14 janvier 2024 – 1038

DIMANCHE.

Nous sommes à Metz, au Centre Pompidou, pour voir “Lacan, l’exposition”. Bon, on ne va pas jouer au petit malin, Lacan, c’est pour nous du domaine de l’inaccessible, ça appartient à un autre continent. Si on veut savoir en quoi les œuvres présentées ici correspondent à son univers, il faudra lire par exemple Yannick Haenel dans un prochain Charlie Hebdo, il était ici aujourd’hui et – à moins qu’il se fasse enfermer dans le musée, c’est son truc ces temps-ci – il aura certainement bien des choses intéressantes à dire. Nous, on est là surtout par intérêt familial, pour voir les broderies d’Annette Messager parce qu’elles proviennent du FRAC Lorraine et que c’est Lucie qui s’est occupée de leur transfert. Alors on laisse Lacan faire le jacques sur les écrans vidéo qui montrent des extraits de ses conférences pour flâner au hasard des salles. Et, surprise, le parcours se révèle passionnant. Il y a peu d’œuvres classiques, L’Origine du monde bien sûr, un Caravage, quelques surréalistes, l’essentiel vient de l’art contemporain, d’artistes souvent inconnus de nos services avec ce mélange d’audace, d’innovation, d’absurde et de foutage de gueule qui le caractérise et qui peut le rendre insupportable ou formidable. Le tout est bien rangé dans des sections qui correspondent à des thèmes lacaniens, il y a des miroirs dans la section “Miroirs”, des objets dans la section “Objet a”, on joue avec les mots dans la section “lalangue” et ainsi de suite. Sans oublier, puisqu’on touche à la psychanalyse, une bonne dose de phallus, de seins, de poils, de merde et autres matières plus ou moins nobles. Je lis tout, je regarde tout, y compris les longues vidéos (l’incroyable Daddy de Niki de Saint Phalle), l’heure de fermeture me surprend alors qu’il me reste des tas de choses à découvrir. Je sors de là enthousiasmé, heureux comme je l’ai rarement été au sortir d’une exposition. Pour un peu, je me mettrais à lire Lacan.                  

Paul dans le métro (Michel Rabagliati, La Pastèque, 2005; 96 p., 16,40 €).                  

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LUNDI.

Madame Borne est priée de traverser la rue.

Nancy (Meurthe-et-Moselle), photo de Francis Henné, 1er février 2023

MERCREDI.

10 janvier 1898. – Denis, député des Landes, raconte :

Les gens de Dax, fatigués du taureau, voulurent chasser le cerf. On nomma une commission pour aller acheter leur cerf à Paris. Il y avait président, vice-président, trésorier, secrétaire, et quatre amis. On n’avait plus de leurs nouvelles à Dax; ils étaient au Moulin Rouge. Les femmes s’émurent; on télégraphia. Ils durent revenir. Ils achètent le cerf au jardin d’Acclimatation. Tout Dax, attendait à la gare. On sortit du fourgon la caisse avec des claires-voies, pour qu’il puisse respirer. Le président du cercle de la chasse était là, deux yeux noirs terribles, une barbe terrible. Le président de la commission d’achat lui dit : on ne peut pas ouvrir la caisse ici. On la porta dans la cour du collège. On l’ouvrit et le cerf commença de se promener autour de la cour, avec des gestes de cou et en tendant la bouche pour avoir du pain. “Eh bien ! non, vous ferez ce que vous voudrez, dit (avec l’accent) le président du cercle de la chasse, moi, je ne peux pas le chasser, le pauvre!”

Il se promena pendant six mois dans les rues de Dax. On lui a bâti une loge et acheté une biche.” (Maurice Barrès, Mes cahiers)

JEUDI.         

Spéculations.Viridis Candela, 10e série, n° 7 (mars 2023, 80 p., 15 €).

Les statues.

Pauvre Belgique ! (Charles Baudelaire, 1952, rééd. in “Œuvres complètes II”, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade n° 7, 1976; 1698 p., 74,50 €)

Baudelaire arrive à Bruxelles le 24 avril 1864 avec le projet d’une tournée de conférences qui l’occuperont quelques semaines. Il n’en partira qu’un juillet 1866 pour aller mourir dans la maison de santé du docteur Duval. Entre-temps, coincé sur place à son corps défendant, il nourrit une haine féroce pour le pays qui l’accueille et ses habitants, prend des notes pour un pamphlet qui ne sera jamais mis en forme. Ces notes ont été publiées pour la première fois dans l’édition Conard de ses œuvres complètes en 1952, puis reprises en Pléiade sous la direction du même Claude Pichois. C’est un catalogue on ne peut plus féroce qui fait l’inventaire de toutes ses détestations, une attaque en règle contre les Belges, leur mode de vie, leur physique, leur mentalité, contre Bruxelles, contre le pays tout entier : “La Belgique est un bâton merdeux”, point final. Au moment où il est question, en France, d’annexer ce pays, lui indique qu’il faut le razzier “à la manière antique, à la manière d’Attila”. La lecture de ce catalogue n’amuse qu’un temps : faute de mise en forme, les attaques du poète lassent vite, il répète sans cesse les mêmes choses, comme si la maladie qui allait l’emporter avait commencé à le ronger. Ses seules notes positives concernent quelques édifices, dont les maisons de la Grand-Place et l’église du Béguinage, qui “a toute la beauté neigeuse d’une jeune communiante”, des mots que l’on peut lire sur la plaque apposée sur la maison qui fait face au logis d’Alice, rue du Béguinage, et qui m’ont conduit à cette lecture.

VENDREDI.                 

Cahiers Lautréamont n° 2 (Classiques Garnier, 2020; 368 p., 42 €).                 

Trésors de boîtes à livres.

Les Caves du Vatican, Gatineau (Québec, Canada), collecte d’Henri Lessard, 28 juillet 2022

Metz (Moselle), photo de Lucie Didion, 15 juillet 2023

SAMEDI.

  • America Latina (Damiano & Fabio D’Innocenzo, Italie – France, 2021)
  • Le Petit Piaf (Gérard Jugnot, France, 2021)
  • La Danse de mort (Marcel Cravenne, Italie – France, 1948)
  • Mon crime (François Ozon, France, 2023)
  • Les Amants de demain (Marcel Blistène, France, 1959).             

Nantes (Loire-Inférieure), rue des Carmes, photo de Christophe Hubert, 24 août 2012

idem, rue des Vieilles-Douves, photo de Pierre Cohen-Hadria, 14 octobre 2020

Une nuit à l’Assemblée nationale (Jean-Pierre Mocky, France, 1988)

Bon dimanche,

Philippe DIDION