7 août 2022 – 980

MERCREDI.                 

Éphéméride.

“Mardi 20 Juillet 1920

Elle m’attend le matin devant le Ministère des Affaires Étrangères, pour me mener à l’École des Beaux-Arts où nous allons examiner ensemble les Prix de Rome. Les sculptures sont pénibles à voir. Ce sont des figures tronquées, des pots à tabac. On ne voit plus rien des Lois éternelles de l’Art et pas davantage les symptômes d’un Art vraiment nouveau. C’est une décadence affreuse.” (Ferdinand Bac, Livre journal 1920)

VENDREDI.

Lecture.

L’Innocence et la Loi (The Law of Innocence, Michael Connelly, Little, Brown & Company, New York, 2020 pour l’édition originale; Calmann-Lévy, coll. Robert Pépin présente…, 2021 pour la traduction française, traduit de l’américain par Robert Pépin; 502 p., 21,90 €).

Michael Connelly arrive maintenant à tenir un rythme de deux romans par an, ce qui est proprement incroyable quand on connaît la taille de ces romans et la complexité de leurs intrigues. On a beau dire que c’est du polar industriel, fabriqué à la chaîne, ça laisse tout de même rêveur. On retrouve dans L’Innocence et la Loi l’avocat à la Lincoln, Mickey Haller, ici accusé de meurtre et choisissant, au cours d’un procès à rallonge, de se défendre lui-même, ce qui donne un roman de prétoire touffu, une promenade guidée tortueuse dans les arcanes du système judiciaire californien. Pour se défendre, Haller n’est pas seul : il utilise les compétences des membres de son cabinet, de son cercle d’amis, de sa famille (Harry Bosch, entre autres, son demi-frère, autre héros récurrent des polars de Connelly). Tout le monde s’emploie à faire aboutir l’enquête et le procès au bénéfice du personnage principal, et ça marche. L’auteur fait de même avec son livre. Contrairement à ce qui se produit dans la plupart des romans américains, la page de remerciements qui clôt le volume n’est pas inutile : elle mentionne tous ceux “qui l’ont aidé dans son travail de recherche, de rédaction et de correction”. Michel Connelly travaille comme Mickey Haller, en équipe, et il ne le cache pas car cela n’a rien de honteux. Alexandre Dumas faisait la même chose en son temps, avec le même résultat : le succès.

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Urbanisme canin, photos de Jean-François Fournié.

Enter (Pays-Bas), 6 septembre 2019

Courtrai (Belgique), 26 septembre 2021

SAMEDI.            

Films vus.

  • Le Monde de John (John and the Hole, Pascual Sisto, É.-U., 2021)                             
  • Lui (Guillaume Canet, France – Belgique, 2021)                             
  • Teddy (Ludovic & Zoran Boukherma, France, 2020)                             
  • T’es un bonhomme ! (c.m., Sylvain Certain, France, 2017)                             
  • As bestas (Rodrigo Sorogoyen, Espagne – France, 2022)                             
  • OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire (Nicolas Bedos, France – Belgique, 2021).                           

L’Invent’Hair perd ses poils.

Port Sud-Est (Maurice), photo d’Antoine Fetet, 10 juin 2012

Rennes (Ille-et-Vilaine), photo de Bernard Visse, 28 juillet 2018

Vie en Creuse.

Nous y revoilà enfin, et bien heureux d’y être après un an de privation. De suite à la pêche, pour m’assurer que mon coude abîmé par ma chute hivernale ne m’empêche pas de lancer. L’expérience est rassurante, mon geste n’a rien perdu de sa force ni de sa grâce digne du Hulot de la grande époque.

Poil et pellicule.

La Fille sur le pont (Patrice Leconte, France, 1999)

DIMANCHE.

Lecture.

Guerre (Louis-Ferdinand Céline, Gallimard, coll. Blanche, 2022; 192 p., 19 €).

Laissons de côté les conditions dans lesquelles la liasse d’inédits de Céline, dans laquelle figurait ce texte, a été retrouvée et mise à la disposition de Gallimard. Laissons de côté le souci de Gallimard de présenter Guerre comme une œuvre autonome, ce qui est plus vendeur que d’en faire une simple chute de Voyage au bout de la nuit. Laissons de côté la faiblesse des arguments avancés par François Gibault dans son avant-propos pour prouver que les chapitres de Guerre ont été écrits après la publication du Voyage. Laissons de côté enfin, même si c’est plus dur à avaler, le silence total fait par les éditeurs du texte sur les écrits antisémites de Céline. Gibault parle bien de Sigmaringen et du Danemark sans évoquer à un seul moment ce qui a bien pu amener Céline à séjourner en ces lieux. Le tourisme sans doute. Ça fait pas mal de choses à mettre de côté, c’est sûr, mais voyons ce qui reste : le texte. Et là, on s’incline. C’est du meilleur Céline, celui d’avant-guerre, d’avant les tics des phrases hachées ponctuées systématiquement de manière exclamative ou suspensive. Du meilleur Céline sur son meilleur sujet, la guerre, celle de 14 revécue ici après sa blessure qui le conduit à l’hôpital d’Hazebrouck. Un feu d’artifice de trouvailles, de violence, d’érotisme dont la lecture, assortie de toutes les réserves exposées plus avant, laisse pantois.

Bestiolaire de la Creuse.

Identification d’une Fiancée et d’une Punaise arlequin.

LUNDI.

Bestiolaire de la Creuse.

Identification d’un Soufré.

MARDI.

Extrait de mon journal de bord.

“Mardi 26 juillet 2022, Ladapeyre, 18 heures 41. Profité de l’orage pour bien avancer hier soir sur l’ordinateur. Reçu des photos de notuliens, mes réponses sont bien parties. Mis les notules à jour, travaillé sur l’archivage. Pêché un peu après 20 heures, la pluie avait cessé mais ce n’était pas agréable, surpris un chevreuil au retour. Croûté un riz aux courgettes, fait trois parties de Cluedo. Lu Houellebecq, entendu une petite chouette. Il y a encore deux ou trois ans, il était impossible de se tenir sur la terrasse à la tombée de la nuit à cause des insectes attirés par la lumière. C’est fini : ce soir, à part l’attaque d’un gros Bombyx du chêne et le vol de quelques maigres phalènes, c’est le calme plat. De jour, constaté que les criquets et sauterelles avaient quasiment disparu. Fait le tour de l’étang la nuit venue, toujours pas de vers luisants. Mieux dormi que la veille. Levé à 7 heures 15, 12°, nuages. Déjeuné dehors, travaillé sur Films vus (à jour) et sur l’archivage avant de partir à la pêche. Vu passer sous mon nez d’énormes carpes serrées comme des porte-conteneurs dans le détroit d’Ormuz. Pris un beau gardon, pas deux. Écrit aux L. et aux D., appelé les parents, Céline devait passer cet après-midi. Lu les hebdos, noirci quelques cases de Laclos. Fait les courses à l’Intermarché, lu La Montagne au retour. Eu des nouvelles de Châtel, c’est OK pour le déménagement vers un EHPAD d’Épinal, ce sera plus facile pour tout le monde. Croûte en terrasse, suivie d’une excellente sieste. Michel nous avait parlé d’un pont suspendu sur la Tardes, au bout d’un barrage hydroélectrique, décidé d’aller y faire un tour. Passé près de l’étang des Landes, revu Chambon-sur-Voueize et Évaux-les-Bains avant d’atteindre ce pont de Saint-Marien. Bel ouvrage, impressionnant, interdit à la circulation, plancher de chêne abîmé. Marché jusqu’à la chapelle de Sainte-Radegonde, seul vestige, avec quelques pierres tombales, d’un village disparu. Site magnifique qui, situé dans le Gard ou en Ardèche, serait pris d’assaut avec parking payant et baraques à frites. Là, nous avons dû croiser une dizaine de pèlerins, on n’est pas dans le surtourisme. Trois jeunes venus de l’Allier plongeaient dans l’eau depuis le pont, téméraires. Lu Le Monde et Vosges Matin dans l’auto sur le chemin du retour.”

MERCREDI.                 

Éphéméride.

“Mercredi 26 juillet 1876 – jeudi 27 juillet 1876

C’est bizarre, avant-hier je me suis couchée et, jusqu’à ce que je me fusse endormie, je voyais toujours la figure d’Antonelli se dégager comme une ombre derrière la massive masse de Cassagnac.

Enfin, hier à sept heures du matin nous avons quitté Paris.

Pendant le voyage je me suis amusée à donner une leçon d’histoire à Chocolat et ce brigand, grâce à moi, a une idée des anciens Grecs, de Rome gouvernée d’abord par des rois, puis en république et enfin en empire, comme la France, et de l’histoire de France à partir du roi auquel on a coupé le cou. Je lui ai expliqué les différents partis qui existent à présent et Chocolat est au courant de tout, il sait même ce que c’est qu’un député. Je lui racontais et le questionnais ensuite.” (Marie Bashkirtseff, Journal 10 mai 1876 – 16 août 1876)

JEUDI.         

Volière de la Creuse.

Identification d’une Mésange à longue queue.

VENDREDI.                 

Bestiolaire de la Creuse.

Identification d’un Hélophile suspendu.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Cubisme des rues, photos de l’auteur.

Sans-Vallois (Vosges), 26 juillet 2020

Talence (Gironde), 14 mai 2021

SAMEDI.            

Bestiolaire de la Creuse.

Identification d’un Nécrophore fossoyeur.            

Films vus.

  • Belle et Sébastien (Nicolas Vanier, France, 2013)                             
  • La Nuit du 12 (Dominik Moll, France – Belgique, 2022).            

L’Invent’Hair perd ses poils.

Nantes (Loire-Inférieure), photo de Christine Gérard, 8 avril 2012

id., photo de Christophe Hubert, 16 mars 2014

Poil en plein hair.

Paris (Seine), boulevard de Port-Royal, 13 mai 2019

id., rue Delambre, 18 novembre 2019, photos de Martine Sonnet

DIMANCHE.                  

Lecture.

Anéantir (Michel Houellebecq, Flammarion, 2022; 736 p., 26 €).

C’est un Houellebecq bien assagi qu’on retrouve trois ans après Sérotonine : plus d’attaques frontales contre telle ou telle entité religieuse, sociale ou géographique, plus d’attaques ad hominem contre tel ou tel personnage public, plus de scènes de sexe interminables. Assagi pour ne pas dire affadi : le roman, qui démarre comme un thriller politique avec une succession d’attentats inexplicables, tourne vite à l’histoire familiale et se termine dans la romance avec le récit d’une relation de couple dont l’un des membres, dans la pure tradition du mélodrame, se sait promis à une mort prochaine. L’écriture elle-même est plate, morne : lu par Élisabeth Borne, Anéantir rencontrerait un gros succès sous forme de livre audio dans le rayon relaxation – bien-être. Assagi, affadi, mais pas inintéressant : Houellebecq a toujours été un assez fin analyste des conditions politiques et des phénomènes de société de notre époque, il n’a pas perdu ce talent. Anéantir n’est pas une purge, la lecture est fluide, agréable, mais on ne peut s’empêcher de préférer le Houellebecq d’avant, plus punchy, avec ses provocations et ses excès.

LUNDI.

Bestiolaire de la Creuse.

Identification d’une Citronnelle rouillée.

MERCREDI.                  

Éphéméride.

À Victor Duruy

“[Paris,] 3 août 1863.

Monsieur le Ministre,

Je sollicite de Votre Excellence une entrevue dans un délai que votre bienveillance rendra sans doute aussi bref que possible.

Je suis au moment de quitter la France pour quelque temps, dans le but de donner dans des cercles étrangers des conférences publiques sur des sujets relatifs à la peinture et à la littérature.

Je prie Votre Excellence de vouloir bien agréer l’assurance de mon profond respect.

Bien à vous,

CHARLES BAUDELAIRE.

22, rue d’Amsterdam.

Auteur des Fleurs du mal,

des Paradis artificiels, etc., etc., etc.,

et traducteur des œuvres d’Edgar Poe.” (Correspondance)

Lecture.

L’Orphelin (Pierre Bergounioux, Gallimard, coll. Blanche, 1992; 186 p., 17,15 €).

En 1992, Bergounioux fait toujours figurer la mention “roman” à la suite du titre sur la couverture de ses livres. Ça ne durera plus très longtemps. Déjà, il a renoncé aux artifices destinés à masquer maladroitement le caractère purement autobiographique de ses livres, ne s’embarrasse plus de faux noms, de camouflages fictionnel. L’Orphelin est une pure introspection personnelle et ne s’en cache plus : il s’agit de faire le bilan des relations de l’auteur avec son père, de régler son compte à ce dernier : “Mon père n’ayant pas eu de père ne pouvait pas non plus avoir de fils. Il était le fils de personne. Il lui était interdire de devenir le père de quelqu’un.” C’est rude, même si Bergounioux explique cette impossibilité par les circonstances géographiques, sociales et historiques qui lui sont coutumières. C’est rude et ce ne sont pas les dernières pages qui racontent une brève réconciliation et une compréhension mutuelle finale qui changent la donne. Bergounioux a attendu que son père soit mort pour écrire ce livre; il me semble avoir lu quelque part qu’il le regrettait, qu’il pensait qu’il n’aurait pas dû le faire. On n’est pas loin de penser la même chose : jamais l’écriture de l’auteur n’a été aussi tortueuse, sa compréhension difficile, le cheminement de sa pensée obscur. Il fallait cependant le faire, il fallait l’écrire, il fallait le lire, pour solder les comptes et passer à autre chose.

VENDREDI.                 

Le cabinet de curiosités du notulographe.

Fashion week.

Bar-sur-Aube (Aube), photo de Jean-François Fournié, 7 mai 2019

Binic (Côtes-du-Nord), photo de Bernard Bretonnière, 30 mars 2019

SAMEDI.             

Films vus.

  • Midnight Special (Jeff Nichols,É.-U., 2016)                              
  • Les Nuits de Mashhad (Holy Spider, Ali Abbasi, Danemark – Allemagne – Suède – France, 2022).

Lecture.

Vers chez les blancs (Philippe Djian, Gallimard, coll. Blanche, 2000; 380 p., 125 F).             

Vie en Creuse (fin).

Retour aux affaires vosgiennes sans regret (j’ai fini par trouver un ver luisant) ni appréhension puisque cette fois la perspective d’une rentrée des classes ou d’une opération ne vient pas assombrir le tableau.             

L’Invent’Hair perd ses poils.

Montéléger (Drôme), photo de Sylvie Bernasconi, 9 mai 2012

Évian-les-Bains (Haute-Savoie), photo de Jean-Damien Poncet, 1er janvier 2016

Poil et plume.

“Personne n’avouant le moindre enthousiasme pour ce genre de sport, notre absence de chaleur parut incendier le colonel. “Vous, dit-il, se tournant vers un chic gars de la 1re compagnie, allez chercher une paire de ciseaux et coupez-moi les cheveux de ce jeune officier.”

– Est-ce un ordre, mon colonel ?

– C’est le désir de votre colonel; je ne saurais mieux dire.

– Parfait, mon colonel.

Et ce fut ainsi que, dans une atmosphère refroidie par la gêne, Hooper dut prendre une chaise et s’asseoir, tandis qu’on lui faisait sauter quelques mèches de la nuque. Dès le début de l’opération, je sortis de la pièce et plus tard, m’excusai auprès de Hooper de ce genre de réception. “Ce n’est pas dans les us et coutumes du régiment”, lui dis-je.” (Evelyn Waugh, Retour à Brideshead)

Bon dimanche,

Philippe DIDION