26 février 2023 – 1003

DIMANCHE.

Courriel.

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LUNDI.

Courriel.

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Lecture.

Une vie de chien (Senninger, Collège de ‘Pataphysique, coll. Bibliothèque optimatique n° 2, 2005; 32 p., hors commerce).

La Place du mort (Pascal Garnier, Zulma, 2010, rééd. Points Roman noir P 2946, 2013; 168 p., 5,70 €).

C’est toujours un plaisir de découvrir qu’on n’a pas tout lu de Pascal Garnier, un des auteurs de polars les plus intéressants des dernières années. Il est mort en 2010, ce roman devait être le dernier publié de son vivant ou son premier posthume. Il montre l’auteur en pleine possession de ce qui fut sa marque de fabrique : une histoire courte, noire, digne d’un Manchette débarrassé de ses préoccupations politiques, qui n’offre aucune issue à ses personnages sinon la violence et la mort.

MERCREDI.                  

Éphéméride.

22 février [1915] – Complète incapacité sous tous les rapports.” (Franz Kafka, Journaux)                 

Lecture.

“Premiers écrits et articles” (Antonin Artaud, 1921-1924, in “Œuvres”, Gallimard, coll. “Quarto”, 2004; 1792 p., 35 €).

Ce volume présente les écrits d’Artaud dans un ordre strictement chronologique. Il omet volontairement Tric Trac du Ciel, son premier recueil de poèmes publié en 1922 puis renié. On ouvre donc avec deux nouvelles et quelques articles qui montrent la curiosité d’Artaud le jeune : peinture, cinéma, et, bien sûr, théâtre. La seconde nouvelle est un rien hermétique mais comme l’écrivait l’auteur dans le préambule à ses œuvres complètes en 1946 : “Que mes phrases sonnent le français ou le papou c’est exactement ce dont je me fous.”                               

“Le Crâne” (“The Skull”, Philip K. Dick, in If, juillet-août 1952, traduit de l’américain par Pierre-Paul Durastanti et révisé par Hélène Collon, in “Nouvelles complètes I 1947-1953”, Gallimard, coll. Quarto, 2020; 1280 p., 28 €).                               

Nouvelle.

JEUDI.

Vie familiale.

Quand on me demandait ce que j’allais faire de ma retraite, la réponse “voyager” était bien la dernière qui me serait venue à l’esprit. J’aspirais plutôt à goûter le confort douillet de mon home et à pantoufler sans entraves. C’était sans compter sur une situation familiale qui m’empoisonne et m’épuise depuis un an maintenant. Après une période d’accalmie, l’hospitalisation de ma mère, devenue flèche de haine n’ayant que ma pomme pour cible, m’a redonné accès à mon père. Je vais le voir tous les jours ou presque, même s’il ne sait plus qui je suis. Il me prend tantôt pour un jardinier, tantôt pour un infirmier, au mieux pour un voisin, jamais pour un fils. Il ne sait plus distinguer le jour de la nuit, l’armoire du frigo, l’endroit de l’envers. Toute chose sur laquelle il met la main disparaît comme par enchantement. Quand je passe, j’essaie de rétablir un peu d’ordre dans son esprit et dans sa maison, je fais la chasse aux objets manquants et aux papiers nécessaires à son hébergement car la situation ne peut s’éterniser. C’est éreintant : j’y reste une heure, je vieillis d’un mois. Mais je le fais, relayé par mes frères et sœur quand ils peuvent se déplacer, parce que, contrairement à ma ma mère que je ne reverrai plus jamais, lui est resté doux et paisible, désespérant mais touchant. Il a l’Alzheimer docile, mais cavaleur : il s’enfuit régulièrement, laissant la maison vide et ouverte à tous les vents, il faut courir dans tous les azimuts pour le récupérer. Heureusement, toute la ville le connaît ou presque et c’est souvent une relation plus ou moins vague qui le ramène au bercail. L’autre jour – facile à retenir, c’est celui où Alice s’est cassé le bras, ces choses arrivent en cascade – l’Alzheimer familial s’est doublé d’un Alzheimer vicinal : notre voisin du dessus, dont l’esprit flotte aussi dans l’éther, s’est endormi en laissant un robinet ouvert dans sa cuisine, ce sont les cataractes dégringolant du plafond qui nous ont alertés. Pas trop de dégâts mais des démarches à entreprendre, des travaux à faire réaliser, des devis, des déclarations, des pièces à vider, ce genre de choses. Alors, voyager, oui, ou plutôt déguerpir, prendre la tangente, fuir, là-bas fuir, pour respirer un peu. Je n’aspire qu’à sacrer mon camp, à repartir en mer avec mon capitaine courageux, à aller visiter les amis lointains, à partir installer Alice à Bruxelles, à revoir Jaligny et la Creuse le plus tôt possible, à aller encombrer sans vergogne, définition du tourisme, ceux qui ne m’ont rien demandé. Aujourd’hui, une première dans nos annales, nous avons acheté des billets d’avion. C’est dire si la situation est grave.         

Lecture.

Spéculations.Viridis Candela, 10e série, n° 5 (15 septembre 2022, 48 p., 15 €).

Michel Leiris pataphysicien.

VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Murs en colère, photos de l’auteur.

Moulins (Allier), 20 juin 2021

Le Syndicat (Vosges), 12 décembre 2021

SAMEDI.

Films vus.

  • Adorables créatures (Christian-Jaque, France – Italie, 1952)
  • La Montagne (Thomas Salvador, France, 2022)
  • As bestas (Rodrigo Sorogoyen, Espagne – France, 2022)
  • Une aussi longue absence (Henri Colpi, France – Italie, 1961)
  • Retour à la bien-aimée (Jean-François Adam, France, 1979).            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Arles (Bouches-du-Rhône), photo de Sylvie Bernasconi, 23 juillet 2012

Sault (Vaucluse), photo d’Hervé Bertin, 10 juin 2013

IPAD. (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental).

17 avril 2022. 95 km. (41 941 km).

128 habitants

Dans la partie encore inoccupée du cimetière (où reposent six aviateurs de la R.A.F.), l’obélisque de pierre usée a été reposé sur un socle de granit récent, agrémenté par quelques pissenlits en fleur. Récente aussi la plaque sur laquelle les noms sont inscrits.

1914-1918

They-sous-Montfort

À ses enfants

Morts pour la France

THIÉRY Charles                    COLIN Auguste

CLÉMENT Gustave                    COLAS Louis

NOËL Léon                    FRANCAIS François

DORGET Eugène                    DORGET Jules

1939-1945

Georges BECK – Charles SIMUS            

Poil et pellicule.

Brice 3 (James Huth, France, 2016)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

19 février 2023 – 1002

LUNDI.          

Lecture.

L’Univers concentrationnaire (David Rousset, Éditions du Pavois, 1946, rééd. in “L’Espèce humaine et autres écrits des camps”, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 660, 2021; 1614 p., 71 €).

En 1946, de nombreux récits de captivité ont déjà été publiés par les rescapés des camps nazis. David Rousset, revenu de Buchenwald et de Neuengamme, ne veut pas ajouter un nouveau témoignage : son but est d’analyser, d’essayer d’expliquer le système concentrationnaire (il crée l’adjectif pour l’occasion) dont il a été victime. Arrêté et déporté pour raisons politiques, c’est d’un point de vue communiste, ou plus exactement trotskiste, qu’il examine le fonctionnement des camps. Pour lui, le camp n’est pas une manifestation exceptionnelle de la barbarie mais l’aboutissement logique d’un système capitaliste et impérialiste, ce qui le rend reproductible sous d’autres cieux et à d’autres époques. D’où l’aspect bénéfique de l’expérience, qui justifie à ses yeux l’importance de la lutte politique nécessaire pour éviter cette reproduction. Georges Perec, qui a écrit sur l’œuvre d’un autre survivant, Robert Antelme, a repris un passage de L’Univers concentrationnaire à la fin de W ou le souvenir d’enfance.

MARDI.

Courriel.

Une demande d’abonnement aux notules.

MERCREDI. 

Éphéméride.

Valery Larbaud à Sylvia Beach (Lettre écrite en anglais)“Mercredi matin [15 février 1921]. 71, rue du Cardinal-Lemoine. [Paris] Ve.

[…] Merci aussi pour la Little Review. Je suis en train de lire Ulysse. En fait, je ne peux rien lire d’autre, je ne peux même pas penser à autre chose. Tout juste ce qu’il me faut. Je l’aime encore mieux que le Portrait. Retourne un sol nouveau, va plus profond. […]” (James Joyce, Choix de lettres)             

Lecture.

Les Treize Énigmes (Georges Simenon, Arthème Fayard, 1932, rééd. Rencontre, 1967, in “Œuvres complètes Maigret” VI; 576 p., s.p.m.).                               

Nouvelles.                               

Comme dans ses Treize Mystères rassemblés en volume la même année, Simenon tourne autour de Maigret, cherche son personnage. Le détective en chambre Joseph Leborgne cède la place à un policier surnommé G7 qui, lui, n’hésite pas à se déplacer sur les lieux des enquêtes, se rapprochant ainsi du personnage emblématique de Simenon. L’intérêt est donc avant tout historique pour ce qu’il révèle de la genèse de Maigret et ne va guère plus loin car il faut bien dire que les énigmes criminelles présentées sont un peu faiblardes. Autre chose : une nouvelle est intitulée “Le Chien jaune”, comme le roman qui relate une des premières aventures de Maigret. Les deux textes n’ont rien d’autre en commun, la nouvelle ayant pour cadre un “village en heim des environs de Mulhouse”, loin de Concarneau où se déroule le roman.

VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Niaiserie du langage relatif à la petite enfance.

Ruaux (Vosges), photo de l’auteur, 6 janvier 2019

Brignac (Hérault), photo de Caroline Didion, 15 juin 2022

Lecture.

Décapage n° 64 (Flammarion, automne-hiver 2021; 172 p., 16 €).                               

Marie-Hélène Lafon.                               

Schnock n° 40 (La Tengo, septembre 2021; 176 p., 15,50 €).

Le Dîner de cons.

SAMEDI.

Lecture.

Je vais mourir cette nuit (Esta noche moriré, Fernando Marías, 1996 pour l’édition originale, Éditions Cénomane, 2007 pour la traduction française, rééd. Actes Sud, coll. “Babel” n° 1293, 2015, traduit de l’espagnol par Raoul Gomez; 128 p., 7 €).                          

Roman noir très noir, qui raconte la vengeance posthume ourdie par un escroc à l’encontre du policier qui l’a arrêté. C’est assez brillant, totalement invraisemblable certes, mais écrit dans un style ample et raffiné qui donne au livre une dimension plus vaste que celle d’un simple roman de genre.            

Films vus.

  • Une femme mariée (Jean-Luc Godard, France, 1964)
  • Le Grand Sommeil (The Big Sleep, Michael Winner, R.-U. – É.-U., 1978)
  • Murder at Yellowstone City (Richard Gray, É.-U., 2022)
  • Au royaume des cieux (Julien Duvivier, France, 1949)
  • Hommes au bord de la crise de nerfs (Audrey Dana, Belgique – France, 2022).            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Diou (Allier), photo de Laurence Bessac, 7 avril 2012

Yverdon-les-Bains (Suisse), photo de Jean Prod’hom, 7 janvier 2017

Poil et plumes de prestige.

Bon dimanche,

Philippe DIDION

12 février 2023 – 1001

MARDI.           

Lecture.

Les 1001 Tableaux qu’il faut avoir vus dans sa vie (1001 Paintings You Must See Before You Die, Collectif, 2006 pour l’édition originale, Flammarion, 2007 pour la traduction française, traduit de l’anglais par Amandine Chastaing et al.; 960 p., 32 €).

MERCREDI.                 

Éphéméride.

“Mercredi 8 février [18]99

[…] Pris tub. Écrit à d’Esparbès qui vient d’être décoré de la Légion d’honneur et à qui on fait un banquet et qui me fait parvenir une invitation. Je lui demande si je peux venir au café, car son banquet est à sept f[rancs] cinquante c[entimes] par tête et dam ! c’est trop cher pour moi.

Je me fous des honneurs officiels mais je suis sincèrement heureux quand un de mes copains qui y tient se les procure.” (Jehan-Rictus, Journal quotidien 21 septembre 1898 – 26 avril 1899)

En feuilletant Livres Hebdo.

Bernard Joubert, Flatulences en cases : une évocation culturelle du pet dans la BD, Dynamite, 2023; 160 p., 15 €. Les amateurs de pets et contrepets trouveront certainement l’ouvrage dans cette échoppe :

Indre (Loire-Inférieure), photo Ouest-France transmise par Bernard Bretonnière, 19 août 2018

Lecture.

Spéculations. Viridis Candela, 10e série, n° 3 (15 mars 2022, 95 p., 15 €).

Les Banquets.

Encyclopédie des farces et attrapes (Collectif, Pauvert, 1964; 576 p., s.p.m.).

JEUDI.

Lecture.

La Fiancée du pendu (The Bride of Newgate, John Dixon Carr, Hamish Hamilton Limited, 1950 pour l’édition originale, Librairie des Champs-Élysées, coll. “Le Masque”, 1992 pour la traduction française, traduit de l’américain par Joëlle Girardin; 320 p., s.p.m.)

“L’escalier n’était pas assez large pour que Dolly ait pu rouler sur elle-même ou essayer de freiner sa chute. Elle était tombée comme un pantin désarticulé dans le tourbillon de velours jaune de sa robe de soie jaune bordée de dentelle de son jupon.” Comprend qui peut.

VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Cordonneries.

Bordeaux (Gironde), photo de l’auteur, 13 janvier 2022

Saint-Thiébault (Haute-Marne), photo de Jean-François Fournié, 30 août 2005

SAMEDI.            

Films vus.

  • Call Jane (Phyllis Nagy, É.-U., 2022)                             
  • Tempête à Washington (Advise & Consent, Otto Preminger, É.-U., 1962)                             
  • On est fait pour s’entendre (Pascal Elbé, France, 2021)                             
  • La Loi du Seigneur (Friendly Persuasion, William Wyler, É.-U., 1965)                             
  • L’Île aux fleurs (Ilha das Flores, c.m., Jorge Furtado, Brésil, 1989)                             
  • Youssef Salem a du succès (Baya Kasmi, France, 2022)                             
  • Cœurs vaillants (Mona Achache, France – Belgique, 2021)                             
  • La Science des rêves (Michel Gondry, France – Italie, 2006).            

Football.

SA Spinalien – Fleury 2 – 1.            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Boussac (Creuse), photo de l’auteur, 13 août 2012

Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), photo de Jean-Damien Poncet, 19 juillet 2018

IPAD. (Itinéraire Patriotique Alphabétique Départemental).

10 avril 2022. 26 km. (41 846 km).

7 895 habitants

Thaon-les-Vosges a disparu du calendrier des postes en 2018. Thaon n’existait plus, suite à une fusion de communes qui concernait aussi celles de Girmont et d’Oncourt. Le cas n’est pas rare mais ce qui rend celui de Thaon original, c’est que la commune a retrouvé son nom à la fin de l’année 2021. Lorsqu’il s’était agi de trouver un nom à la nouvelle entité, les édiles de l’époque, faisant fi de la directive du Ministère de l’aménagement du territoire adressée aux préfets en 2017 qui demandait d’éviter des “dénominations dénuées de tout lien avec la toponymie”, avaient choisi “Capavenir Vosges”. Ainsi, à rebours de leurs collègues qui avaient opté pour des noms en rapport avec leur situation géographique ou des toponymes accolant leurs anciens noms (La Vôge-les-Bains ou Granges-Aumontzey par exemple pour notre département), les maires des trois communes concernées avaient préféré donner à leur regroupement un nom digne d’un centre commercial. Cela ne fut pas du goût des habitants : lors des dernières élections municipales, le maire sortant fut nettement battu. Son remplaçant avait promis de redonner à sa ville son ancien nom – ce qu’il fit. Il n’avait pas besoin d’autre chose dans son programme pour l’emporter largement.

Le monument est tout en pierre blanche d’une propreté parfaite. Deux drapeaux tricolores sur mâts la flanquent sur une pelouse elle aussi impeccable, agrémentée d’un parterre de pensées. À la base d’une colonne supportant une Victoire aux ailes déployées, un Poilu tient dans une main un drapeau, dans l’autre une grenade qu’il s’apprête à balancer. Un de ses camarades agonise à ses pieds. Les noms sont inscrits sur des plaques apposées à l’arrière, contre le mur du Foyer des mutilés et anciens combattants de la Grande Guerre. L’ensemble compte 12 colonnes.

Aux enfants de Thaon

Morts pour la France

Colonne 1 : 1939-1945 : 58 noms d’ABDALLAH à MATHIEU, plus 6 autres sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 2 : 40 noms d’ADAM à BLAUDEZ, plus 6 autres sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 3 : 40 noms de BOBAN à COURTIAL, plus 6 autres sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 4 : 40 noms de CROLET à FEVE. P, plus 6 autres sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 5 : 40 noms de FILLINGER à GUIMBERT, plus 6 autres sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 6 : 40 noms de HACQUARD à KIBLAIRE. R, plus 6 autres sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 7 : 40 noms de KIRCHHOFFER à MARTIN. R, plus 6 autres sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 8 : 40 noms de MASSON. C à PARMENTELOT, plus 6 autres sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 9 : 40 noms de PERISSE à ROSE. C, plus 6 autres sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 10 : 40 noms de ROSE. J à VIARD, plus 6 autres sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 11 : 37 noms de VICHARD à SAGET, plus 1 autre sur une plaque ajoutée en bas

Colonne 12 : 1939-1945 : 41 noms de MEGNIN à SEILLER A. et E.; T.O.E. : 6 noms; A.F.N. : 4 noms.            

Poil et plume.

“Ce coiffeur passerait volontiers son temps à me remettre à neuf : c’est sa passion. Tous les matins, sans me demander mon avis, il me masse le visage pendant trois, quatre minutes, autour de la bouche, sur les deux rides : je m’y suis habitué. Oui, c’est sa marotte. Je le laisse faire, je ne veux pas le perturber : malgré tout, je ne constate pas l’amélioration spectaculaire censée résulter de ses soins. Cela dit, il ne me les fait pas payer. C’est une manie chez lui que d’embellir le client.” (Sándor Márai, Le Premier Amour)

Bon dimanche,

Philippe DIDION

5 février 2023 – 1000

DIMANCHE.                  

Lecture.

Revue des Deux Mondes, mai-juin 2021 (200 p., 18 €).

Romain Gary, les leçons d’une vie.                                

Lightning (Ed McBain, 1984 pour l’édition originale, Presses de la Cité, 1985 pour la traduction française, rééd. in “87e District 6”, Omnibus, 2001, traduit de l’américain par Jacques Martinache; 1052 p., 145 F). 

Lightning marque la rupture d’Ed McBain (ou du moins de son agent) avec la Série Noire et son entrée aux Presses de la Cité. Ce tournant est marqué par deux éléments tout de suite visibles : l’abandon des titres fantaisistes (genre Soupe aux poulets ou Cause toujours, ma poupée) et la longueur du texte, plus importante car ne dépendant plus du calibrage imposé par la collection de Gallimard. Ce qui ne veut pas dire que l’auteur se lance dans des histoires au long cours : l’intrigue est toujours nerveuse, resserrée au possible, et le nombre de pages plus élevé permet avant tout d’insérer les documents avec lesquels Ed McBain aime illustrer ses récits, feuillets d’agenda, dessins, plans, encarts publicitaires, cartes de visite, etc. Pour le contenu, pas ou guère de changement si ce n’est une présence féminine accrue, aussi bien pour ce qui est des personnages (les femmes ne sont plus seulement les compagnes des enquêteurs, deux inspectrices jouent ici un rôle de premier plan) que du thème choisi puisqu’une association anti-avortement est au cœur de l’intrigue.

Curiosité de traduction : 

“Dis, tu ne m’as pas expliqué pourquoi on ne peut pas toujours couper les cheveux d’une perruque.

– Parce que les faux tifs ne sont pas toujours coupables.”

On se demande bien ce que pouvait donner cet échange, digne de notre rubrique Poil et plume, dans la version originale.

MERCREDI.                  

Éphéméride.

Mercredi 25 janvier [1956]

Les notes de mon roman s’accumulent et me dépassent, parce que je n’ai pas assez de temps à moi pour les ordonner et les discipliner. N’importe, j’ai la vie devant moi ! D’ailleurs, je ne suis moi-même, en ce moment, ni discipliné, ni ordonné : l’idée de partir pour Cervinia samedi m’excite. Ah, que j’aime l’aventure ! Que j’ai peur de l’aventure et que j’aime l’aventure !” (Jean-René Huguenin, Journal)

Football.

SA Spinalien – Saint-Quentin 3 – 1.

JEUDI.

Lecture.

La Grande Beuverie (René Daumal, Gallimard, 1938, rééd. Allia, 2022; 176 p., 7,50 €).

Courriel.

Une demande d’abonnement aux notules.

VENDREDI.

Lecture.

Le Procès de Gilles de Rais (Georges Bataille, Club Français du Livre, 1959; rééd. 10/18, coll. “Bibliothèques 10/18” n° 2873, 1997; 416 p., s.p.m.).

La majeure partie du volume est consacrée aux documents du procès de Gilles de Rais, des procès plus précisément puisqu’une cour ecclésiastique et une cour séculière se succédèrent pour aboutir au verdict : l’excommunication et la mise à mort sur le bûcher. On notera que pour l’Église, le crime d’hérésie n’était pas moins important que les meurtres d’enfants pour lesquels Gilles de Rais est resté célèbre. Auparavant, Georges Bataille aura retracé la vie du monstre au moyen d’une chronologie précise, s’appuyant sur les faits avérés pour rejeter la part du mythe, notamment l’assimilation à Barbe-Bleue. Les actes du procès, traduits du latin, sont plutôt ardus et répétitifs mais révèlent quelques pépites, comme dans l’acte d’accusation qui souligne l’impossibilité pour l’accusé de renoncer au crime, disant qu’à chaque fois il retourne au mal “ainsi que le chien retourne à son vomi”.

Le Sommet des Dieux 5 (Kamigami no itadaki, Jirô Taniguchi, Baku Yumemakura, Shūeisha Inc., 2003 pour l’édition originale, Kana, 2011 pour la traduction française, traduit et adapté du japonais par Sylvain Chollet; 306 p., 18,50 €).                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Présence de Clet Abraham (ou de ses émules) dans les rues parisiennes.

rue Jacob, photo de l’auteur, 27 août 2016

photo de Barbara Baumann, 2 octobre 2021

SAMEDI.            

Films vus.

  • Après l’amour (Diane Kurys, France, 1992)
  • Nathalie… (Anne Fontaine, France – Espagne, 2003)
  • Fierrot le pou (c.m., Mathieu Kassovitz, France, 1990)                             
  • Babylon (Damien Chazelle, É.-U., 2022)                             
  • Maîtresse (Barbet Schroeder, France, 1976)                             
  • La Brigade (Louis-Julien Petit, France, 2022)                             
  • Dunkerque (Dunkirk, Christophe Nolan, R.-U. – Pays-Bas – France – É.-U., 2017).            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Évaux-les-Bains (Creuse), photo de l’auteur, 6 août 2012

Sarrebourg (Moselle), photo de François Golfier, 29 mai 2014

Poil et plume.

“Elles étaient à l’image des femmes laborieuses du pays, pour qui l’apparence n’était pas le souci premier. Toujours en sarrau gris, les pieds chaussés de charentaises, les cheveux blancs bouclés aux reflets lilas quand elles revenaient de chez Andréa, la coiffeuse modiste café dont on identifiait au premier coup d’œil la patte sur la tête de notre tante Marie, c’est pourquoi notre mère, dans un dernier luxe hérité de son enfance, prenait certains jeudis le car à destination de Nantes, direction un salon de coiffure de la rue de Verdun, ce qui était sans doute aussi pour elle une manière de vérifier si tout était encore en place des flâneries de sa jeunesse dont nous étions en mesure de dessiner la carte, avec ses points de passage obligés, les grands magasins Decré et Brunner, les guimauves de chez Bohu, la pâtisserie de la rue Crébillon, la place Viarme pour le car et l’église Sainte-Croix qui était le point de rendez-vous convenu avec sa sœur, quand elles avaient voyagé ensemble, ce qui permettait de s’attendre l’une l’autre, abritées de la pluie et du froid, et de prier pour notre tante Claire qui était à l’origine de ce choix.” (Jean Rouaud, Kiosque)

DIMANCHE.

Vie culturelle.

“Les Portes du possible : Art & science-fiction” : c’est l’intitulé de l’exposition proposée par le Centre Pompidou de Metz que nous visitons aujourd’hui. Sans réussir à franchir ces fameuses portes, sans doute par méconnaissance de l’univers de la science-fiction. Pourtant, il y avait une certaine curiosité à voir des œuvres non seulement inconnues mais signées de noms tout aussi nouveaux à nos yeux – à part celui de Philippe Curval, qui n’a pas fait que des livres. Mais rien ne nous a véritablement convaincus, sans doute encore une fois à cause de notre ignorance. Nous avions passé un meilleur moment la veille à Kanfen (Moselle) où l’on donnait “Voyage de travers dans le Connemara”, spectacle musical drôle et enlevé qui présentait un groupe spécialisé dans la musique d’Europe de l’Est obligé de revoir en urgence son répertoire en vue d’une tournée en Irlande. On passait ainsi du klezmer à l’Irlande, l’Irlande de pacotille d’abord de Michel Sardou et de Manau avant d’aboutir à celle des Chieftains et des Dubliners. Musiciens chevronnés, salle bondée, public enthousiaste, soirée parfaite.

MARDI.           

Lecture.

L’Atlantide (Pierre Benoit, Albin Michel, 1919, rééd. in “Romans I”, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 1994; 1012 p., 149 F).

Après la cour imaginaire de Kœnigsmark, cadre de son premier succès, Pierre Benoit emmène ses lecteurs dans le désert d’Afrique du Nord. C’est de l’orientalisme au carré, un morceau copieux de littérature coloniale dans lequel l’auteur, qui a vécu à Alger, ne mégote pas sur le vocabulaire exotique. On retiendra cependant, sur le plan lexical, la phrase suivante : “Et l’homme aux lunettes vertes, s’asseyant devant le bureau, se mit à paperasser fébrilement.” On trouve le verbe paperasser dans le Littré et dans le Trésor de la langue française qui utilise d’ailleurs la phrase de Pierre Benoit comme exemple. Outre le sens évident de remuer des paperasses, paperasser peut aussi signifier faire des écritures inutiles, ce qui en fait donc un bon synonyme de notuler.           

Jour de manif.

Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo de Francis Henné, 31 janvier 2023

MERCREDI.

Lendemain de manif.

Le Havre (Seine-Inférieure), photo de Jean-François Toulorge, 1er février 2023                  

Éphéméride.

À Victor Gastilleur

“Laval, 1er février 1907.

Mon cher ami,

Je suis malheureusement parti au moment où vous rentriez : j’ai prétexté – pour les non intimes – des raisons de santé, mais vous aviez vu d’assez près mes dernières aventures pour être au courant : Chanteclair a été une sinistre duperie où je fus de ma poche, tant en phinance qu’en temps perdu (je ne sais même, à ce propos, si je pourrai retrouver votre manuscrit), et comme je me résous assez mal à ne point “manger comme un tigre”, j’ai fui pour un bout de temps dans ma famille où j’ai tout le loisir de me livrer à ce curieux exercice. Je déplore seulement de ne vous point avoir comme partenaire en ce noble jeu. Mais mon absence ne sera pas longue, jusqu’à la fin février au plus.” (Alfred Jarry, Correspondance)                 

Lecture.

Tintin en Amérique (Hergé, Casterman, 1932, 62 p., 11,95 €).

JEUDI.

Brève de trottoir.

Lecture.

Télé-crime (Boileau-Narcejac, Denoël, 1967, in Constellation, 1968, rééd. in « Quarante ans de suspense » vol. 2, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, édition établie par Francis Lacassin, 1988; 1314 p., 120 F).                 

VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Commerces divers, photos de Jean-Damien Poncet.

Paris (Seine), rue de Cotte, 23 avril 2022

idem, rue Delambre, 13 octobre 2016

Lecture.

Actes relatifs à la mort de Raymond Roussel (Atti relativi alla morte di Raymond Roussel, Leonardo Sciascia, Esse, 1971 pour l’édition originale, L’Herne, 1972, rééd. Allia, 2022 pour la traduction française, traduit de l’italien par Jean-Pierre Pisetta; 64 p., 7 €).

Ce n’est pas avec Leonardo Sciascia que l’on va éclaircir le mystère de la mort de Raymond Roussel mais l’auteur italien apporte des éléments intéressants dans la mesure où il a eu accès à des archives de la police et de la justice de Palerme, ville où mourut Roussel le 14 juillet 1933, aujourd’hui disparues. On retiendra toutefois qu’entre les deux thèses qui s’opposent sur le sujet, il réfute, en argumentant, le suicide, pour lui préférer la surdose médicamenteuse accidentelle. On pourra s’étonner que Sciascia cite François Caradec alors que la biographie de Roussel due à ce dernier date de 1972 mais Caradec a écrit sur le sujet bien avant cette date, notamment dans le numéro spécial de la revue Bizarre qui date de 1964 (mais dans lequel il ne parle pas de sa mort).

SAMEDI.            

Films vus.

  • Mort sur le Nil (Death on the Nile, Kenneth Branagh, É.-U. – R.-U., 2022)                             
  • Leur dernière nuit (Georges Lacombe, France, 1953)                              
  • L’Ours (Jean-Jacques Annaud, France – É.-U., 1988)                              
  • K-19 : Le Piège des profondeurs (K-19: The Widowmaker, Kathryn Bigelow, R.-U. – Allemagne – Canada – É.-U., 2002)
  • Tendre et saignant (Christopher Thompson, France – Belgique, 2021)                              
  • La Mélodie du bonheur (The Sound of Music, Robert Wise, É.-U., 1965).             

Football.

SA Spinalien – Furiani Agliani 3 –0.             

L’Invent’Hair perd ses poils.

Évaux-les-Bains (Creuse), photo de l’auteur, 6 août 2012

Le Mas-d’Azil (Ariège), photo de François Golfier, 23 décembre 2020

Poil et plume.

“La plus longue chevelure signalée semble être celle d’une femme nommée Miss Owens, qui s’exhibait au XIXe siècle. Elle avait une longueur de 2,51 mètres. Voilà qui les plongeait dans le plus complet ravissement. Jacqueline sortit un mètre ruban d’une des poches de sa robe chasuble et le déroula à mes pieds en me demandant d’en maintenir une extrémité. Les deux mètres cinquante et un de ruban traçaient devant moi une frontière infranchissable. L’enjamber, c’eût été fouler un fleuve de cheveux. Cette Miss Owens, n’est-elle pas admirable ? me demanda-t-elle, avant d’insister pour que je l’accompagne chez le coiffeur où je pourrais lire toutes les revues que je voulais.” (Claro, Substance)

Bon dimanche,

Philippe DIDION