16 juillet 2017 – 756

N.B. Le prochain numéro des notules sera servi le dimanche 6 août 2017.

LUNDI.
Vie littéraire. Parution du Bulletin de l’Association Georges Perec n° 70, concocté par mes soins.

MERCREDI.
Éphéméride.

“80, Avenue du Bois de Boulogne.
5 juillet 1912.

Mon cher Toulet,

Le mépris de son pauvre corps périssable est une chose héroïque et belle.
Pourtant, ne croyez-vous pas que vous avez poussé à l’extrême cette double vertu ? En tous cas vous nous donnez trop de regrets, soyez en sûr. La combinaison des quatre pièces et une terrasse à Guéthary est tentante.
Si vous pouvez compléter vos tuyaux je vous en serai très reconnaissant.
Il faut peut-être mieux que vous nous avertissiez du jour où vous pourrez venir, qui, j’espère, sera prochain.
Les affectueux souvenirs des miens et l’amitié de votre

Claude Debussy.” (Paul-Jean Toulet, Correspondance)

Lecture.
Le Publicateur du Collège de ‘Pataphysique. Viridis Candela, 9e série, n° 8 (15 juin 2016, 96 p., 15 €).
“Complots”

Le Publicateur du Collège de ‘Pataphysique. Viridis Candela, 9e série, n° 9 (15 septembre 2016, 80 p., 15 €).
“Pédagogies”

JEUDI.
Lecture. Tous les jeunes gens tristes (All the Sad Young Men, F. Scott Fitzgerald, Charles Scribner’s Sons, New York, 1926 pour l’édition originale, in “Romans, nouvelles et récits” II, Gallimard, 2012, Bibliothèque de la Pléiade n° 582, traduit de l’américain par Philippe Jaworski; 1780 p., 70 €).
Nouvelles.

VENDREDI.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Bars à jeux de mots rue de Lappe, Paris (Seine), photos de Jean-Damien Poncet, 20 octobre 2016.

                           

Vie professionnelle (fin). Mon dernier cours se termine à 12 heures 25. À 13 heures 03, je suis dans le dur, à 14 heures dans l’auto, en route pour les Alpes. Les festivités de fin d’année au collège auront lieu sans moi, personne ne verra la différence. Nous touchons au but après 19 heures : un appartement à Scionzier (Haute-Savoie). T & L jouent les amphitryons avant de nous abandonner le logis pour la semaine.

SAMEDI.
Extrait de mon journal de bord. Samedi 8 juillet 2017, Scionzier, 18 heures 58. Passé une nuit moyenne à cause de la chaleur. Levé à 7 heures 30, temps splendide, chaleur montante qui devrait s’interrompre avec les orages prévus. Réussi à prendre mon petit déjeuner en utilisant sans difficultés tous les ustensiles. Pas pu connecter l’ordinateur, je m’en passerai. Travaillé sur l’archivage hebdomadaire jusqu’au lever de ces dames. La température est montée petit à petit, on doit en être à 33-34° asteure. Eu de la misère à nettoyer la plancha utilisée hier soir, du fait que c’était sa première utilisation. Appelé les parents, C. était chez eux après la sortie de l’hôpital qui a bien eu lieu hier comme prévu. Fait les courses à Carrefour Market, fréquenté par une drôle de faune. Y ai trouvé Le Dauphiné et L’Équipe, je n’aurais pas eu le temps de lire le reste de toute façon. Acheté en face du produit à lentilles, j’avais oublié mon flacon at home. Lu les journaux en rentrant pendant que Caroline téléphonait à ses parents. Ouvert ensuite le courrier embarqué hier à la hâte : lettres d’OL d’Irlande, de MGM d’Espagne, remerciements de JL suite au deuil familial, offre de la revue Les Moments littéraires. Noirci quelques cases de Laclos, croûté poulet rôti – taboulé – restes d’hier. Dormi légèrement devant le Tour à la TV. Je me demande s’il y a encore des gens qui regardent le Tour de France avec le son. Le dernier commentateur que j’ai dû entendre était Robert Chapatte. Caroline avait déniché un itinéraire de promenade qui semblait attirant, départ de Saint-Gervais. Pris l’autoroute pour gagner la station, qui possède quelques restes décatis d’hôtellerie thermale. Me suis souvenu qu’au moment où je devais suivre une cure suite à mes brûlures, j’avais eu le choix entre Saint-Gervais et La Roche-Posay. Dû passer par l’office du tourisme pour trouver la gare du tramway du Mont-Blanc, point de départ de l’itinéraire. Cueillis à froid par une route puis un chemin incroyablement pentus dès les premiers pas. Cœur affolé, me demande si ces âneries physiques contribuent à le renforcer ou à l’affaiblir – j’espère que la réponse ne me sera pas donnée de façon trop brutale. Fini par dénicher, mais ce ne fut pas facile, le but de notre excursion, une “cheminée des fées”, une sorte de miracle géologique, colonne de conglomérat (?) rocheux ayant résisté à l’érosion qui a emporté ce qui l’entourait. Traversé le bourg après la descente, ruisselé comme jamais. J’aurais aimé m’y arrêter pour trouver des cartes postales du lieu et la presse manquante du matin mais je n’avais plus la force. Conduit au retour, beaucoup d’ateliers et d’usines de décolletage tout le long de la vallée. Pris douche et thé, je continue à dégouliner.

Films vus pendant la semaine. Les Huit Salopards (The Hateful Eight, Quentin Tarantino, É-U, 2015)
La Guerre des mondes (The War of the Worlds, Byron Haskin, É-U, 1953)
Café Society (Woody Allen, É-U, 2016)
Mommy (Xavier Dolan, Canada, 2014).

L’Invent’Hair perd ses poils.

            

Éloyes (Vosges), photo de l’auteur, 7 novembre 2010 / Mouleydier (Dordogne), photo de Marc-Gabriel Malfant, 26 mars 2013

Poil et plume. “Le port est une échoppe de coiffeur dans laquelle le navire pénètre avec l’illusion qu’on va lui faire une couleur.” (Ramón Gómez de la Serna, Greguerías)

DIMANCHE.
Vie photographique. Butin de la journée : trois salons de coiffure, une boucherie fermée, une pharmacie, trois monuments aux morts, quatre bars clos, trois baignoires champêtres, un arbre fruitier rare, une boîte à lettres, deux portraits de famille, une gare désaffectée, une enseigne peinte. Une belle journée.

Lecture. Le Lagon noir (Kamp Knox, Arnaldur Indridason, Forlagid, 2014 pour l’édition originale, Métailié, 2016 pour la traduction française, rééd. Points P 4578, 2017, traduit de l’islandais par Éric Boury; 384 p., 7,90 €).
Après Les Nuits de Reykjavik, Indridason poursuit la genèse policière de son héros Erlendur. Dans cet épisode, celui-ci rejoint la brigade criminelle de la capitale islandaise où il fait ses armes sous la tutelle de son mentor, Marion Briem. L’histoire se déroule en 1979, à une époque ou la Guerre froide a perdu un peu de son intensité mais où les États-Unis sont présents en Islande dans le cadre de l’OTAN. Une partie du roman prend d’ailleurs pour cadre la base aérienne américaine installée sur l’aéroport de Keflavik. Mais Erlendur – et le lecteur attaché à ses pas – s’intéresse davantage à une histoire de disparition qui date de plus de vingt ans. Un drame familial survenu dans son enfance attire, on le sait, Erlendur vers ces personnes disparues mystérieusement et le poussent à en faire des cas personnels. Le livre est par conséquent bancal, un peu lourd et convenu dans sa partie géopolitique, intéressant dans la partie qui concerne la personnalité d’Erlendur, personnage toujours aussi attachant.

LUNDI.
Vie pédestre. La destination du jour est le Lac Bénit, au-dessus de la petit station de Mont-Saxonnex. Nous ne l’atteindrons pas, c’est trop long, le chemin rendu malaisé par des travaux forestiers. C’est mieux ainsi, nous verrons l’orage éclater depuis l’intérieur du logis, il aurait pu tout aussi bien nous surprendre alors que nous randonnions en rang d’oignons.

MARDI.
Vie littéraire. C’est bien beau les vacances mais il ne faut pas négliger le travail. Je m’y mets ce matin en traçant les grandes lignes de l’article que j’ai à rendre sur l’édition de Perec en Pléiade et dont j’ai emporté le premier volume.

MERCREDI.
Vie aux Alpes. Bon travail sur Perec ce matin, récompensé par une croûte champêtre avec nos hôtes que nous retrouvons au bord du lac de Passy. On nous conseille de monter au Plateau d’Assy. Je ne suis jamais allé à Davos mais je retrouve immédiatement, en arrivant, le décor fascinant de La Montagne magique. Accrochés au flanc de la montagne, d’immenses ensembles regardent la vallée et côtoient le mont Blanc. L’autochtone à qui j’achète les cartes postales jaunies qui font mon ordinaire épistolaire me confirme qu’il s’agit d’anciens sanatoriums. Trois bâtiments ont encore une activité médicale, les autres sont abandonnés ou transformés en appartements. L’église est une splendeur : née de l’idée du chanoine Jean Dévémy, elle rassemble la fine fleur de l’art moderne des années 1930, époque où la station connut son essor : façade de Fernand Léger, tapisserie de Jean Lurçat, baptistère de Chagall, vitraux de Georges Rouault et de Bazaine, céramique de Matisse, toile de Bonnard et ainsi de suite. C’est le souffle coupé que j’en fais le tour et en ressors, bien décidé à me documenter plus avant sur cet endroit. Notamment sur le plan littéraire : une brochure m’apprend que des écrivains, et non des moindres, ont résidé ici et qu’une revue intitulée Les Cahiers du Plateau a accueilli leurs écrits (j’apprends ainsi l’existence d’une “littérature sanatoriale”) entre 1935 et 1939.

JEUDI.
Vie aux Alpes. Nous laissons l’auto à Samoëns 1600 et choisissons un chemin qui mène plus haut encore. L’objectif, aujourd’hui, n’est pas un site particulier mais une altitude, facile à deviner  en cette veille de Fête Nationale.

                                                                              

capture d’écran d’un téléphone de poche, Caroline Didion

Lecture. Un bonheur parfait (Light Years, James Salter, Random House, 1975 pour l’édition originale, Éditions de l’Olivier, 1997 pour la traduction française, rééd. Points, coll. Collector, 2014; 400 p., 8,70 €).
Que sont devenus les jeunes gens tristes de Fitzgerald ? Ils se sont mariés, ont eu des enfants. Ceux-ci affichent une belle réussite sociale : métier en vue (architecte, acteur, éditeur…), belle maison dans une belle banlieue de New York, pied-à-terre à Amagansett, réceptions, vernissages, restaurants chics… Ils ont de la culture, rêvent d’Europe, citent Sartre et Genet, ce qui est attendu, mais aussi Roger Vailland et Henri Troyat, ce qui est plus surprenant. Mais derrière le vernis se cache un ennui profond et, comme ils manquent totalement d’imagination, ils ne trouvent que l’adultère pour essayer de le vaincre. Voilà le bonheur parfait tel qu’il est décrit par James Salter, une illusion qui finit par ne plus tromper ses personnages qui n’entrevoient ce que peut être la vraie vie qu’arrivés au seuil de leur mort. L’analyse est fine, juste, bien dans la lignée de Fitzgerald mais trop étirée : Fitzgerald, en choisissant le format de la nouvelle, faisait en sorte que l’ennui de ses personnages ne contamine pas le lecteur.

VENDREDI.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Pratiques commerciales remarquables.

                               

Hammamet (Tunisie), photo de Sylvie Mura, juillet 2006 / magasin Carrefour, lieu indéterminé, photo d’Antoine Fetet, 2 avril 2015

SAMEDI.
Films vus pendant la semaine. Les Ogres (Léa Fehner, France, 2015)
L’Extravagant Mr Deeds (Mr. Deeds Goes to Town, Frank Capra, É-U, 1936).

L’Invent’Hair perd ses poils.

                          

Paris (Seine), rue Blanche, photo de Philippe de Jonckheere, 8 novembre 2010 / Chissay-en-Touraine (Loir-et-Cher), photo de Bernard Cattin, 22 décembre 2013

Poil et plume. “[…] un homme admet-il que sa femme ait un amant à condition qu’elle ne l’avoue pas, qu’elle le renie, prétendant qu’elle va voir une amie ou le coiffeur.” (Diane de Margerie, Maintenant)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

 

2 juillet 2017 – 755

N.B. Le prochain numéro des notules sera servi le dimanche 16 juillet 2017.

MERCREDI.
Éphéméride. “Jeudi [28 juin 1894]

Je n’ai rien écrit par lassitude.
Pas de nouvelles d’E. A-t-elle reçue [sic] cette lettre ?
Si oui, elle n’y aura pas cru – elle aura eu terriblement tort.
Je crois qu’elle m’aime – mais pas comme il faudrait.

L’Idée de la mort nécessaire s’affirme triomphalement – il faut – dans quelques mois, elle sera mienne ou j’aurai vécu.
À moins que je ne découvre une raison de vivre : ce qui est bien invraisemblable.
Je n’ai pas encore de revolver, d’ailleurs.
JH. eût pu seul me sauver : qu’il soit obéi à la Fatalité, et puis c’est plus simple.
Avant de me tuer, j’achèverai un volume pour poser encore un peu. Les Flirts m’ont donné le peu de bonheur que j’ai eu, il faut au moins que je le dise.” (Jean de Tinan, Journal intime 1894-1895)

JEUDI.
Lecture. La Séquence des corps (The Body Farm, Patricia Cornwell, Penguin Books, 1994 pour l’édition originale, traduit de l’américain par Dominique Dupont-Viau; in « Patricia Cornwell 2, Quatre romans », éditions du Masque, coll. Intégrales, 2001; 1240 p., s.p.m.).
Jusque là, les intrigues de Patricia Cornwell avaient paru assez charpentées pour faire oublier les stéréotypes de son écriture et de ses personnages. La profession de médecin légiste exercée par Kay Scarpetta, héroïne récurrente, donnait lieu à quelques scènes marquantes et coloraient le tout d’une tonalité scientifique novatrice et surprenante. Il y avait aussi les éléments technologiques, l’essor de l’informatique, la constitution de diverses bases de données au sein du F.B.I., l’employeur de Scarpetta. La Séquence des corps ne diffère guère des quatre romans précédents sur ces plans-là mais la recette ne fonctionne plus. Baisse de qualité, perte d’indulgence du lecteur, lassitude, les raisons sont diverses. Toujours est-il qu’il faut se rendre à l’évidence : malgré les efforts de sa créatrice, le personnage de Kay Scarpetta n’attire aucune empathie, aucune adhésion du lecteur. Ses démêlés avec sa nièce ou avec ses collègues, censés l’humaniser, se répètent de livre en livre et ont fini par ne susciter que de l’indifférence. L’écriture, une usine à clichés, est de plus desservie ici par une traduction paresseuse et fautive dans l’emploi des temps verbaux. L’innovation technologique a fait son temps, et force est de constater une fois de plus que la loupe de Sherlock Holmes a moins vieilli que les disquettes des ordinateurs du F.B.I. Quel ennui !

VENDREDI.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Aperçu d’une collection de cocottes, photos de l’auteur.

   

Garde-manger familial, 14 février & 10 juin 2016 / Gérardmer (Vosges), 15 avril 2016

SAMEDI.
Vie de chantier. La cabane est en travaux. Une salle de bains à refaire. Depuis lundi défilent les corps de métier, carreleur, électricien, plaquiste, plombier, peintre, que sais-je, je ne les ai pas tous vus. Rapidement, ce qui devait être un ballet harmonieux a tourné à la danse des canards : aléas, imprévus, impondérables, blessures (six points de suture pour le plombier au bout de dix minutes d’exercice), absence de l’un, retard de l’autre ont eu raison du bel ordonnancement prévu. En fait, rien ne se passe comme attendu. Aujourd’hui, le plaquiste en chef est venu casser ce que son employé  – admirateur du Merzbau selon toute évidence – avait fait hier. La dame qui a la charge de superviser le foutoir s’arrache les cheveux. C’est à nous de la rassurer : jamais dans ce logis où dans ceux que nous avons précédemment occupés l’intervention d’un homme de l’art ne s’est conclue autrement que par une catastrophe domestique, ce qui a fini par nous rendre fatalistes. J’en suis venu à penser que la plupart des gens qui s’adonnent aux travaux d’intérieur ne le font pas pour le plaisir qu’ils disent y trouver ou pour les économies qu’ils disent réaliser mais pour échapper à l’incurie des artisans professionnels.

Films vus pendant la semaine. L’Enfer des anges (Christian-Jaque, France, 1941)
Cop Car (Jon Watts, É-U., 2015)
Paris brûle-t-il ? (René Clément, France – É-U., 1966)
Elle (Paul Verhoeven, É-U., 2016)
L’École des facteurs (Jacques Tati, France, 1947)
Nos souvenirs (The Sea of Trees, Gus Van Sant, É-U, 2015)
Noblesse oblige (Kind Hearts and Coronets, R.-U., 1949).

L’Invent’Hair perd ses poils.

 

Talant (Côte-d’Or), photo de l’auteur, 4 novembre 2010 / Sansac-de-Marmiesse (Cantal), photo de Marc-Gabriel Malfant, 1er mars 2013

Poil et plume. “Plus le coiffeur fera attendre plus il aura de travail.” (Olivier Hervy, Formulaire)

Bon dimanche,

Philippe DIDION