de ses oreilles, taille la haie folle de ses sourcils, le coiffe enfin, le parfume, achève de le civiliser en lui appliquant la serviette chaude et le talc; bref, il en fait un homme si présentable qu’une heure plus tard le président Pereira en personne pénètre dans la boutique et s’assied d’autorité dans le fauteuil :–

Je veux être aussi beau que l’autre, là.” (Daniel Pennac, Le Dictateur et le Hamac)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

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