13 juin 2021 – 932

N.B. Le prochain numéro des notules sera servi le dimanche 27 juin 2021.    

LUNDI.           

Lecture. L’Anomalie (Hervé Le Tellier, Gallimard, coll. Blanche, 2020; 336 p., 20 €).                         

On imagine d’ici la satisfaction des crocodiles de l’Oulipo, les Roubaud, les Bénabou, Jouet et autres… Les voilà enfin tranquilles, dispensés de faire la retape pour leur cénacle, de justifier l’existence de celui-ci, de vanter les bienfaits de la contrainte et de raconter leurs souvenirs de Georges Perec. Deux événements sont venus les soulager : l’entrée dans leur ouvroir de Clémentine Mélois et l’obtention du Prix Goncourt par l’un des leurs. La première publie à tour de bras et se précipite sur tout micro tendu, le second, Hervé le Tellier, rencontre avec L’Anomalie un succès aussi retentissant qu’inattendu. L’Oulipo sort de l’ombre, les crocodiles peuvent roupiller en paix. On est content pour eux, on est content pour Le Tellier, qui est un homme sympathique, même si l’on n’est pas convaincu par son livre : il semblerait que, comme pour Houellebecq et Pierre Lemaitre, les jurés Goncourt n’aient pas couronné le meilleur livre de l’auteur élu.    

MARDI.            

Vie professionnelle. J’allais dire “Je ne sais combien de fois…” mais en réalité je sais très bien combien de fois j’ai été absent du boulot ces vingt dernières années : j’ai manqué une matinée le jour où Lucie a été hospitalisée en urgence, j’ai manqué un après-midi pour assister aux obsèques de mon parrain. Le lendemain de ce triste événement, le principal de l’époque, homme d’une subtilité rare, m’avait accueilli avec ces mots : “Vous n’oublierez pas de rattraper vos heures.” J’ai pris ça pour des condoléances et n’ai plus jamais été absent depuis. Il n’y a pas de quoi se vanter : c’est juste une question de chance, celle d’avoir été épargné par les deuils, les accidents, la maladie. Et puis la roue tourne : absent cet après-midi, absent mardi prochain, parce qu’il y a des moments où l’on n’est plus maître de son emploi du temps. Absences légitimes, raisons justifiées, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Alors d’où vient cette stupide sensation de culpabilité, cette peur de passer pour un tire-au-flanc ? M’accompagneront-elles quand j’aurai le droit de m’absenter définitivement ?    

MERCREDI.                  

Éphéméride. “9 juin [1893].  

C’est gentil, cette nuque découverte des femmes. Quelques-unes ont même de petits poils dessus.” (Jules Renard, Journal)    

VENDREDI.                  

Le cabinet de curiosités du notulographe. Aménagement du territoire canin.  

  Sant Pere de Rodes (Espagne), photo de Jean-François Fournié, 7 août 2019

Dieppe (Seine-Inférieure), photo du même, 10 juillet 2020    

SAMEDI.              

Lecture. Nous avons les mains rouges (Jean Meckert, Gallimard, 1947, rééd. Éditions Joëlle Losfeld, coll. Arcanes, 2020; 320 p., 12,80 €).                            

“Laurent hésita toutefois à lui demander s’il y avait moyen de moyenner avec les deux pépées…” Où l’on retrouve une expression sur laquelle on s’était attardé quand on l’avait dénichée dans Au Bon Beurre de Jean Dutourd et qui avait donné lieu à un billet publié par le notulien Benoît Melançon en 2013. Autre curiosité lexicale, inconnue de nos services celle-là, le mot “holpète”, qui apparaît dans la phrase “C’est holpète, tu verras ! Grouille-toi !” Le Dictionnaire de l’argot d’Albert Doillon ne le mentionne pas et Internet n’offre pas grand-chose de lumineux à son sujet… Plus loin, on trouve un fille “du genre acquisivitif et assuré”. Cette fois, c’est ma propre ignorance qui est en cause car si l’adjectif n’apparaît nulle part, le nom “acquisivité” figure dans le Petit Littré. C’est le “nom donné par les phrénologues à l’instinct qui porte l’homme à acquérir”. En ligne, soyons moderne, le Trésor de la Langue Française offre à son sujet une citation extraite de Bouvard et Pécuchet : “L’acquisivité englobe le tact des filous et l’ardeur des commerçants.” Dernière chose à noter, cette phrase : “Les mots ont une sonnette qu’il faut savoir faire tinter” qui pourrait bien être une réminiscence du Manifeste de Monsieur Antipyrine (1916) dans lequel Tristan Tzara réglait son compte à la poésie traditionnelle : “L’art était un jeu noisette, les enfants assemblaient les mots qui ont une sonnerie à la fin, puis ils pleuraient et ciraient la strophe, et lui mettaient les bottines des poupées et la strophe devint reine pour mourir un peu et la reine devint baleine, les enfants couraient à perdre haleine.” Décidément, c’est rien riche, Jean Meckert.                

Films vus.

  • Des hommes (Lucas Belvaux, France – Belgique, 2020)                               
  • Gloria (John Cassavetes, É.-U., 1980)                               
  • Brelan d’as (Henri Verneuil, France, 1952)                               
  • Lila Lili (Marie Vermillard, France, 1999)                               
  • Vacances portugaises (Pierre Kast, France – Portugal, 1963)                               
  • L’Ennemi intime (Florent-Emilio Siri, France – Maroc, 2007)                               
  • Carlotta’s Face (c.m., Valentin Riedl, Frédéric Schuld, Allemagne, 2018)                              
  • Nomadland (Chloé Zhao, É.-U. – Allemagne, 2020).                

L’Invent’Hair perd ses poils.  

  Couëron (Loire-Inférieure), photo de Bernard Bretonnière, 18 décembre 2011

Plouharnel (Morbihan), photo de Michèle Thiébaut, 9 août 2013                

Le chant du poil.  

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy), direction Pierre Boulez, mise en scène Peter Stein, 1993

Bon dimanche,  

Philippe DIDION    

Laisser un commentaire