



DIMANCHE.
Vie de confiné.
La Didionnée est en vacances. Faute de jardin, balcon ou terrasse – voire de résidence sur l’île de Ré – les filles ont investi, au prix de quelques acrobaties, le toit du garage pour profiter du soleil pascal. Je reste au logis pour lancer la corde de rappel en cas de besoin. Cela fait des semaines que je n’ai pas été au boulot mais j’ai tout de même allègrement augmenté mon temps de travail à m’escrimer sur l’ordinateur pour garder le contact avec les élèves. C’est que la fameuse “continuité pédagogique” chère au ministre Blanquer, c’est pas de la tarte. Le mot d’ordre est l’équivalent de celui de Poutine, qui voulait traquer les terroristes “jusque dans les chiottes”. Les terroristes, pour les pontes du monde scolaire, ce sont les élèves qui ont disparu des radars, qui ne se connectent pas aux plates-formes en carton bouilli fournies par l’Éducation nationale. Peu importe la raison : il faut absolument débusquer les délinquants et les remettre au boulot. Inutile de dire que j’ai montré peu de zèle dans cette chasse aux braconniers, me contentant de bosser avec ceux qui répondaient à l’appel, ils étaient d’ailleurs très nombreux. Maintenant, la traque continue : les autorités ont appelé à faire travailler les élèves pendant les vacances et, bien entendu, il s’est trouvé des âpres-au-gain volontaires pour cette tâche. Très peu pour moi.
LUNDI.
Lecture. Un fleuve de ténèbres (River of Darkness, Rennie Airth, 1999 pour l’édition originale, de Fallois, 2000 pour la traduction française, rééd. France Loisirs, 2002, traduit de l’anglais par Jean Rosenthal; 480 p., s.p.m.).
Originaire d’Afrique du Sud, Rennie Airth est un romancier rare : cinq titres entre 1969 et 2014, dont celui-ci, sommet de sa carrière, couronné par le Grand Prix de littérature policière. C’est le début des années 1920 dans le sud de l’Angleterre. Une famille est massacrée dans son manoir. À la baïonnette. On recherche donc un ancien combattant dans une enquête qui commence comme un roman policier dans la pure tradition britannique : le village coquet avec son constable débonnaire, Scotland Yard qui débarque, les interrogatoires au pub local, théière fumante et bière tiède. C’est très plaisant, avec le petit goût suranné des histoires d’Agatha Christie, mais l’auteur va ajouter à cela le contexte de l’après-guerre avec ses traumatismes, ses blessures, ses souvenirs, ses deuils. Deux doigts de romance, une dose de freudisme naissant pour tenter d’expliquer les motivations secrètes de l’assassin, action réflexion, une deux, c’est réglé comme du papier à musique militaire. Une réussite incontestable à laquelle Rennie Airth donnera une suite, “beaucoup moins captivante” selon le Dictionnaire des littératures policières de Claude Mesplède.
MARDI.
Lecture. Les Étoiles vagabondes (Bloujdaïouchtchie Zwezdy, Isaac Babel, 1926 pour l’édition originale, traduit du russe par Sophie Benech, in « Œuvres complètes », Le Bruit du temps, 2011; 1312 p., 39 €).
Scénario d’après le roman de Sholem Aleikhem.
MERCREDI.
Éphéméride. “15 avril [2002]
Cette étudiant en lettres se trouve en seconde année de licence et son père est professeur de faculté – en lettres ou en psychologie. En réponse à mes questions, elle me parle de ses lectures. Elle a été passionnée par La Chute, mais n’a pas eu la curiosité de lire d’autres livres de Camus. Je lui suggère de lire Lettres à un jeune poète, et elle me demande si Rilke est un auteur américain.” (Charles Juliet, Apaisement : Journal VII 1997-2003)
Lecture. Histoires littéraires n° 74 (Du Lérot éditeur, avril – mai – juin 2018; 176 p., 25 €).
Henry de Groux – Les Deux Orphelines – Baudelaire – Sainte-Beuve – Sapeck – Tailhade.
Où l’on apprend que figure, au palmarès des mystifications dues à l’inégalable Paul Masson, un Dictionnaire des principaux peintres aveugles. Roland Topor avait-il cela en mémoire lorsqu’il fit paraître Les Photographies conceptuelles d”Erwahn Ehrlich (1894-1961), cet Ehrlich étant, on l’aura deviné, un photographe lui aussi privé de la vue ?
JEUDI.
Lecture. La Femelle du Requin n° 51 (été 2019; 94 p., 10 €).
Jean-Bernard Pouy – Diego Trelles Paz.
Vie des grands hommes. Extrait de Vosges Matin du jour : “En raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, le préfet des Vosges a pris un arrêté le 8 avril portant interdiction de “rassemblements statiques” dans le cadre des déplacements dérogatoires autorisés par l’article 3 du décret du 23 mars. […] Sur son mur Facebook, le Vosgien A.D. critique également la décision du préfet ainsi qu’un autre arrêté interdisant l’accès aux jeux pour enfants, difficile à expliquer à sa fille de 4 ans. L’ancien lanceur d’alerte explique ainsi vouloir entrer “en résistance” : “ma fille fera de la balançoire”. Nous sommes en guerre. Nous avions déjà soixante millions de virologues, des chefs, des héros, des corbeaux. Il ne nous manquait plus qu’un Jean Moulin des bacs à sable.
VENDREDI.
Lecture. L’Éclat d’obus (Maurice Leblanc, 1923, rééd. in « Les Aventures extraordinaires d’Arsène Lupin » vol. 2, Omnibus 2004, 1240 p., 23 €).
La première version de ce roman date de 1915 et marque la volonté de Maurice Leblanc de participer à l’effort de guerre. Il s’agit donc d’une épopée patriotique au sein de laquelle les Français, braves d’entre les braves, s’opposent à des Allemands dépeints comme des brutes épaisses, des barbares sans nom. Leblanc fait la part belle aux rumeurs de l’époque comme celle des enfants belges aux mains coupées par l’envahisseur et on n’est pas loin, dans certaines pages, de la Polychésie de la race allemande du fameux docteur Bérillon. Au-delà de ces traits d’époque, L’Éclat d’obus est un roman mouvementé, plein de rebondissements et de péripéties dont l’accumulation finit par donner un peu le tournis. En 1923, afin d’introduire ce titre dans la série des aventures de son héros, Maurice Leblanc fit intervenir brièvement Arsène Lupin au détour d’un chapitre.
Le cabinet de curiosités du notulographe. Promenade du chien en période de confinement.
Dussen (Pays-Bas), photo de Jean-François Fournié, 9 août 2008 / Chaumont (Haute-Marne), photo du même, 23 juillet 2019
SAMEDI.
Films vus. Jeff (Jean Herman, France – Italie, 1969)
Model Shop (Jacques Demy, France – É.-U., 1969)
Monsieur Taxi (André Hunebelle, France, 1952)
Hitler, connais pas (Bertrand Blier, France, 1963)
Pourquoi tu pleures ? (Katia Lewkowicz, France, 2011)
Une intime conviction (Antoine Raimbault, France – Belgique, 2018)
La Vieille qui marchait dans la mer (Laurent Heynemann, France – Italie, 1991).
L’Invent’Hair perd ses poils.
Cavaillon (Vaucluse), photo de Philippe de Jonckheere, 9 juillet 2011 / Le Val-d’Ajol (Vosges), photo de l’auteur, 17 février 2017
Poil et plume. “La raie qui sépare les cheveux de la femme est une chose qui révèle l’enfant qu’elle est… Blanche, raisonnable, émouvante, se voit en elle, en son petit sentier blanc, une intimité adorable… C’est un clair sincère au milieu de l’artifice et de la coquetterie provocante de sa chevelure… Baiser cette raie, c’est marquer le zénith de notre domination, c’est poser un baiser raisonnable et pénétrant sur le plus haut sommet de la femme pour qu’il la parcoure jusqu’aux pieds, pour qu’elle devienne plus à nous.” (Ramón Gómez de la Serna, Échantillons)
Bon dimanche,
Philippe DIDION
MARDI.
Lecture. L’Offrande grecque (Greeks Bearing Gifts, Philip Kerr, Quercus, 2018 pour l’édition originale, Le Seuil, 2019 pour la traduction française, traduit de l’anglais par Jean Esch; 480 p., 22,50 €).
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