31 décembre 2017 – 776

MARDI.
            Lecture. L’Ordre du jour (Éric Vuillard, Actes Sud, coll. Un endroit où aller, 2017; 160 p., 16 €).
                          Le genre est désormais couru : il s’agit de prendre un événement historique (ici l’Anschluss), des personnalités de l’époque (Hitler, Schuschnigg, Krupp…), de raconter la part que ceux-ci ont prise dans celui-là en ajoutant à la réalité des faits possibles, des considérations psychologiques, des motivations, des détails qui sortent de l’imagination de l’auteur. Schwob fut un pionnier dans un domaine sur lequel s’étend aujourd’hui l’ombre gigantesque de Pierre Michon. Et c’est très rapidement la figure de Michon qui vient à l’esprit à la lecture des pages de Vuillard : la brièveté de son récit, son jeu sur les temps, ses spéculations (”on peut croire que”, “peut-être”…), son goût du détail imaginé (“Il allume un cigare”, “un capuchon de stylo fit un minuscule cliquetis”…) sont autant de petits cailloux semés sur le chemin qui mène aux Cards. Maintenant, Vuillard n’est pas Michon, son envergure et ses préoccupations sont autres. Il n’empêche que si on le compare à quelques prédécesseurs sur la liste des Goncourt, son livre possède une valeur littéraire infiniment plus forte que le pavé indigeste de Pierre Lemaitre ou l’inconsistant soufflé de Leïla Slimani récemment couronnés.
MERCREDI.
                  Vie en Creuse. Nous sommes à Aubusson pour quelques jours, destination propre à faire pâlir d’envie tout un chacun. Cet après-midi, nous excursionnons autour de Sous-Parsat, où les figurines de Noël qui décorent le village semblent avoir remplacé les habitants, absents, cachés ou enfuis. Le vent est cinglant, la température polaire, la nature que l’on devine à travers les averses de neige et de grêle – arbres étiques, chemins sales, bêtes embourbées jusqu’au canon dans les parcs – est à son plus laid. N’importe. Je ne donnerais pas ma place pour un boulet de canon.
                  Éphéméride. “Anvers. Jeudi 27 XII [1934]
Cure de peinture et architecture flamandes; ce sont elles, peut-être, qui communiquent cette énergie et cet élan à la marche, malgré la pluie, dans tout le CASCO, toute la journée. J’ai même eu un supplément de forces et d’initiative pour regarder ce qu’il y a dans deux ou trois librairies (rue des Tanneurs), chercher à me procurer des originales des Max Elskamp antérieurs aux recueils du “Mercure”, et déposer ma carte chez Ludo van Bogaert, un bibliophile avec qui je suis en relations depuis plus de dix ans, par lettres (c’est lui qui a commencé). Il doit avoir une belle collection de Français contemporains.“ (Valery Larbaud, Journal)
JEUDI.
          Vie littéraire. Le travail que j’ai emporté ici (une préface à rédiger pour une réédition de Gengenbach) avance bien après des mois d’inertie. Comme j’ai déjà pu le constater pour d’autres tâches d’écriture, il me suffit de changer de cadre pour que tout devienne facile.
          Lecture. Mes amis (Emmanuel Bove, Émile-Paul Frères, 1924, rééd. Flammarion, 1977; 222 p., s.p.m.).
                        On redécouvre régulièrement l’œuvre d’Emmanuel Bove et c’est fort heureux car la lecture de Mes amis montre qu’elle vaut le détour. C’est un récit à la première personne d’un homme tombé dans la débine à la suite de la Première Guerre mondiale, qui survit grâce à sa pension d’invalide et qui arpente les rue de Paris à la recherche de l’amitié. Les pauvres n’ont pas d’amis, c’est bien connu, et les tentatives du personnage pour se lier avec tel homme ou telle femme ne déboucheront que sur des déceptions. Sans que cela donne lieu à quelque forme de révolte ou d’emportement : les événements glissent sur l’homme, résigné, fataliste et même  – serait-ce une trace des origines russes de Bobovnikoff, le vrai nom de Bove – amusé par ce qui lui tombe sur le coin de la figure. L’errance désargentée a beau être un thème couru dans la littérature, on ne voit pas vraiment d’autre écrivain de langue française qui l’ait traité sur ce ton à la fois léger et tragique.
VENDREDI.
                  Le cabinet de curiosités du notulographe. Présence (discrète) de Jean-Luc Godard à Raon-aux-Bois (Vosges) le 30 avril 2017, photo de l’auteur.
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SAMEDI.
              Films vus pendant la semaine. Iris (Jalil Lespert, France – Belgique, 2016)
                                                                Les Fugitifs (Francis Veber, France, 1986)
                                                                Sunday (Jonathan Nossiter, É.-U., 1997).
              L’Invent’Hair perd ses poils.
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Catllar (Pyrénées-Orientales), photos de Marc-Gabriel Malfant, 17 février 2011
                 Poil et BD.
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Binet, Les Bidochon, tome IV
Bonne année,
Philippe DIDION

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